Incroyable, mais vrai: le crochet revient en force, ce qu'attestent en nombre les défilés de l'automne-hiver 2011. Lesquels nous ont donné à voir quelques versions hautement stylisées, chez Christopher Kane Proenza Schouler et, plus près de chez nous, chez UNTTLD ou encore Denis Gagnon. Le crochet n'est plus réservé aux coussins kitsch, il se transforme en autant de robes, pulls et cagoules tendance. Démonstration avec un pro: Jocelyn Picard.

Jocelyn Picard rencontre La Presse dans la boutique du créateur Denis Gagnon, dans le Vieux-Montréal. Expert de la discipline, visage d'ange enveloppé de l'une de ses créations magistrales, il nous attend, pantalon baggy tombant sur de grosses baskets, histoire de parachever un look parfaitement dans le coup. Il est même à lui seul la preuve formelle que le crochet, c'est franchement hot.

C'est donc ici, dans le quartier général du célèbre créateur montréalais, que pulls et cagoules signés Lyn - en clin d'oeil à son prénom «Jocelyn» - sont mis en vente, des produits très «grand-mère tricotant à l'ancienne».

«Denis est mon mentor, annonce d'emblée Jocelyn Picard, c'est lui qui m'a mis le pied à l'étrier... du style.»

Lors des défilés annonciateurs de l'automne-hiver 2010, il nous avait été donné à voir les premières créations de M. Picard: «Essentiellement des bijoux, sortes de gros bracelets conjuguant zippers et crochets», se remémore notre créateur qui semble être tombé dans la marmite mode presque par hasard. «C'est au cours d'un souper improvisé que j'ai révélé ma botte secrète, et Denis Gagnon a foncé, me proposant de réaliser des créations inédites.»

À l'évidence, cette pratique du crochet ne date pas d'avant-hier: «Précisément depuis mes 13 ans, pour vous dire!» Soit à l'âge où d'autres rêvent plutôt de vélo-cross et de fêtes survoltées entre jeunes. «C'est ma mère qui m'en a appris les rudiments, et ce fut donc une façon hors du commun de vivre mon adolescence, tranquille dans mon coin.»

Très vite, les filles de son école deviennent ses premières fans, férues de ses créations vendues ensuite par la boutique Yip, une adresse connue de Sherbrooke, où Jocelyn a passé son enfance. Puis, vient l'époque de l'émancipation et il décroche soudain de son occupation favorite, le temps de quelques allers-retours en Australie, manière ludique de voir du pays.

C'est seulement à l'âge 25 ans qu'il replonge, en 2008. «Je n'aurais jamais imaginé en faire un métier, jusqu'à ce que mes colocataires, Simon Bélanger et José Manuel, tous deux anciens assistants de Denis Gagnon et aujourd'hui aux manettes de leur propre griffe, UNTTLD, m'y incitent!»

Lyn est né...

En janvier 2010, Denis Gagnon et la griffe UNTTLD passent au même moment de multiples commandes à Jocelyn pour leurs collections respectives de la saison actuelle. «Je suis à l'origine des longues robes en crochet pour Denis Gagnon, des pièces totalement déconstruites, sortes de grandes toiles d'araignées. Dans ce cas précis, ce sont mes mains qui faisaient office de crochets!»

Pour UNTTLD, on relève cette précieuse microrobe rouge dont la photographie a fait le tour du monde, avant d'être mise en référence sur le site internet du Vogue italien. Une petite consécration pour notre Montréalais d'adoption. «Il a fallu que ça tombe ce moment précis pour que je me dise qu'il était enfin temps de me lancer!»

En mai, c'est chose faite, Lyn voit le jour. Jocelyn avoue élaborer tous les modèles sur lui, des créations parfaitement unisexes. Pour preuve, son catalogue présente des beautés masculines arborant cagoules et pulls ajourés, pouvant devenir autant de robes.

«Les créations crochetées, c'est viril!», s'exclame le spécialiste à rebours des idées reçues. Et alors, pourquoi pas? Derrière sa collection automne-hiver 2011 signée en nom propre, il y a l'idée de «religieuse» qui revient souvent, étayant des pièces qui évoquent parfois même quelques cotes de maille parfaitement d'époque. Côté couleurs, noir, gris charbon et bleu marine figurent parmi ses teintes de prédilection.

Et lorsqu'il s'agit de se projeter dans l'avenir, Jocelyn Picard se prend à rêver de défiler lors de la prochaine Semaine de mode de Montréal - et, pourquoi pas, d'un jour parvenir à réaliser une oeuvre, «telles ces deux robes repérées lors de l'exposition consacrée à Jean Paul Gaultier au Musée des beaux-arts de Montréal». Chacune a nécessité plus de... 1000 heures de travail! Un truc de fou furieux, qui appelle une autre question: un jour viendra où notre prodige ne pourra plus oeuvrer seul pour faire face à une quantité galopante de commandes. Mais comment se faire épauler quand un tel savoir relève d'une longue et infatigable pratique? «C'est une vraie interrogation... difficile même, les spécialistes du crochet ne courent pas les rues, je peux vous le dire!»

Les créations de Jocelyn Picard sont vendues à la boutique de Denis Gagnon: www.denisgagnon.ca www.jocelynpicard.com

Peut-on tout crocheter?

Absolument tout ! Lorsque je réalisais mes premières créations pour Denis Gagnon, je devais crocheter des zippers, c'est dire ! J'en avais les doigts en sang Laine, soie, acrylique, mais aussi le métal, tout est possible!» Comment entretient-on les créations en crochet ? «Lorsqu'elles sont très déconstruites, ce n'est pas évident. Pour les pulls et les cagoules que je réalise, il suffit de les laver à la main puis de les faire sécher à plat. » Les outils : «De petits crochets allant de 1,5 mm à 3,5 cm. Mes mains font aussi office de crochets, mais c'est alors extrêmement physique. Bon courage à celles et ceux qui voudraient s'y frotter ! »

Photo: fournie par Jocelyn Picard

Création de UNTTLD, par Jocelyn Picard