On les voit sur des vedettes et des personnalités qui affichent sans gêne leurs convictions sur les réseaux sociaux ou dans la vie de tous les jours. Depuis quelque temps, les t-shirts et chandails avec des slogans féministes sont portés fièrement par des femmes et des hommes qui n'hésitent pas à faire entendre leurs idées. À tel point qu'on peut parler d'un véritable phénomène.

À Paris, l'automne dernier, lors du défilé de la collection printemps-été 2017, Maria Grazia Chiuri, première femme à occuper le poste de directrice artistique de la maison Christian Dior, a présenté le t-shirt «We Should All Be Feminists». Il s'agit du titre d'un Ted Talk et d'un livre de Chimamanda Ngozi Adichie, jeune écrivaine féministe nigériane, que la créatrice de Dior a découverte grâce à sa fille âgée d'une vingtaine d'années.

Ce chandail blanc Dior, vendu environ 800 $, est devenu culte avant même sa sortie en magasin en février dernier. Des stars comme Rihanna, Natalie Portman et Jennifer Lawrence ont clamé haut et fort leur conviction en posant avec le célèbre vêtement.

Depuis, toutes les marques comme H&M, TopShop, Zara, Mango, Forever 21, Female collective, des sites comme Etsy ou Asos ainsi que de jeunes créateurs se sont emparés de la folie et ont lancé leur t-shirt féministe à prix abordable. Comment expliquer cet engouement? «Le féminisme est dans l'air du temps et a désormais la cote», affirme Madeleine Goubau, chargée de cours à l'École supérieure de mode ESG UQAM.

«De nouveaux modèles inspirants, comme Emma Watson, ont mis le féminisme au goût du jour et l'ont expliqué dans des termes plus modernes, ce qui a popularisé la cause, surtout auprès des jeunes.»

Un combat inachevé

Selon Chantal Maillé, professeure en études féministes à l'Université Concordia, plusieurs artistes provenant de la culture populaire, comme Beyoncé ou Lady Gaga, se sont dites féministes dans les dernières années. Ces t-shirts, selon elle, démontrent bien cette proximité entre culture populaire et féminisme. 

«La jeune génération s'identifie et se sent interpellée par l'idée que le combat pour l'égalité entre les hommes et les femmes n'est pas terminé, estime la professeure. C'est aussi une libération que les jeunes vivent par rapport au féminisme, car il y a eu ces derniers temps un inconfort à l'idée de s'y identifier. Il y a un réenchantement par rapport au terme, qui a déjà été perçu comme péjoratif et associé à des stéréotypes.»

Sabrina Barilà, fondatrice de la marque La Montréalaise Atelier, a lancé dès le début 2015 ses chandails et t-shirts «Je parle féministe», qui obtiennent un vif succès. D'ailleurs, on a vu Lady Gaga en porter un lors de son passage à Montréal la semaine dernière. La designer avoue que ce n'est que très récemment, grâce aux propos de la journaliste Elizabeth Plank, qu'elle s'est identifiée à ce mouvement. 

«J'ai toujours été très solidaire à la cause, mais je ne me reconnaissais pas dans l'agressivité féministe dont j'ai été témoin en grandissant», confie la créatrice de 40 ans, qui dit avoir découvert depuis le féminisme sous un autre angle.

Chantal Maillé évoque aussi le «buzz» autour du mouvement. «Le nombre d'inscriptions à Concordia en études féministes a explosé. On est vraiment dans une bulle en ce moment, c'est une prise de conscience d'une génération qui est pourtant née avec le féminisme», estime la professeure.

Un autre élément important explique le succès de ces t-shirts: l'arrivée de Donald Trump à la présidence des États-Unis. «À la suite de son élection, beaucoup de designers, dans leur défilé, ont pris position sur des sujets comme le féminisme et l'immigration en créant des t-shirts à slogan», explique Madeleine Goubau, qui rappelle que, lors de la campagne présidentielle, une vidéo datant de 2005 avait refait surface, dans laquelle il parlait de sa technique de séduction auprès des femmes. «I Grab Them By The Pussy», disait-il.

Photo tirée du site Female Collective

Pussy grabs back, Female Collective, 40 $

«Ces propos contribuent à nourrir les velléités de libération et d'affirmation en portant un t-shirt à slogan féministe», poursuit Chantal Maillé. Il y a eu d'ailleurs une réaction très forte de la part des femmes avec le mouvement sur les réseaux sociaux #notokay et le t-shirt «Pussy Grabs Back» créé par la marque Female collective.

Chantal Maillé observe que des hommes aussi parlent ouvertement de féminisme. Elle pense notamment à Barack Obama qui, en 2016, lorsqu'il était président, a fait un discours sur le féminisme en déclarant (en parlant de lui-même): «This Is What a Feminist Looks Like» [«Voici ce à quoi ressemble une féministe»].

Commercialisation de la cause?

Ces t-shirts féministes suscitent des réactions et se vendraient très bien. Sabrina Barilà indique que les commandes sont nombreuses et viennent autant d'ici que de Toronto, de New York ou de Berlin. «J'ai eu toutes sortes de messages des gens sur mon chandail. Certains m'ont reproché de profiter de la cause pour faire de l'argent», dit-elle.

Les marques et créateurs récupèrent-ils le féminisme à des fins commerciales? «Oui, on peut y voir une certaine commercialisation de la cause», pense Madeleine Goubau, même si certains designers ont indiqué que la totalité des profits de la vente de leurs t-shirts était versée à des organismes aidant les femmes. Elle ajoute que le fait de tenir ce type de slogan confère une certaine aura aux marques. 

«Mais ne soyons pas trop cyniques, de tout temps, la mode a été le reflet de son époque et on vit une période trouble où il y a une perte de repères, et on a envie de prendre position. La mode peut le faire en s'engageant de cette façon.»

Mode et féminisme

Mode et féminisme font-ils bon ménage? «On pourrait en parler longuement!», lance Chantal Maillé. Cette dernière croit que dans ce féminisme de troisième vague, il y a un nouveau regard sur la mode, puisque nous vivons dans un monde qui s'est affranchi des codes par rapport aux vêtements. «Les jeunes féministes ont une capacité de réconcilier la mode et l'idée du féminisme. Être féministe, ce n'est pas renoncer à sa féminité ni cesser de se faire plaisir par rapport à la manière de s'habiller.»

photo tirée du site web de la Montréalaise Atelier

Je parle féministe, la Montréalaise Atelier, 65 $www.lamontrealaiseatelier.com