Peter Lindbergh est un des plus grands photographes de mode. On lui doit le phénomène des top-modèles qui a marqué le début d'une nouvelle ère. Et c'est un Québécois, Thierry-Maxime Loriot, qui se trouve derrière l'exposition qui rend hommage à Lindbergh à Rotterdam.

Avec 40 ans de carrière, Peter Lindbergh est l'un des photographes de mode les plus réputés dans le monde. Pour souligner l'événement, une grande exposition lui est consacrée au Kunsthal, musée de Rotterdam, et un livre impressionnant qui rassemble 400 photos a été publié aux éditions Taschen. Nous avons rencontré le commissaire de l'exposition et auteur du livre, le québécois Thierry-Maxime Loriot, à qui on doit le succès mondial de l'exposition La planète mode de Jean Paul Gaultier.

Quel est le style du photographe allemand, né en 1944, Peter Lindbergh? Des photos en noir et blanc, intemporelles, réalistes, très cinématographiques. Des portraits de femmes sans artifices, libres et indépendantes. Peter Lindbergh va transformer la photographie de mode avec son regard très humain. Ce sera le début d'une nouvelle ère dans la façon de voir la beauté des femmes.

«La femme des années 80 qu'on voit dans les magazines de mode est figée, la coiffure parfaite et étudiée, ultra-maquillée, portant un sac en crocodile dans un appartement de la 5e Avenue à New York ne correspond pas à la vision de Peter Lindbergh, car pour lui, on ne peut pas s'identifier à ce type de femme trop stylisée», explique Thierry-Maxime Loriot, commissaire de l'exposition et auteur du livre Peter Lindbergh - A Different Vision on Fashion Photography. Ce qui intéresse le photographe, c'est la personnalité des femmes, leur regard, leur émotion, leur intelligence. Il ne porte même pas attention aux vêtements et se moque des tendances, ce qui est paradoxal pour un photographe de mode. 

En 1988, Peter Lindbergh se rend sur la plage de Santa Monica à Los Angeles avec de jeunes mannequins qui débutent dans le métier: Cindy Crawford, Linda Evangelista, Christy Turlington, Estelle Lefébure, Tatjana Patitz, Rachel Williams et Karen Alexander. Elles ne portent que des chemises blanches et s'amusent sur la plage. La photo crée une onde de choc. Le magazine américain Vogue la refuse car elle provoque une trop grande rupture dans la façon dont on présente les femmes et la mode.

En janvier 1990, pour la couverture du Vogue britannique, Peter Lindbergh va réunir dans une photo cinq mannequins qu'on appelle désormais par leur prénom: Linda, Naomi, Cindy, Christy et Tatjana. «Cette image deviendra l'acte fondateur de l'ère des supermodèles que le photographe a lancée. Elle définit la nouvelle identité des années 90: les modèles n'y apparaissent pas comme de simples objets, elles font face au spectateur avec une confiance et une fierté qui parlent à beaucoup de monde», analyse Thierry-Maxime Loriot. Il souligne d'ailleurs que Peter Lindbergh était l'arme secrète de la nouvelle rédactrice en chef du Vogue américain, Anna Wintour, qui, dès 1988, veut imposer sa griffe avec un style nouveau.

Thierry-Maxime Loriot a rencontré Peter Lindbergh il y a près de 20 ans, lorsqu'il était mannequin. «Il a toujours été pour moi un personnage fascinant. Il a une empreinte unique et on reconnaît au premier coup d'oeil une photo signée Lindbergh par l'utilisation du noir et blanc et son esthétique minimaliste. Avoir cette approche anti-mode et être considéré comme le plus grand photographe de mode vivant, après Richard Avedon, Helmut Newton et Irving Penn, c'est incroyable. C'est un véritable artiste, explique-t-il. Grâce à son énergie, il crée une chimie et une intimité très grande avec les personnes qu'il prend en photo. Pour l'avoir vécu, il sait à quelle infime seconde capter le moment et contrôler sa lumière qui mettra en valeur son sujet.»

On découvre dans ce livre, qui paraît dans le monde entier et qui comprend des photos inédites, l'oeuvre impressionnante de ce photographe qui a travaillé avec les plus grands couturiers: Yves Saint Laurent, Christian Lacroix, Karl Lagerfeld et Jean Paul Gaultier, entre autres.

Peter Lindbergh a aussi photographié toutes les stars: de Kate Moss à Nicole Kidman, en passant par Tina Turner, Angelina Jolie et Catherine Deneuve. Sans oublier Brad Pitt, Sharon Stone, Cate Blanchett, etc.

photo Peter Lindbergh (fournie par Peter Lindbergh, Paris/Gagosian Gallery) Jean Paul Gaultier, S/S 1991

Lionel Vermeil, Helena Christensen & Marie-Sophie Wilson, Paris, Vogue Paris, 1990

Parmi toutes ces vedettes, on retrouve une photo d'Isabelle Boulay, qui n'en revient toujours pas de faire partie de ce livre. «Jamais je n'aurais cru que c'était possible de me faire photographier par Peter Lindbergh. C'est un cadeau du ciel! confie Isabelle Boulay, jointe au téléphone. C'est la photo la plus juste de moi qui révèle vraiment qui je suis.»

«La mode est une industrie qui fait rêver, mais Peter Lindbergh l'a démocratisée en l'emmenant dans la rue, souligne Thierry-Maxime Loriot. Les grands couturiers, même inaccessibles, sont devenus accessibles grâce à la façon dont les mannequins la portent, de manière naturelle, sans artifices.»

Selon lui, son travail est utile plus que jamais. «Personne ne travaille aujourd'hui de cette façon, sans retouches, sans Photoshop. Il n'y a rien de vrai dans les photos de mode. Avec Lindbergh, on voit de véritables éclats de rire, les gens s'amusent, les moments de nostalgie sont réels.»

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L'exposition A Different Vision on Fashion Photography est présentée au Kunsthal de Rotterdam jusqu'au 12 février 2017.

Photo Peter Lindbergh (fournie par Peter Lindbergh, Paris/Gagosian Gallery) Giorgio Armani, S/S 2015

Peter Lindbergh - A Different Vision on Fashion Photography, par Thierry-Maxime Loriot, publié aux éditions Taschen. Photo de Kate Moss, Paris 2015

Boulay rencontre Lindbergh

Toutes les photographies du nouvel album d'Isabelle Boulay qui sortira au printemps prochain ont été réalisées par Peter Lindbergh. «On ne m'a jamais vue de cette façon. C'est un autre visage qu'on va découvrir, mais c'est la personne que je suis dans la vie, dans l'intimité. Je suis quelqu'un qui rit beaucoup. La photo qui est dans le livre est le portrait le plus juste de moi, je l'adore», dit-elle. La chanteuse se souviendra toute sa vie de ce 4 septembre 2015, date de la séance photo qui a eu lieu à Paris. «C'est dans une atmosphère de grande simplicité que Peter Lindbergh a commencé à me photographier, tellement que je ne me suis même pas rendu compte que la séance photo avait commencé», s'exclame-t-elle. C'est Thierry-Maxime Loriot qui lui a présenté Peter Lindbergh il y a deux ans, pendant la semaine de la mode à Paris. «Peter Lindbergh a demandé qui j'étais et a démontré de l'intérêt à me photographier. On a passé la soirée ensemble et c'est là que la date a été fixée une année plus tard», raconte-t-elle. Et pourquoi la cigarette? «Peter Lindbergh fait fumer tous ses sujets en fin de séance. Ça ajoute d'autres gestes, une autre attitude. Je me suis dit que ça allait probablement me donner une certaine désinvolture et ça m'amusait. Ça ne me gêne pas, c'est une des seules cigarettes que j'ai fumées dans ma vie!»

Photo Peter Lindbergh, fournie par Audiogram

Isabelle Boulay, Paris, 2015, Saint Laurent par Hedi Slimane.