Le mois dernier, les 19 rédactrices en chef des éditions internationales du magazine Vogue se sont engagées à promouvoir une nouvelle image du corps de la femme dans le milieu de la mode. Fini, ont-elles dit, les photos de mannequins trop jeunes ou trop maigres dans leurs pages. À l'origine de ce pacte, l'Américaine Sara Ziff, top-modèle qui se bat depuis des années pour la défense des droits des mannequins. Portrait.

Dans son film Picture Me: A Model's Diary, sorti en salle à l'automne 2010, Sara Ziff dévoilait sans complaisance le côté obscur du métier de la mode: extrême jeunesse des modèles, maigreur excessive, harcèlement sexuel...

Repérée à 14 ans dans les rues de New York, Sara Ziff en a parcouru, du chemin: des campagnes Calvin Klein, Stella McCartney ou Dolce&Gabbana aux centaines de défilés pour les plus grandes maisons de couture partout dans le monde. Autant dire qu'elle a pu amasser une fortune, avant de se décider à jeter un premier et massif pavé dans la mare: «J'avais tout à perdre, mais la pression des agences, les photographes pervers jusqu'à l'agression sexuelle, les séances de photo non rémunérées, tout cela devait être révélé un jour dans sa vérité crue au grand public!»

Dans la foulée de la sortie de son film, qui lui a valu une petite traversée du désert, elle ne lâche pas l'affaire et lance Model Alliance, une association pour la défense des droits des mannequins aux États-Unis. C'est une première du genre, instantanément relayée par le Fashion Law Institute de New York et le Council of Fashion Designers of America (CFDA), présidé par la créatrice Diane Von Furstenberg, autorité de la mode s'il en est.

Forte de ces soutiens, Sara se décide à rencontrer les pontes du Vogue, et le tour de table donne naissance à «The Health Initiative», cet engagement de Vogue à ne plus exploiter l'image de mannequins trop jeunes ou trop maigres. «Que ce soit le plus prestigieux des magazines de mode qui fasse le premier pas, c'est hautement significatif. Cela peut produire une onde de choc. Mais ce n'est qu'un début, il y a encore beaucoup à faire», dit Sara Ziff.

Au coeur de ce pacte, il est question de ne plus faire travailler sciemment des mineures de moins de 16 ans, de demander aux créateurs de ne plus faire fabriquer uniquement des prototypes de petites tailles, le tout pour ne plus encourager le travail de mannequins extrêmement minces. «C'est un tout, poursuit Sara Ziff. Quand une fille de 14 ans - qui n'a donc pas de hanches et promène une silhouette androgyne - défile dans des vêtements de femme fatale, cela renvoie une image faussée, souvent dérangeante. Le problème, c'est qu'ensuite pour conserver ce corps adolescent, certaines s'affament au-delà du raisonnable parce que les créateurs aiment les mannequins parfois sans aucune forme».

Joint au téléphone, Denis Desro, rédacteur en chef mode du Elle Québec, réagit avec circonspection: «J'aimerais que ce ne soit pas qu'un effet de manche de la part de Vogue. Fort heureusement, au Canada - à la différence de l'Europe - il est extrêmement rare de voir des mannequins trop maigres.»

Sara Ziff, top-modèle assurément super militante, a bien l'intention de poursuivre une croisade qui promet d'être longue. Dans le cadre de Model Alliance, elle a déjà édicté des règles telles que l'interdiction de photographier les filles nues dans les coulisses des défilés, et même un service d'aide en cas de harcèlement sexuel, beaucoup plus courant qu'on ne le suppose. Son rêve ultime serait de permettre aux modèles de pouvoir se défendre et d'être enfin des visages avec des voix, et non de simples corps muets.

Le débat, le combat même, n'en est donc qu'à ses débuts.