Que serait un bossu sans son dos voûté ou une reine sans sa couronne? Le vêtement de scène est un élément essentiel de l'univers esthétique du théâtre. Notre journaliste s'est faufilée dans les coulisses de la tragédie shakespearienne Richard III, présentée au TNM du 10 mars au 4 avril, pour jeter un coup d'oeil sur ses costumes signés Yso.

LE COSTUME AU SERVICE DU JEU

Sylvie Drapeau manipule l'étoffe soyeuse de son costume, en évalue le mouvement. La robe rouge - celle d'une reine, il ne fait aucun doute - répond en ondulant à chaque envolée, se métamorphosant pour se faire tantôt cape, tantôt châle. L'habit se lie à la comédienne pour nourrir le personnage.

Jusqu'à ce jour, les comédiens ont répété dans leurs propres vêtements. Ils devront maintenant apprendre à négocier les dénivellations d'un décor exigeant dans leurs tenues de scène. Source de stress? « Je dirais plutôt que c'est un beau défi. Je devrai être vigilante, mais j'aime travailler avec le vêtement. Ça m'inspire », lance Sylvie Drapeau, ravie, qui y voit mille et une façons d'épouser davantage les subtilités de son personnage.

Satisfait, le costumier Siphay Southidara, connu sous le nom d'Yso, se garde de pousser un soupir de contentement. C'est qu'il reste encore beaucoup à faire. Ce deuxième essayage a lieu à moins de deux semaines de la première : du luxe pour les comédiens qui se familiarisent normalement avec leurs habits de scène à la dernière minute, mais pour lui, qui doit gérer les altérations sur plus d'une centaine de morceaux, cette longueur d'avance n'est pas de trop pour abattre une besogne colossale qui comprend aussi de choisir ou même de trouver les bijoux, coiffes et autres accessoires.

Heureusement, le costumier ne fait pas ici ses premières armes. Son expérience lui permet de mener à terme un projet de l'ampleur de ce classique shakespearien. Par ailleurs, il a saisi d'emblée la vision de la metteure en scène Brigitte Haentjens, pour avoir travaillé avec elle à quelques reprises. Muni de ciseaux, d'aiguilles et de crayons, Yso en matérialise la poésie.

ENTRER DANS LE JEU

Cette poésie se veut en l'occurrence contemporaine : l'action prend place au milieu du XVe siècle, lors des événements qui menèrent, en Angleterre, à la fin de la guerre des Deux-Roses, mais c'est un regard actuel que la metteure en scène choisit de poser sur le texte. Et les costumes en sont l'une des manifestations les plus évidentes.

Certains morceaux trouveraient d'ailleurs leur place sur un tapis rouge. C'est le cas pour ces vestes et pantalons ornés de paillettes mates ou d'empiècements de cuirette, qui s'inscrivent dans les tendances du moment autant que dans la trame de la pièce.

Les coupes, les détails et les matières sont d'aujourd'hui, mais jouent avec les codes collectifs pour favoriser la compréhension. Dans cette « cotte de mailles » dont les maillons sont remplacés par des fermetures éclair, le spectateur verra une armure.

« Nous ne faisons pas du cinéma ou du documentaire. La recherche d'authenticité n'est pas nécessaire au théâtre. C'est là toute sa beauté. Le public accepte d'entrer dans le jeu », souligne la metteure en scène.

Si le vêtement de théâtre peut se permettre une certaine latitude, il n'en reste pas moins un repère pour le spectateur et le premier élément qui permettra à ce dernier de se faire une idée du personnage, de sa fonction, de sa classe sociale ou de sa culture.

Certains choix s'imposent : le roi aura une couronne, les personnages de la royauté arboreront des dorures. Les clichés deviennent essentiels à la compréhension, car, contrairement à une télésérie échelonnée sur plusieurs semaines, le théâtre ne peut donner dans la subtilité. Question de temps!

LE « DÉTAIL » QUI BOUCLE LA BOUCLE

L'habit de scène est un outil important dans la construction de l'image du personnage et le travail de celui qui le dessine est fondamental, même si le comédien devrait pouvoir faire croire en son personnage en jouant en survêtements, croit Brigitte Haentjens.

Tout en posant les dernières épingles au costume du roi Richard III - personnage machiavélique au physique difforme - , Yso lance la question : devrait-on fixer une manche du costume pour que le bras reste immobile? Cette responsabilité incombe à l'acteur, croit son interprète, Sébastien Ricard, qui a travaillé à intégrer la gestuelle du tyran.

« Je ne suis pas un acteur très porté sur le costume. Si tu n'as pas trouvé ton personnage, il est trop tard pour t'en remettre au vêtement. Mais il est vrai que ça apporte quelque chose », mentionne-t-il. À plus forte raison pour le personnage de Richard III, dont la démarche claudicante est exagérée par une semelle compensée, et la scoliose, soulignée par une bosse.

Tous les comédiens n'accordent pas la même importance à leur costume, mais tous s'entendent : on ne repose pas sur lui pour bâtir le jeu. « Le personnage nous habite et le corps répond. Quand le vêtement arrive, ça vient amplifier ce qui est ressenti », explique la comédienne Louise Laprade. 

Au-delà de ces considérations, les vêtements comme le maquillage font partie d'un rituel qui permet au comédien de quitter le quotidien pour rejoindre son personnage. Une façon « d'entrer en soi » pour Sébastien Ricard, une préparation qui s'apparente à « un rendez-vous amoureux où rien n'est laissé au hasard », pour Sylvie Drapeau.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Sébastien Ricard

LE COSTUMIER DU ROI

Yso? « C'est un génie », déclare la metteure en scène Brigitte Haentjens, qui ne tarit pas d'éloges pour le concepteur des costumes de Richard III. Au théâtre, mais aussi en mode dont il est issu, le designer et costumier laisse son empreinte poétique et énigmatique.

« Il a une sensibilité artistique incroyable et une approche moins traditionnelle que j'aime, affirme Brigitte Haentjens. Et puis c'est aussi un travailleur acharné, un perfectionniste. »

Pas assez au goût d'Yso, qui prendrait quant à lui plus de « perfection ». Le théâtre a cependant le don de vous ramener à des considérations pratiques. « Je ne fais pas de la haute couture, mais l'idée est tout de même là. À un certain moment, je dois par contre faire un compromis pour que le vêtement soit fonctionnel, et il arrive que le velcro s'impose! »

Le rôle de costumier, qui lui offre la possibilité de laisser libre cours à sa créativité, semble taillé sur mesure pour lui. « C'est tout ce que j'aime faire. Je ne cherche pas à coller à la réalité et le théâtre me permet de m'éclater. Brigitte me dit les grandes lignes : je vois du noir, quelque chose de simple, par exemple - elle voit toujours quelque chose de simple - et puis elle me laisse carte blanche. C'est tellement rare! »

UNE APPROCHE BIEN PERSONNELLE

Discret, exigeant, l'artiste mène sa barque avec douceur, mais sans perdre le fil de sa direction. Pour réaliser ce qu'il a en tête, et parce qu'il aime tous les aspects de la création, il enfile plusieurs chapeaux. Difficile de déléguer, admet-il, mais cette polyvalence nourrit, selon lui, la conception et la réalisation de ses vêtements.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

La designer Yso

Yso a une signature qui lui est propre, même au théâtre. D'abord designer, il faisait défiler ses créations sur les passerelles montréalaises bien avant qu'elles ne montent sur les planches. Sa carrière a toutefois pris une autre tangente lorsque la costumière Julie Charland, avec qui il partageait son atelier à l'époque, l'a mis en contact avec Brigitte Haentjens.

« C'est une autre corde à mon arc », considère celui qui a depuis travaillé avec Louise Lecavalier et l'Opéra de Montréal, tout en poursuivant ses collaborations en mode avec le magazine Dress to Kill et le designer Denis Gagnon, son fidèle allié, qui l'a d'ailleurs encouragé à lancer sa ligne à l'époque où il travaillait pour lui.

LA MODE COMME INSPIRATION

Au théâtre, son approche est aussi celle du designer. La modernité s'inscrit avec lui de manière subtile, dans un non-lieu, entre passé et futur : ce pantalon de style jogging porté par Richard III aurait pu faire partie d'une ligne de prêt-à-porter, mais colle pourtant au personnage.

Sa maîtrise des matières et des coupes est aussi révélatrice de son doigté. Ce qui fait s'étonner les comédiennes devant la légèreté de leurs robes qui, pourtant, semblent lourdes. S'ajoute un mélange des cultures : originaire du Laos, Yso est allé puiser dans les tissus de son pays, comme ceux des sarongs de sa mère, pour orner de dorures les costumes féminins et leur donner un côté oriental et royal!

« Au théâtre, il y a une profondeur qui me nourrit. Il y a des gens extraordinaires qui sont habités, qui ont du charisme, des gens d'émotions. Les voir se donner à leur passion, c'est fascinant! Je ne peux que chercher à me dépasser également », explique le designer.

Dans les prochaines semaines, il ira s'assoir dans la salle pour avoir le bonheur de voir s'animer, sur scène, ces créations qu'il a modulées dans les moindres détails et qu'il considère comme ses plus achevées jusqu'à maintenant. Puis, dans l'ombre, il les saluera une dernière fois avant de les laisser aller rejoindre leurs semblables dans la collection du TNM.

Les cinq secrets d'un costumier

« C'est important de connaître les matières et comment elles réagiront sur scène une fois éclairées, peu importe leur prix. Une crêpe de soie qui ne prend pas la lumière, ce n'est pas intéressant! »

« Il faut être expérimenté pour y arriver. Ça prend de la discipline et de la constance. Je commence tôt, vers 7 h-8 h du matin et je termine à 18 h 30. Il y a une régularité nécessaire pour arriver à l'échéance. »

« Moi, j'aime '' rusher '' dès le début pour avoir le luxe de changer des choses jusqu'à la dernière minute. Quand c'est le cas, c'est que j'ai bien travaillé! »

« Côté budget, je dois faire preuve de créativité pour économiser à certains endroits [des gants de vaisselle noirs pour les chevaliers, par exemple] afin de mettre plus d'argent sur les vêtements. »

« Tous les petits détails comptent : la finition, le confort, comment le vêtement bouge... Le morceau doit tenir la route! »

LES COMÉDIENS ET LEURS HABITS

SYLVIE DRAPEAU

Personnage : la reine Élisabeth, femme d'Édouard IV, lui-même frère de Richard III

« Élisabeth est une femme en guerre. J'ai travaillé ce personnage en lui injectant une certaine dose de testostérone et je me suis demandé, à un certain moment, si je ne devais pas apporter plus de féminité à mon personnage. J'ai décidé de faire confiance à la robe. Elle contient toute la féminité du personnage, le feu qui l'habite, sa sensualité et sa combativité.

« Quel parfum porterait Élisabeth? Rien d'exubérant. Un effluve très doux, un reflet de ce qui se passe à l'intérieur d'elle et qu'on ne perçoit pas... Un parfum d'Hanae Mori, probablement. Le fait d'en parler me donne envie d'aller le chercher!

« Je suis du genre à faire une demande pour que mon personnage porte des boucles d'oreilles, ne serait-ce qu'un petit point de lumière. Ça me branche et ça me met en confiance. »

SÉBASTIEN RICARD

Personnage : Richard III

« Dans le cas de Richard, le costume est significatif. Il a une difformité qui est soulignée par le costume. Ce sont des modifications qui affectent la mécanique du corps.

« Des tics d'acteur? On va mettre tel morceau avant l'autre, par exemple, mais j'essaie de ne pas être trop superstitieux, parce qu'à un moment, ça devient un gouffre. »

LOUISE LAPRADE

Personnage : la duchesse d'York, mère de Richard et d'Édouard IV

« C'est une robe royale, avec ces dorures. Elle est légère, en opposition avec le personnage qui, lui, n'est pas léger. Mais son volume impose sa présence. J'aime bien, parce qu'il n'y a pas beaucoup de femmes dans cette pièce [la pièce compte quatre personnages féminins].

« J'aime bien faire le maquillage moi-même. C'est un moment de méditation. Normalement, j'aime le faire dans le silence pour aller là où je m'en vais! »

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Louise Laprade

Des costumes... lavables?

La question est pratique et peut-être naïve, mais osons-la tout de même : y a-t-il un double des costumes pour... vous savez, évacuer les odeurs entre deux représentations? Faute de temps et de budget, la réponse est non. Certains vêtements pourront être lavés à sec ou à la machine, mais pour la plupart, des sous-vêtements lavables ont été prévus pour absorber la sueur. Ah!

Mais il ne faut pas se leurrer, une demi-heure passée dans une cotte de mailles lors d'une scène de bataille et sous les projecteurs a de fortes chances de vous laisser un comédien trempé de bord en bord. Mais le théâtre, c'est aussi ce côté humain, qui ne sent pas nécessairement la rose!