Les bijoux d'Édéenne ont chacun une histoire à raconter et sont autant de petits univers poétiques à découvrir. Portrait d'une joaillière qui s'est taillé une place parmi les grands en quelques années.

En moins de 10 ans, Édéenne a réussi à se tailler une place de choix dans le cercle fermé de la haute joaillerie française, aux côtés de maisons prestigieuses comme Van Cleef & Arpels, Mellerio et Cartier. Seule Québécoise installée rue de la Paix, épicentre du luxe français, elle y façonne les bijoux distincts qui ont capté l'attention des collectionneurs.

On dit des bijoux d'Édéenne qu'ils sont féminins. Le fait qu'ils sortent de l'imaginaire d'une femme, alors que le milieu de la haute joaillerie est plutôt masculin, y est certes pour quelque chose. Inspiré des contes de fées, du 7e art, des souvenirs d'enfance de leur créatrice ou encore de celle ou de celui qui l'enfilera, chacun porte en lui un univers poétique qui lui est propre.

L'artiste a trouvé dans ce support précieux un moyen de rendre hommage à la vie. Transposer la beauté en bijou, c'est d'ailleurs l'obsession avouée d'Édéenne, qui conçoit ses créations comme autant de moyens de combattre la morosité ambiante.

« Moi, je témoigne de la vie des gens. J'aime les écouter, les aider à fleurir », raconte la joaillière, qui passe plusieurs heures avec son client pour en capter l'essence avant de se plonger dans la création. Naissent de ces rencontres des pièces-portraits uniques, qui révèlent à leur façon celui ou celle pour qui elles ont été conçues.

C'est ce côté exclusif que cherche sa clientèle, qui préfère l'individualité aux clans sélects des grandes marques et qui est prête à débourser une coquette somme pour l'obtenir. Le prix de ces créations, façonnées dans l'or jaune ou blanc et serties de pierres précieuses, débute à 3000 $.

Édéenne n'est pourtant joaillière que depuis 10 ans à peine. Comment une fille de Longueuil a-t-elle pu entrer en trombe dans cet univers sélect, sur le tard de surcroît? Avec une énergie qui laisse deviner qu'elle n'est pas arrivée là par hasard, elle raconte son parcours atypique. Conteuse avec les gemmes, conteuse avec les mots...

DE LONGUEUIL À LA PLACE VENDÔME

À 23 ans, après avoir complété un baccalauréat en histoire de l'art, elle quitte Montréal pour la Ville Lumière où elle obtient un doctorat en cinéma de la Sorbonne. Elle dénichera d'abord un emploi au ministère des Affaires étrangères, puis occupera le poste de directrice générale d'une société de production de documentaires dont elle changera la vocation au milieu des années 90 pour en faire une start-up, flairant là des occasions d'affaires.

En 2000, la boîte sera vendue. Édéenne deviendra consultante pour de grandes entreprises et leurs patrons. Trois ans plus tard, elle arrivera néanmoins dans un cul-de-sac.

Alors qu'elle fait de la plongée sous-marine au lac Majeur, un événement se charge de lui indiquer une autre voie : par un phénomène de réfraction de lumière, un arc-en-ciel colore les pierres du fond du lac et les fait ressembler à des joyaux. L'artiste y voit un message clair.

Elle retourne à l'école à l'âge de 45 ans et obtient un brevet en gemmologie, puis s'inscrit à la HBJO, l'une des deux écoles parisiennes formant les joailliers, avec la ferme intention d'y acquérir rapidement les outils pour devenir joaillière et faire des bijoux d'art.

Avec l'urgence de quelqu'un qui n'a pas une minute à perdre, elle plonge dans l'aventure en déployant tous ses moyens. Et le reste suit. À 50 ans, elle soulignera cette « renaissance » en adoptant le prénom imaginé pour sa grand-mère, Édéenne, refusant d'ailleurs de mentionner son ancienne identité.

« J'ai pris toute une vie pour arriver à cette naissance, explique l'artiste qui met dans ses bijoux tout ce qu'elle a appris jusqu'à maintenant. Je le fais avec la maturité et le bagage d'une femme qui a vécu. À 25 ans, j'aurais fait des bijoux comme on me l'aurait enseigné. J'ai fait fi de tout ça. »

LA CONSÉCRATION

Alors que la plupart des designers mettent une vie à obtenir une reconnaissance - si celle-ci daigne seulement se pointer -, Édéenne n'aura eu à patienter que cinq ans pour connaître la consécration.

En 2008, la Grande chancellerie lui ouvrira les portes de son musée. L'institution triplera ses entrées avec cette exposition durant laquelle les visiteurs sont invités à découvrir, à la lampe de poche, 54 pièces signées par la joaillière.

Des invitations à exposer partout dans le monde suivront, lui permettant de réaliser un autre rêve, qui est de voyager.

Honneur ultime, la maison de haute joaillerie Mellerio Dits Meller, consacrée joaillier des rois en 1613, la choisissait l'an dernier pour créer une collection exclusive à l'occasion de ses 400 ans. Cette collection a été révélée dans le cadre de la semaine de la haute couture.

Prochainement, pour le magasin de luxe de Hong Kong Lane Crawford, la créatrice a été invitée à signer une collection qui sera son interprétation des contes chinois.

La reconnaissance est mondiale, pourtant son nom est encore méconnu ici, donnant raison au proverbe selon lequel nul n'est prophète en son pays. Cela prendra toutefois fin bientôt : à l'automne 2015, le Château Dufresne lui déroulera son tapis rouge avec une exposition rendant hommage à son parcours.

Ce qu'en dit la principale intéressée? « Je kiffe ma race d'être enfin à Montréal, comme on dit en France! » L'expression n'est ni poétique ni très « place Vendôme », mais a tout l'air sincère. On gardera cet élan de spontanéité juste pour nous...