La plateforme web Tumblr compte à elle seule plus de 217 millions de blogues. Un important pourcentage de cette jeune industrie est réservé aux créneaux de la mode et de la beauté, majoritairement assurés par la gent féminine. Portrait d'un passe-temps qui se transforme en profession pour certaines.

Un à-côté qui ne paie pas le loyer

17 h 15. L'autobus est bondé. Téléphone intelligent en main, les voyageurs épluchent les nouvelles ou scannent leur Instagram. Le monde est numérique, et la blogosphère a tout à y gagner. Particulièrement les blogues de style art de vivre, qui amènent une chaleur humaine à l'univers web, parfois froid. « Les blogueuses écrivent comme si elles se confiaient à une amie, c'est un ton accessible », remarque Marie Vaillancourt, gestionnaire de contenu multiplateforme au magazine Elle Québec.

À écouter les blogueuses d'ici, ce sentiment de communauté est souvent leur motivation première. « J'ai lancé mon site web parce que je voulais partager mes découvertes mode locales. À ce moment, il y avait très peu de blogues du genre à Montréal », explique Anik Lacasse, rédactrice du blogue Montreal in Style, inauguré en 2009. Même son de cloche chez Camille Desrosiers-Gaudette, rédactrice en chef de la plateforme web Le Cahier. « Ce qui m'attire avant tout est la liberté de m'exprimer sur ce que je veux et ainsi créer une discussion en temps réel avec les lectrices », confie la jeune entrepreneure.

Avec le temps, une relation de confiance s'installe entre la blogueuse et son lectorat. Une proximité qui vaut de l'or pour les annonceurs, qui recherchent constamment de nouvelles façons d'atteindre leur public cible. Geneviève Allaire, chargée de compte pour l'agence de presse Bicom, assure le lien entre les entreprises et les rédactrices de ces plateformes populaires. « Les tendances se développent maintenant sur le web et les réseaux sociaux. Les blogueuses représentent des vecteurs d'influence pour les décisions d'achat de leurs lectrices », explique-t-elle. Une occasion pour les marques de parler directement à leur clientèle et pour les blogueuses de générer un revenu.

Grâce à ces associations, qui vont de l'endossement de produits à l'animation d'événements, des superstars du web, comme Chiara Ferragni, auteure du blogue The Blonde Salad, encaissent plusieurs millions de dollars par an. Malheureusement, cette réalité n'est accessible qu'à une infime fraction du milieu. « Certaines ont la chance d'en vivre, mais pour la majorité, c'est un à-côté qui ne paye pas le loyer », confie Anik, qui travaille aussi comme gérante à la boutique Unicorn dans le Mile End.

Un fait qui s'explique, entre autres, par la surpopulation de la blogosphère. D'où l'importance d'offrir du contenu de qualité dans l'air du temps, selon Geneviève Allaire. « Seuls les blogueurs qui sauront s'adapter pourront perdurer », souligne-t-elle.

Photo tirée du blogue Le Cahier

Camille Desrosiers-Gaudette, auteure du blogue Le Cahier.

Cinq histoires à succès

ITALIE : THE BLONDE SALAD, PAR CHIARA FERRAGNI

Il y a six ans, la blogueuse lançait son blogue en guise de passe-temps. Un passe-temps particulièrement profitable, sachant que l'Italienne empochera 8 millions de dollars en 2015. Malgré ses actes de présence événementiels au coût de 50 000 $ et ses collaborations avec Christian Dior et Cartier, c'est sa collection de chaussures ludiques qui génère la majorité de ses profits. Pour répondre à la demande, elle emploie maintenant 16 personnes pour faire rouler son blogue. La consécration de la reine du web s'est produite lorsqu'elle a orné la page couverture du Vogue Espagne en avril dernier, devenant ainsi la première blogueuse à pouvoir se vanter d'un tel exploit.

SUISSE : KAYTURE, PAR KRISTINA BAZAN

Quand ses fans se sont autoproclamées les Kayturettes, la jeune Suissesse (elle n'a que 21 ans !) a dû se douter qu'elle avait atteint un nouveau seuil de popularité. Son aventure a commencé en 2009, alors qu'elle lançait son site afin de promouvoir sa carrière de chanteuse. Ironiquement, c'est plutôt son flair vestimentaire impeccable qui a retenu l'attention. Six mois plus tard, Vogue l'invitait à la Fashion Night Out de Tokyo et marquait ainsi son arrivée dans la cour des grands. Aujourd'hui relocalisée à Los Angeles, elle travaille aux côtés de sa meilleure amie et de son ex-copain. Malgré l'ampleur du phénomène, la comptabilité reste entre les mains de sa mère, basée en Suisse.

ÉTATS-UNIS : MAN REPELLER, PAR LEANDRA MEDINE

La recette du succès de ce blogue ? Le style juste assez déphasé de la fondatrice et sa plume drôlement absurde. Elle a lancé son blogue en 2010, alors qu'elle complétait son diplôme en journalisme à l'université Parsons de New York. Deux ans dans l'industrie et elle signait déjà avec l'agence de talents CAA, qui s'occupe aussi de Nicole Kidman et de Kanye West. Un livre (Seeking Love. Finding Overalls) et une série de vidéos mode pour Style.com plus tard, la blogueuse et ses six employés planchent à offrir un blogue bourré d'humour et d'intelligence, pour ses centaines de milliers de visiteurs mensuels.

CANADA : BECKERMAN BITE PLATE PAR CAILLI ET SAM BECKERMAN

Le blogue de ces jumelles torontoises est comme boire de l'Orange Crush tout en s'empiffrant de Skittles. C'est coloré et éclaté ! Et c'est exactement ce qui explique leur succès. Après des études en mode à l'université FIT de New York et le lancement d'une marque qui n'a pas survécu à la récession, les deux blondes inaugurent leur blogue en 2009. Leur signature excentrique et singulière leur a permis de devenir les ambassadrices de Coach et de Disney. Un moment mémorable ? En mai dernier, la maison Chanel les a invitées à Dubaï pour assister au défilé croisière.

QUÉBEC : LE CAHIER PAR CAMILLE DESROSIERS-GAUDETTE

Fondatrice de l'agence web Codmorse et du blogue Le Cahier, qui a maintenant son pendant anglais The Booklet et son émission sur la chaîne MAtv, Camille multiplie les projets à un rythme effréné. Son dévouement - et celui des 60 collaborateurs qui nourrissent le site - lui permet de vivre de sa passion. Une présence médiatique qui en vaut la chandelle ! Elle a récemment signé une entente avec le magazine Flare et Air Transat pour des capsules qui la feront voyager partout dans le monde. La prochaine étape : charmer le reste du Canada et nos voisins du sud.

Six trucs pour réussir son blogue

Choisir la bonne plateforme 

Avant de s'attarder sur le contenu, il faut d'abord prioriser le contenant. Un nombre infini de plateformes existent, et il est primordial de trouver celle qui répond à ses besoins. Tumblr, Squarespace ou Wordpress offrent des tarifs et des fonctionnalités variés, allant de la mise en page de base à la création d'une e-boutique. Pas de coup de coeur ? Un site créé sur mesure pourrait être la solution. Évidemment, des coûts supplémentaires sont à prévoir.

Trouver sa voix 

Soixante-huit mille billets de blogue sont publiés chaque minute sur la toile. Ne vous découragez pas ! Cela confirme simplement l'importance de se différencier des autres. Regardez ce qui se fait déjà et tentez de trouver une niche qui n'a pas encore été exploitée. Autrement, utilisez votre expertise dans un domaine donné pour créer du contenu que les gens voudront lire. Votre passion se ressentira à travers votre écriture.

Les médias sociaux, encore et encore ! 

Ce n'est pas surprenant : être actif sur les médias sociaux est essentiel pour la croissance et le maintien d'un blogue. Un contenu partagé, aimé ou « instagrammé » vaut de l'or ! Concentrez-vous sur les plateformes qui conviennent réellement à votre blogue, de Twitter à Snapchat, et exploitez-les à leur plein potentiel. De plus, en identifiant des marques ou des mots-clics dans vos publications, vous augmenterez vos chances de vous hisser au top de la blogosphère.

Le contenu est roi 

Il est facile de se perdre dans la mise en ligne, la promotion de billets et les réseaux sociaux. Mais attention ! Un blogue sans contenu de qualité ne fera pas long feu. Des propos pertinents (et sans fautes !) et des images léchées sont les fondations d'un site réussi. Des titres accrocheurs qui incluent des mots populaires sur les moteurs de recherche sont aussi essentiels pour atteindre votre but, c'est-à-dire être lu.

Investir à long terme 

Suivi de courriels, prise de photos, écriture de billets, événements médias... Avoir un blogue requiert temps et argent. Pour soutenir l'intérêt des lecteurs, le contenu doit être constamment mis à jour. Il faut donc prévoir des plages horaires à l'extérieur de notre gagne-pain principal pour le maintien du site. À cela s'ajoute un lot de dépenses usuelles allant de l'achat d'une plateforme aux dépenses complémentaires, comme une caméra numérique ou le transport d'un rendez-vous à un autre.

Des profits, mais pas à n'importe quel prix

Bien sûr, tout le monde rêve de pouvoir vivre de son blogue ! Bien que ce soit possible, il faut s'aventurer dans le monde de la publicité et du contenu commandité avec précaution. Au fur et à mesure qu'un blogue gagne en popularité, les demandes d'annonceurs tendent à se multiplier. Il faut donc trier celles qui pourront s'intégrer organiquement à l'identité du site sans faire fuir son lectorat. Pas de pages vues, pas de revenus.

Photo Masterfile

Soixante-huit mille billets de blogue sont publiés chaque minute sur la toile.

24 heures dans la vie de...

Dans la tête de bien des gens, le quotidien d'une blogueuse se résume à prendre des égoportraits et à boire du champagne aux événements de presse. En réalité, cette portion représente une infime fraction du travail qui se cache derrière un blogue. Incursion dans le monde d'une des figures montantes de la blogosphère canadienne.

Nom : Candice Pantin 

Blogue : I Like I Wear 

La routine matinale

Je me réveille généralement vers 7 h et je jette un coup d'oeil à Instagram. Je tiens aussi un journal dans lequel j'énumère les choses sur lesquelles je veux me concentrer durant la journée. C'est ensuite le temps d'une marche avec mon carlin Winston et d'une séance de yoga, si j'ai le temps. Je m'habille - je porte quasi exclusivement du noir et blanc -, je me maquille et je suis prête pour le boulot.

Une journée de travail typique

Il est primordial pour moi de séparer le travail de la maison, alors je loue un bureau dans un espace partagé avec d'autres artistes. Une fois arrivée, je fais le suivi de courriels, j'écris un billet et je fais de la rédaction à la pige pour des compagnies de mode. En fin de matinée, puisque la lumière est parfaite au studio, j'en profite pour photographier des produits ou des looks pour mon site.

J'essaie aussi d'assister aux événements de presse, mais le manque de temps est assurément un obstacle. Étant seule à la barre de mon site, je dois aussi m'occuper des relations publiques, des collaborations avec les marques, des négociations de contrats, des médias sociaux... Heureusement, je viens tout juste d'engager quelqu'un qui s'occupera de l'aspect marketing de la plateforme. De cette manière, je pourrai me concentrer sur mes passions : la création et la direction artistique.

De temps à autre, j'ai aussi la chance de voyager. En février dernier, j'ai été invitée à Las Vegas pour couvrir la foire mode PROJECT et à la semaine de la mode de Toronto pour assister à la portion backstage.

Le soir venu

Ça m'arrive de travailler, mais idéalement jamais après 21 h. Autrement, je n'arrive plus à dormir. Avant de me coucher, je fais une liste des choses qui sont arrivées dans la journée pour lesquelles je suis reconnaissante. C'est un monde qui peut être superficiel, d'où l'importance de ne pas s'en faire avec les petits tracas et de garder une énergie positive.

Photo Alain Roberge, La Presse

Candice Pantin