Une maison funéraire et une designer québécoise : une collaboration inusitée, mais porteuse de sens. En créant pour la maison funèbre Alfred Dallaire Memoria des liseuses, des urnes et des reliquaires, Mariouche Gagné de Harricana a exploré de nouveaux territoires sensibles. En résultent des objets de mémoire modernes, réactualisant les rituels funéraires.

Lorsque la maison Alfred Dallaire Memoria a proposé à Mariouche Gagné de collaborer à la création d'une collection d'urnes, de liseuses et de reliquaires, elle y a vu l'occasion d'offrir aux personnes endeuillées des objets québécois faits à la main, s'éloignant des clichés et des produits préfabriqués aux États-Unis ou en Chine.La designer derrière Harricana était bien placée pour savoir que le choix en la matière n'est pas toujours des plus heureux, ayant elle-même vécu le deuil de personnes proches au cours des dernières années. « Chaque fois qu'il était temps de trouver quoi faire avec les cendres, c'était toujours laid, un vrai désastre, déplore-t-elle. L'idée de l'équipe de Memoria d'amener ces objets à un niveau plus raffiné et artistique m'a plu immédiatement. »

Pour Jocelyne Légaré, présidente de l'entreprise familiale fondée par son grand-père il y a 80 ans, le déclic s'est fait grâce à un manteau de fourrure reçu en legs familial. « Comme beaucoup de Québécoises, j'ai reçu de ma grand-mère un manteau de fourrure. Je me suis donc rendue chez Harricana avec ce manteau pour le recycler et le moderniser. Je rencontre souvent des gens endeuillés qui ont reçu des manteaux en héritage et ne savent pas quoi en faire. »

De là est née l'idée, d'abord, d'offrir aux clients d'Alfred Dallaire Memoria un service de transformation de manteaux de fourrure grâce à l'expertise de l'équipe Harricana, qui se rendra sur place pour offrir ses conseils. « Je me suis ensuite dit qu'il serait bien d'avoir des bijoux qui ont aussi la fonction de reliquaires, qu'on peut offrir à une personne qui vient de perdre quelqu'un, comme une façon de se réchauffer le coeur », ajoute Mme Légaré. À l'image de la fourrure, quoi.

Ces reliquaires se présentent sous la forme de jolis pendentifs ornés de pierres et de fourrure recyclée dont on ne soupçonne pas la fonction au premier regard. Cinq styles de reliquaires ont été créés par Harricana. « C'est un petit bijou qui peut contenir des cendres, des cheveux, une photo, bref, des souvenirs précieux. J'aime l'idée que les gens vont le porter sur eux, de façon discrète. J'ai perdu une personne importante dans ma vie et c'est le genre d'objet-mémoire que j'aurais aimé pouvoir porter lors d'occasions spéciales, comme pour l'avoir près de moi », note celle qui a aussi eu le mandat de créer des liseuses en cuir recyclé et des urnes pour l'entreprise funéraire.

Des rituels en phase avec la vie moderne

Dans le paysage souvent monolithique des maisons funèbres, Alfred Dallaire Memoria se démarque par sa « tradition d'innovation », affirme Mme Légaré. D'abord, par ses lieux mêmes, à des lieues justement du salon funéraire déprimant : « Nous avons gagné des prix de design pour nos salons sur Saint-Laurent et Laurier et, à ma connaissance, nous sommes la seule entreprise funéraire du genre. Ce sont des endroits différents, dont l'aménagement ne correspond pas aux clichés des salons funéraires; nous ouvrons les espaces, faisons entrer la lumière... Il faut la vivre, cette souffrance bien réelle du deuil, mais vaut mieux la vivre dans un lieu inspirant que sombre et ringard », lance-t-elle, ajoutant que l'endroit se veut aussi un lieu de rencontre, en offrant des services d'art thérapie et des lundis-causeries pour parler de deuil.

Faisant déjà affaire avec des artisans québécois pour la création d'urnes (dont une urne écologique en papier), il a donc semblé naturel à l'entreprise de collaborer avec une designer de la trempe de Mariouche Gagné. « Pour moi, c'est une façon d'introduire dans ce contexte souvent figé dans le temps des éléments de notre vie, de nos façons de faire actuelles. »

Sortant de sa zone de confort, Mariouche Gagné y a vu une occasion de se réinventer, mais aussi de créer des objets porteurs de sens et d'une certaine spiritualité. « Pour mon équipe et moi, ce fut émouvant de retourner dans certains de nos souvenirs. Je crois que cette émotivité nous a permis d'allumer des étincelles de créativité. »

Ce qui ne veut pas dire que la créatrice ne s'est pas heurtée à des difficultés. « Présentement, nous terminons la conception d'une urne et nous avons rencontré plusieurs défis techniques. Par exemple, nous sommes en train de développer une courroie de cuir pour transporter l'urne, ainsi qu'un système de rubans pour pouvoir mettre l'urne en terre sans devoir s'agenouiller. Il faut trouver le bon poids, la bonne façon de la fermer. Nous avons de très beaux prototypes, qui ressemblent à des boîtiers de cuir avec de la fourrure, mais il faut amener le tout plus loin. »

Des nouvelles d'Harricana

La designer Mariouche Gagné fêtera en 2014 les 20 ans d'existence d'Harricana. Si elle continue de créer ses collections annuelles écochics à base de fourrure recyclée, elle a aussi récemment ouvert la porte aux collaborations. Ainsi, elle a créé pour la saison automne-hiver 2013 une collection capsule de vêtements de ski avec la marque Rossignol. De plus, elle a lancé le 14 novembre dernier une collection Harricana pour la chaîne d'ameublement Mobilia. Cette collection capsule d'accessoires déco comprend 14 articles (coussins, poufs, jetés) qui mettent de l'avant, bien entendu, la fourrure recyclée, mais aussi des cuirs laqués, de la peau lainée et des tissus métallisés.