La montre voit son avenir se profiler autrement, tant en ce qui concerne ses lignes que la clientèle au bras de laquelle elle s'affiche désormais.

La montre suscite l'intérêt des hommes depuis longtemps. Pas étonnant, puisqu'elle est l'un des seuls accessoires à travers lesquels ils peuvent exprimer leur style. Ce qui étonne, par contre, c'est la présence de plus en plus forte des femmes dans ce marché.

«Quand j'ai pris la direction de Tissot, en 1996, notre clientèle était composée à 70% d'hommes. On est maintenant à 55% d'hommes pour 45% de femmes. Et ce chiffre n'est probablement pas juste puisque beaucoup de femmes portent aujourd'hui des montres d'hommes. Je me demande d'ailleurs si elles ne commencent pas à être plus importantes sur le plan des achats», se questionne François Thiébaud, président de Tissot.

Chez Timex, on observe le même phénomène. Historiquement, l'entreprise rejoignait davantage d'hommes, mais sa chef de marque, Marian Statham, évalue maintenant à 50-50 le ratio hommes-femmes de sa clientèle. François Thiébaud propose cette hypothèse: les femmes seraient plus sensibles à la mode et donc plus enclines à acheter des modèles moins chers, mais en plus grande quantité, de façon à pouvoir adapter leur montre à leur tenue.

Selon ces experts, la clientèle féminine s'intéresserait aussi davantage au style et aux textures des montres. Les hommes seraient, quant à eux, plus attirés par des modèles offrant des technologies sophistiquées. «Il est plus intéressé par ce qu'il y a à l'intérieur du boîtier, dit le président de Tissot. C'est le même phénomène avec les voitures: les hommes regardent sous le capot alors que les femmes sont attirées par l'esthétique et le confort.»

Un objet qui ne passe pas inaperçu

En fin de compte, ce qui ferait trancher le client, homme ou femme, pour un modèle plutôt qu'un autre, c'est le design, croit Mme Statham. À ce chapitre, on rechercherait aujourd'hui des boîtiers plus gros. La montre est un accessoire que l'on veut exhiber. Les femmes seraient même de plus en plus nombreuses à piger dans les collections masculines qui offrent déjà des modèles plus imposants qu'avant.

Une mode comparable à celle que l'on voit dans le marché du vêtement avec les boyfriend jeans, selon la spécialiste en histoire et en anthropologie de la mode Bernadette Rey. «La mode devient de plus en plus unisexe. La tendance est à ce qui est plus gros, comme le surdimensionné des vêtements. Je crois toutefois qu'on va revenir à un équilibre.»

Cette attirance pour des formats plus imposants s'affirme présentement dans tous les pays. «En Asie, où les poignets sont plus petits, on offrait jadis des dimensions "boy size". Aujourd'hui, ce format a été totalement supprimé du marché.» «Même les femmes asiatiques portent des montres d'hommes, dit François Thiébaud. Aujourd'hui, tout devient universel. Il y a moins de différences entre les pays.»

Entre tradition et modernité

Deux types de montres se distinguent à l'heure actuelle: l'intérêt du consommateur penche pour les modèles associés à la performance et les montres de style traditionnel, deux tendances opposées. Et l'une et l'autre peuvent très bien être utilisées en alternance sur un même poignet.

Les premières, associées aux activités sportives, se développent rapidement et offrent multitude d'options pour l'entraînement: GPS, évaluateurs de rythme, de puissance ou de vitesse, mémoire de routines, moniteurs de fréquence cardiaque... «Nos modèles les plus récents fonctionnent comme un entraîneur personnel. Certaines montres sont spécialisées dans la course, le cross training, les sports nautiques... Il y a maintenant des montres pour tous les styles de vie», dit Marian Statham.

En parallèle, les modèles classiques font un retour. Chez Tissot, le plus grand vendeur est Le Locle, un modèle rond, à chiffres romains. «On revient à un design plus classique. Pas de grandes complications. Je crois que la crise de 2008 a sensibilisé tout le monde à la nécessité de penser deux fois avant d'acheter. Quelque part, les choses classiques ont un côté sécuritaire. On cherche du durable», pense le président de la marque.

Dans cette même lignée, les montres à mouvement mécanique suscitent un nouvel intérêt. «Les quartz sont devenues un peu banales. Oui, la montre au quartz permet d'avoir le temps à la seconde précise, mais la mécanique a une histoire. Quelque part, on s'est rendu compte qu'on ne vit pas à la seconde près, philosophe M. Thiébaud. Le temps à la minute est déjà difficile à vivre, alors il ne faut pas le compliquer davantage!»

Dans un contexte en perpétuel changement, les défis restent de taille pour cette industrie. L'arrivée des montres intelligentes, véritables petits ordinateurs sur bracelet développés par les fabricants de téléphones intelligents et d'autres entreprises électroniques, est une menace qui pointe. Mais pour s'imposer, ces montres devront aussi démontrer un attrait côté design. «Avec la rapidité des changements technologiques, les possibilités sont illimitées, affirme Marian Statham. Le défi sera de trouver des façons d'héberger toute la complexité des innovations dans un boîtier.» Et un beau, il va de soi!