Face à un public toujours plus sensible au bien-être animal, les grands noms de la mode, de Gucci à Versace, sont de plus en plus nombreux à troquer la vraie fourrure pour l'imitation, au grand dam de la filière, qui dénonce des «opérations marketing».

Dernières en date, les griffes américaines Donna Karan et DKNY ont annoncé le 22 mars leur intention de «se passer de fourrure à partir de l'automne 2019», rejoignant une série de marques prestigieuses à avoir opéré récemment cette conversion à la mode «fur-free» (Gucci, Versace, Furla, Michael Kors, Armani, Hugo Boss...).

Au même moment, San Francisco est devenue la plus grande ville américaine à interdire la vente de fourrures nouvelles.

Autant d'annonces accueillies comme des victoires par les défenseurs des droits des animaux, très actifs via leurs campagnes et vidéos choc diffusées sur les réseaux sociaux.

L'ONG Humane Society International s'est réjouie «de voir que depuis que Gucci a déclaré la fourrure démodée, les créateurs font la course pour (...) abandonner ce matériau archaïque», fustigeant les griffes comme «Fendi et Burberry qui continuent à afficher la cruauté sur les podiums».

Chez Fendi, Karl Lagerfeld a plusieurs fois justifié l'utilisation de la vraie fourrure par le fait que «les gens mangent de la viande et portent du cuir», insistant aussi sur le poids de cette industrie et les emplois qu'elle représente.

«Les temps changent», juge PETA (Pour une Éthique dans le Traitement des Animaux), qui a promis sur Instagram de «poursuivre le combat jusqu'à ce que le nombre d'animaux tués pour la mode soit nul» et prévenu: «Attention, industrie du cuir: vous êtes les prochains».

Or si le véganisme proscrit toute utilisation de produits d'origine animale, parmi les grandes marques, Stella McCartney, végétarienne et militante de la cause animale, fait figure d'exception en bannissant à la fois fourrure, cuir et plumes.

Cibler les milléniaux

«Il est déconcertant de voir certaines marques annoncer qu'elles n'utiliseront plus de fourrure mais en même temps n'avoir aucun discours sur le cuir exotique» (crocodile, lézard, autruche...), remarque Nathalie Ruelle, professeur à l'Institut français de la mode (IFM) spécialiste des questions de développement durable.

Le président de la Fédération française des métiers de la fourrure, Philippe Beaulieu, épingle l'«hypocrisie» de ces récentes annonces, qu'il qualifie d'«opérations marketing pour surfer sur l'émotion» et destinées à séduire un public de milléniaux.

Le responsable vante la «durabilité» et la «traçabilité» des fourrures animales, fustigeant «les marques qui aujourd'hui décident d'arrêter la fourrure mais font la promotion de la fourrure synthétique qui est un produit dérivé du pétrole, du plastique, quand on connaît les effets en terme de pollution de ces produits sur la planète».

Un argument contesté par Arnaud Brunois, fondateur du site lafaussefourrure.com, qui juge «d'un point de vue écologique plus judicieux d'utiliser un sous-produit pétrolier» que «d'élever chaque année 150 millions de bêtes (...) puis d'en récupérer les fourrures qui, au final, seront traitées avec des produits chimiques».

L'imitation ressemble parfois désormais à s'y méprendre à l'authentique, comme l'a démontré la créatrice britannique Clare Waight Keller chez Givenchy dans son défilé début mars, où se succédaient les manteaux en fausse fourrure.

«La plupart des maisons qui annoncent l'arrêt de la fourrure sont des maisons pour qui elle est marginale», souligne toutefois Serge Carreira, maître de conférences à Sciences Po, spécialiste de la mode et du luxe.

Pour Gucci (groupe Kering), les produits en fourrure représentaient 10 millions d'euros par an, selon son PDG, Marco Bizzarri, pour un chiffre d'affaires de 6 milliards d'euros en 2017... soit 0,16%.

Quel impact auront ces annonces sur le secteur? Pour Philippe Beaulieu, il est trop tôt pour le mesurer. Si les grands manteaux de fourrure se font plutôt rares dans les rues des grandes villes occidentales, les doudounes et parkas à cols de fourrure - vraie ou fausse -, elles, y font florès.

Mais le gros consommateur est la Chine, pour une filière qui pèse au niveau mondial plus de 30 milliards de dollars (24 milliards d'euros) selon des chiffres fournis en 2017 par la Fédération internationale de la fourrure (IFF).