La maison Yves Saint Laurent va basculer dans un autre monde: la direction artistique sera désormais pilotée par le créateur français Hedi Slimane. Au lendemain du dernier défilé de Stefano Pilati, qui a conclu son ultime passage sur le podium d'un V avec les doigts, dont on se demande s'il signifie «victoire» ou «vendetta», nous avons recueilli en exclusivité les premières impressions du compagnon et collaborateur de toujours d'Yves Saint Laurent, Pierre Bergé.

Après ses cinq ans d'absence du milieu de la mode, essentiellement passés à Los Angeles à faire de la photographie, Hedi Slimane occupe de nouveau le devant de la scène. Il succède à Stefano Pilati à la tête de la création de la maison Yves Saint Laurent, dont il avait déjà dirigé les collections pour homme de 1997 à 2000.

Hedi Slimane, homme mystérieux, cultivé et très talentueux, avait quitté YSL lorsque la marque PPR (de François Pinault) avait racheté Yves Saint Laurent, nommant Tom Ford à la tête de la création artistique pour femme. Il s'était alors retrouvé chez Dior, où il a marqué magistralement de son sceau décalé les années 2000. Il est l'instigateur de la silhouette de «l'adolescent occidental», avec ses jeans «slim», ses costumes serrés, ses fines cravates en cuir noir et ses chapeaux à la Pete Doherty, dont il est devenu l'ami.

«Hedi Slimane est un homme libre», a affirmé Pierre Bergé au cours d'un entretien téléphonique à La Presse. «C'est cela même qui distingue un grand créateur d'un autre. Pour être très franc, c'est vraiment la première bonne décision que prend le groupe PPR, de François Pinault. Je ne pourrais pas dire la même chose de ses prédécesseurs, Tom Ford et, plus récemment, Stefano Pilati.»

Pierre Bergé, le confident, l'homme d'affaires richissime, le mécène, le conseiller du vénéré créateur de mode disparu en 2008, a régné sur la maison de couture jusqu'en 2002, au moment où Yves Saint Laurent a décidé de se retirer.

Il se fait aujourd'hui le porte-voix de la lutte contre le sida et soutient la gauche française, en mémoire du président François Mitterrand dont il était proche. Autant dire que, en France, lorsqu'il parle, on l'écoute.

«Après le départ d'YSL, la griffe est littéralement passée au second rang de la création, indique Pierre Bergé. Sous l'ère Tom Ford ou celle de Pilati, gentil garçon par ailleurs, c'étaient des robes créées pour les journalistes, les magazines de mode, mais ce n'est absolument pas ça, la couture, en tous cas pas celle d'Yves Saint Laurent!»

La doxa originelle du créateur était: habiller toutes les femmes, sans exception. Il fut le pionnier qui ouvrit Saint Laurent Rive Gauche, en 1966, la toute première boutique de prêt-à-porter affichant le nom de son couturier.

Comment Hedi Slimane amorcera-t-il ce virage tant attendu?

«Par-dessus tout, dit Bergé, je rêverais de découvrir une collection sur laquelle Hedi Slimane imprime son tempérament artistique, et certainement pas une pâle copie de Saint Laurent. Cela peut sembler paradoxal: la mode n'est pas un art, mais il faut être un artiste pour créer la mode. Ce qu'est Hedi Slimane, incontestablement.»