Il y a 30 ans,  se lançait dans la confection de maillots et ouvrait la première boutique consacrée à ce vêtement au Québec. Sa fille Mélissa se prépare aujourd'hui à reprendre le flambeau. Deux générations de femmes, deux styles de gestion, mais un même objectif inscrit dans l'ADN: rendre hommage à toutes les silhouettes avec le bon maillot!

Travailler avec sa mère, c'est devoir dissocier, bien souvent, les émotions des affaires. «On trouve tour à tour qu'on exagère!», avouent les deux femmes, l'une étant trop prudente aux yeux de l'autre ou, inversement, téméraire. Mais, somme toute, elles s'entendent pour dire qu'il s'agit plutôt d'une chance.

Dans la petite entreprise, les décisions se prennent à deux, en tenant compte des compétences de chacune. On ne se marche pas sur les pieds. Chacune a ses forces: la jeune femme de 36 ans s'implique dans le marketing, la mise en marché, les boutiques et l'achat de produits; la mère se concentre aujourd'hui davantage sur l'atelier, la conception et le design des maillots.

La transition vers la retraite se fait en douceur pour Angela Jones, qui devrait, d'ici un an ou deux, confier les brides de son entreprise à sa fille. «Mélissa rencontrera probablement moins de difficultés que moi. Ce sera plus structuré. Je crois bien qu'elle pourrait doubler l'entreprise», prévoit la femme d'affaires, qui peut s'accorder le mérite d'avoir su bâtir d'excellentes assises.

Mener sa barque seule

Mélissa avait 6 ans quand sa mère a lancé sa collection de maillots de bain. Contre toute attente, des quatre filles de la famille Jones, c'est elle qui a décidé de s'impliquer dans l'entreprise, en 2002 - parmi les autres, l'une a choisi les ressources humaines et ses deux soeurs, les métiers d'avocate et de dentiste.

«Ma mère m'emmenait magasiner des tissus et des boutons quand j'étais petite et j'haïssais ça parce que je trouvais ça long!», explique la bachelière en administration, qui a été témoin des nombreuses concessions faites par sa mère pour garder le phare, tant sur le plan professionnel que familial. Elle en retient une détermination à toute épreuve.

«Ma mère a travaillé fort toute sa vie. Elle m'a montré qu'on n'a rien pour rien. Elle nous a donné une belle vie, à moi et à mes soeurs, et c'est important pour moi qu'elle ait une reconnaissance aujourd'hui.»

De l'hôpital à la boutique

Dans les années 80, l'offre est maigre pour qui cherche un vêtement de plage hors saison. Angela Jones est alors infirmière à Québec, et il n'est pas évident de trouver une gardienne pour s'occuper de ses quatre filles durant ses quarts de soir et de nuit. Guidée par ces contraintes, elle décide de réorienter sa carrière et se lance dans la confection de maillots.

Six mois après avoir commencé, elle ouvre sa boutique, la première spécialisée en maillots au Québec, à la Place Laurier, dans la capitale. Obtenir du financement n'est pas chose facile: l'époque où une femme mariée ne pouvait faire d'emprunt sans la signature de son mari est encore récente, et on en sent les relents, se souvient-elle. L'entrepreneuse doit, plus souvent qu'à son tour, «sortir son caractère».

La montée des taux d'intérêt, à l'époque, n'est pas non plus favorable aux affaires. Elle comptera donc sur son propre financement et patientera jusqu'en 2002 pour ouvrir une deuxième boutique, cette fois à Montréal.

Dès le départ, l'idée de faire des maillots sur mesure s'impose. «Nous étions un petit fabricant local, raconte la matriarche. Les clientes nous demandaient des retouches. On s'est rendu compte qu'on pouvait les fidéliser en leur offrant ce service qui n'existait nulle part ailleurs.»

Miser sur la qualité

Autre époque, autres enjeux. L'approvisionnement en tissu devient plus ardu. Le recrutement de couturières aussi. L'entreprise songe d'ailleurs à déménager son atelier de fabrication dans la métropole, où il y a plus de main-d'oeuvre qu'à Québec.

Par ailleurs, si la boutique avait le champ libre à ses débuts, elle a vu la compétition s'installer. La concurrence est devenue plus forte au fil des années, dans un marché tout aussi restreint. «Tu ne peux pas faire un maillot et le vendre 15$, c'est impossible quand le produit est bien fait», dit-elle. Ce qui ne l'empêche pas de songer à ouvrir éventuellement des boutiques sur les deux rives de Montréal, où sa fille, postée dans la métropole, sent une demande.

Devant les grands acteurs du marché qui offrent des produits à petits prix, mère et fille sortent leurs atouts : des maillots de qualité, fabriqués ici. «On produit de petites quantités à la fois et on réajuste nos modèles au fur et à mesure qu'on reçoit des commentaires de nos clientes. Le fait d'être près de notre cliente nous donne une souplesse. Les grosses compagnies ne peuvent pas se permettre ça.»

Encore aujourd'hui, le sur-mesure fait la force de la marque. «Ce n'est pas toujours payant parce que c'est plus long à faire, mais je suis certaine que c'est ce qui a fidélisé notre cliente. Ça et la qualité», estime Mme Jones, mère.

La marque a un autre avantage sur ses rivales: pour être à l'aise dans leur maillot et dégoter le modèle qui leur fait parfaitement, les femmes sont prêtes à mettre le prix. La raison est simple : un mauvais maillot ne pardonne simplement pas!

Dans l'univers des Misses Jones

En boutique, la cliente peut choisir l'option mix and match ou le sur-mesure. Dans ce cas, elle est invitée à choisir son maillot parmi différents modèles et un éventail de tissus et de détails. Les vendeuses indiquent les corrections et les envoient ensuite à Québec, où elles sont réalisées. On peut ainsi échancrer, allonger, amincir une bretelle, ou encore tailler un bassin plus petit par rapport au haut. Les maillots une pièce et les bikinis se vendent entre 150$ et 250$, selon les tissus, les détails et la complexité du modèle. Les modifications s'ajoutent à la pièce, par tranche de 15$.

Photo Denis Clermont