Les collections capsules ont pris d'assaut les rayons des magasins à grande surface comme H&M et Target, et permettent désormais aux consommateurs d'avoir accès à des créations de designers reconnus à petit prix. Regard sur un phénomène qui ne semble pas près de s'essouffler.

Depuis que Target et H&M ont décidé, au tournant des années 2000, de lancer régulièrement des collections capsules en collaborant avec les noms les plus connus de la mode internationale, le phénomène a fait boule de neige. Et les consommateurs se les arrachent comme des petits pains chauds.

Le phénomène ne date pas d'hier, mais s'est franchement intensifié au tournant du millénaire. En fait, un des plus anciens exemples que nous avons dénichés s'est déroulé en sol québécois, au tournant des années 90, lorsque le designer Jean-Claude Poitras s'est associé au magasin Le Château.

«À l'époque, il y avait un grand écart entre ce qu'offraient les créateurs et les détaillants de masse, dont les tissus étaient souvent épouvantablement laids et les modèles, pas du tout dans le coup. Moi qui étais un designer haut de gamme, j'avais ce désir d'être plus accessible pour les jeunes, de démocratiser la mode. C'est la raison pour laquelle j'ai sondé Le Château, qui a immédiatement accepté ma proposition», raconte Jean-Claude Poitras.

On peut dire que l'homme avait du flair. Ses collections ont connu un succès retentissant - un modèle de pantalon, qui s'était vendu à une cinquantaine d'exemplaires dans sa collection traditionnelle et avait été repris dans la capsule, a été écoulé à plus de 70 000 paires! «J'ai eu un plaisir fou à créer ces collections et j'étais absolument ravi de voir mes vêtements portés partout!», se souvient-il.

Mais, à l'époque, son initiative a été loin de plaire aux boutiques haut de gamme qui tenaient ses collections. «Certains trouvaient que cela diminuait le prestige de la marque. On a commencé à me menacer de cesser d'acheter mes collections haut de gamme. C'est la seule raison pour laquelle on n'a pas renouvelé l'entente avec Le Château. Il y avait encore beaucoup de snobisme à l'époque!»

Près de 25 ans plus tard, la donne a bien changé. La mode s'est démocratisée et il est désormais tout à fait possible de s'habiller au goût du jour sans dégarnir son compte en banque. Loin de craindre pour leur nom, les designers n'hésitent plus à s'associer aux grands détaillants: Karl Lagerfeld, Sonia Rykiel, Jean Paul Gaultier, Versace, Marie Saint Pierre... Et la liste s'allonge.

«Le phénomène est devenu très populaire, notamment grâce à H&M. Les collections capsules, qui sont normalement ponctuelles et éphémères, permettent de créer un "buzz" momentané qui profite à tout le monde: le détaillant, qui tire profit d'une affluence importante et attire une nouvelle clientèle, le designer, qui fait connaître sa griffe, et le consommateur, qui a accès à des pièces signées à moindre prix », analyse Michèle Beaudoin, professeure à l'École supérieure de mode de l'UQAM.

H&M et Target mènent le bal

Ce sont deux géants du commerce de détail, H&M et Target, qui ont réellement lancé la tendance au début des années 2000. D'abord Target, en s'associant avec Isaac Mizrahi en 2003 puis, l'année suivante, H&M, qui a joint ses forces à celles d'une légende vivante de la mode, Karl Lagerfeld.

«La raison d'être de H&M a toujours été d'offrir des vêtements à la mode et de qualité à un prix abordable. La réflexion de départ était donc : pourquoi ne pas appliquer ce principe aux designers haut de gamme, en les rendant plus accessibles? Quelle merveilleuse occasion d'obtenir une pièce griffée à une fraction du prix!», s'exclame Emily Scarlett, responsable des communications pour H&M au Canada.

Chez Target, deux approches sont utilisées pour les collections capsules. Il y a celles signées par des noms établis comme Jean Paul Gaultier et Philip Lim, et d'autres qui font place aux créateurs émergents. Au Québec et au Canada, un programme de bourses pour la relève a été lancé pour souligner l'arrivée de Target au pays. C'est ainsi que, durant les Fêtes, des pièces de Mélissa Nepton se sont retrouvées dans les magasins du Québec. En mars, c'est la designer canadienne Sarah Stevenson qu'on pourra découvrir sur les rayons.

«Si, au départ, les gens croyaient que Mizrahi était fou de créer des pièces si abordables, il est vite devenu évident que c'est un partenariat qui est gagnant pour tous. Les créateurs internationaux comme ceux de la relève y voient un grand intérêt. La démocratisation de leur marque permet de la faire reconnaître et c'est une valeur inestimable», note Sébastien Bouchard, directeur des communications pour Target au Canada.

Le phénomène s'élargit

Depuis 10 ans, plusieurs autres détaillants sont entrés dans la danse: Gap, Mango, Adidas, Reitmans, Simons, Bedo et Banana Republic, pour ne nommer que ceux-là.

Durant les Fêtes, Banana Republic a d'ailleurs lancé une collection capsule signée par la designer américaine L'Wren Scott. Cette dernière n'a pas hésité une seconde avant d'accepter, a-t-elle confié à La Presse. «J'ai toujours été une fan de Banana Republic et, après la première rencontre, j'ai su immédiatement que c'était une occasion que je ne pouvais manquer. Un partenariat de cette envergure était une première pour moi et je serais ouverte à répéter l'expérience dans de futures collaborations.»

Le phénomène durera-t-il? S'il ne donne aucun signe d'essoufflement, comme toute chose en mode, la tendance finira par passer, croit Mme Beaudoin. «C'est le modèle tendance en ce moment, mais bientôt, on se tournera vers un nouveau modèle, car on cherche toujours à innover!»

Une capsule, plusieurs sens

Le terme «collection capsule» a plusieurs significations. Traditionnellement, il désignait une minicollection créée par un designer, dans laquelle toutes les pièces pouvaient s'agencer ensemble. Cette définition est encore utilisée aujourd'hui pour désigner des collections éphémères en mode ou dans d'autres domaines du design (par exemple, IKEA crée depuis 2013 des collections capsules offertes pour un temps très limité).Le terme est aussi souvent utilisé pour désigner une collaboration entre une vedette et une marque. Par exemple, le rappeur Jay-Z qui s'associe à Barney's, le top model Kate Moss qui collaborera de nouveau avec Topshop au printemps ou la collection de maquillage signée Rihanna pour MAC.

Si ces stars ont généralement une influence sur le processus de création des collections, ce ne sont pas eux qui en assurent la création, note Michèle Beaudoin, de l'École supérieure de mode de l'UQAM. «Ce sont des marques maison ou private programs, comme on dit en anglais, où on se sert de la notoriété d'une figure connue pour vendre un produit, alors qu'un designer qui s'associe avec un distributeur va réellement participer à la création.»

Des pièces griffées de qualité?

Le but des collections capsules est donc de proposer des pièces signées par un designer, à moindre prix. Il est donc évidemment impossible pour les grands détaillants de mettre sur les rayons des pièces de qualité similaire à celle des collections traditionnelles de ces mêmes designers.

Cependant, ces collections sont généralement caractérisées par des pièces de bonne qualité, où on reconnaît évidemment la signature du designer. Ainsi, les pièces des collections capsules créées par Marie Saint Pierre pour Reitmans « sont » du Marie Saint Pierre, précise Mme Beaudoin. « Mais c'est une version adaptée au marché de Reitmans, plus abordable et démocratique. »

«C'est vraiment le designer qui crée et dessine la collection, mais il y a énormément de collaboration avec H&M pour ce qui est du choix des matières, et tout ce qui concerne la confection et la production des collections. Il faut que les pièces puissent être produites en grande quantité et gardent des prix assez abordables pour nos clients. Je crois que la pièce la plus dispendieuse que nous avons jamais eue était à 499$, et c'est très rare», précise Emily Scarlett, de H&M.

Ainsi, la collection créée par la designer parisienne Isabel Marant pour H&M l'automne dernier rassemblait plusieurs pièces emblématiques de la créatrice, dont certaines ressemblaient énormément à ses créations habituelles - le prix et les matières ultraluxueuses en moins. En entrevue, la designer avait confié à La Presse avoir été impressionnée par la qualité des pièces produites par le géant suédois.

D'ailleurs, selon Sébastien Bouchard, les grands détaillants comme Target ne se lancent pas nécessairement dans ces projets pour faire d'importants profits. «C'est davantage une façon de faire rayonner la marque Target et de fidéliser une clientèle. La qualité des vêtements et les détails coûtent cher à produire. Les marges de profit sont très minces.»

Pas étonnant, donc, que les consommateurs se ruent sur ces collections aux stocks limités, au point où il faut parfois s'armer de patience pour mettre la main sur le morceau convoité... quitte à passer la nuit sur le trottoir.