Au Canada, une femme sur trois enfile des vêtements de taille 14 ans et plus. Si l'offre mode s'est bonifiée au cours des dernières années, il faut chercher attentivement pour trouver, car les boutiques sont presque absentes des centres commerciaux. Chic! a rencontré des blogueuses qui ont accepté de briser un ultime tabou: poser tout en rondeurs... en sous-vêtements.

Dimanche matin tranquille dans une rue industrielle d'Outremont. Une séance photo glamour a lieu dans un atelier situé en haut de celui de Moment Factory. Une équipe de stylistes fourmille autour de trois mannequins d'un jour: des blogueuses qui posent pour la nouvelle collection de sous-vêtements affriolants d'Addition Elle. Seul média francophone invité, nous en avons profité pour faire le point sur une industrie qui tarde à se transformer.

Sarah St-Fleur, alias DoubleXL, est l'auteure de queensizedflava.com, l'un des blogues mode les plus influents du pays, qui reçoit 10 000 visiteurs par mois. Dans cet espace virtuel bilingue, Sarah parle mode, maquillage, sport et estime de soi. Et elle n'hésite pas à utiliser son blogue comme outil de revendication. Il faut dire que DoubleXL s'est fait refuser l'accès à la Semaine de la mode de Montréal. Douce revanche: la New York Fashion Week lui a déroulé le tapis rouge. Devant nous, la jeune femme de 27 ans est resplendissante en peignoir noir dévoilant des sous-vêtements turquoise ornés de dentelle. «Regarde comme ça me fait une belle poitrine!», nous lance-t-elle, pétillante.

Véritable militante, Sarah a mené sa campagne et posé nue pour convaincre la chaîne Forever 21 d'inclure une section taille plus dans sa succursale du centre-ville de Montréal, comme il y en a aux États-Unis. «Je me suis fait raccrocher la ligne au nez par le siège social et je me suis fait dire de magasiner en ligne. Mais j'ai fait du bruit et il y a maintenant une section!», se réjouit l'accro du shopping.

«Quand une fille mince me demande: Où as-tu acheté tel morceau?, ça fait ma journée!», lance Sarah. Pourtant, lorsque la Semaine de la mode de Montréal a refusé de lui donner une accréditation, on lui a servi la raison suivante: son blogue - pour ne pas dire son poids - «n'est pas dans leur créneau».

Invitée dans différents événements de mode en Amérique du Nord, Sarah voyage beaucoup, ce qui lui permet de diversifier sa garde-robe. «Je magasine beaucoup en ligne et aux États-Unis, dit-elle. C'est un marché inexploité au Québec!»

Exit le «déprimant», bonjour le glamour

Addition Elle domine le marché canadien de la mode féminine taille plus avec 106 magasins au pays. Roslyn Griner, vice-présidente au marketing, est en partie responsable du virage branché entrepris il y a deux ans. Son défi: exit le «déprimant», bonjour le glamour. «Avec notre nouvelle collection de lingerie, on se positionne comme étant le pendant de Victoria's Secret pour les femmes de tailles fortes, explique-t-elle. Nous avons constaté que plus les sous-vêtements sont sexy et à la mode, plus les ventes augmentent... Les femmes plus doivent aussi avoir accès au look militaire, aux pantalons fleuris et aux jeans skinny.»

Depuis l'automne, Addition Elle tient des marques de jeans comme Levi's, DKNY, Parasuco et Buffalo. «L'entreprise est à l'écoute de sa clientèle. Ils ont pris en note mes critiques et mes suggestions», souligne Sarah St-Fleur.

Addition Elle fait partie du même groupe que Pennington et Reitmans. «Notre compétition est surtout en ligne, dit Roslyn Griner. Les femmes ont peu de magasins inspirants à leur disposition.»

Pour se démarquer avec des looks originaux, les amatrices de mode comme Sarah se tournent donc vers le web, avec les risques et périls du magasinage en ligne. «C'est une clientèle très informée qui se précipite sur les nouveautés», remarque Luc Nowlan, styliste personnel spécialisé en tailles plus.

En 2004, La Baie estimait à 1 milliard de dollars par année le marché canadien de la mode féminine grande taille, soit environ le quart de toutes les ventes de vêtements au Canada. Dix ans plus tard, l'industrie commence enfin à se réveiller. Par exemple, des designer comme Louis Vuitton ont lancé des collections plus au cours des dernières années. De son côté, la maison de couture Chanel offre des tailles qui vont jusqu'à 20 ans pour certains modèles de sa collection régulière.



Pour Sarah St-Fleur, la bataille est loin d'être gagnée pour autant. Les chaînes «traditionnelles» cachent leurs collections tailles plus, dénonce-t-elle. L'an dernier, elle a désenchanté quand H&M a lancé sa collection 14-24 ans uniquement en ligne et aux États-Unis.

«C'est difficile pour nous d'entrer dans les centres commerciaux, souligne par ailleurs Roslyn Gainer d'Addition Elle. Tout est axé sur la jeunesse et la minceur.»

Décidément, Sarah St-Fleur n'a pas fini de militer.

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Styliste à la rescousse

Spécialisé en tailles fortes pour la boîte Les Effrontés, le styliste Luc Nowlan offre des «rallyes de magasinage» et des «thérapies de la penderie». Son mandat: ramener le plaisir dans le shopping et le contentement dans la cabine d'essayage.

«Depuis sept ans, la mode taille forte s'est beaucoup améliorée, dit-il. Avant, les tissus et les coupes n'étaient pas appropriés. C'était matante.»

Des détaillants comme Banana Republic et Ann Taylor confectionnent maintenant des vêtements de tailles 14 ans et plus. «La gradation n'est pas toujours appropriée, prévient toutefois Luc Nowlan. Dans le plus, le modèle de base est un 22. Habituellement, dans les tailles régulières, c'est un 8.» Avec pour résultat des vêtements plus grands, mais pas toujours bien ajustés.

Le styliste remarque également «un vide» entre les tailles régulières et fortes. Un défi vestimentaire pour celles qui ne sont ni assez minces ni assez rondes. Heureusement, certaines marques innovent, comme Calvin Klein qui offre maintenant du 0X. «C'est merveilleux», dit-il.

Sa caverne d'Ali Baba? Le troisième étage du magasin La Baie, au centre-ville, avec les collections de Jessica Simpson, Jeanne Baker et T Tahari. Luc Nowlan met aussi fréquemment les pieds dans la Boutique Maï, sur le boulevard Saint-Laurent, qui permet «aux femmes de découvrir de nouvelles marques».

Pour ses clientes, le cauchemar de magasiner se transforme en plaisir coupable. Comme il se doit!