À une semaine du début de l'exposition La planète mode de Jean Paul Gaultier. De la rue aux étoiles, la première rétrospective consacrée au couturier à l'initiative du Musée des beaux-arts de Montréal, nous avons interviewé Ève Salvail et Francisco Randez, deux Québécois, tous deux mannequins tatoués aux crânes rasés, propulsés au-devant de la scène par Jean Paul Gaultier. Voici le parcours de deux beautés atypiques et charismatiques devenues, pendant de nombreuses années, les égéries du célèbre créateur de mode français.

Au cours de ses 35 ans de carrière, Jean Paul Gaultier n'a jamais rien fait comme personne , refusant de faire défiler des mannequins au physique classique, leur préférant des gueules avec de véritables personnalités, faisant ainsi voler en éclat notre conception des canons de la beauté.

Ève Salvail, qui a grandi à Matane, venait de se faire raser la tête et tatouer le crâne, histoire de se démarquer dans un monde de mode très formaté, quand le couturier l'a repérée. «J'avais décidé d'arrêter ma carrière de mannequin quand Jean-Paul m'a retenue pour son défilé printemps-été 1992. Ça ne décollait pas pour moi, j'étais trop atypique, confie-t-elle. Pour vous dire la vérité, je savais à peine qui il était... Quelques jours plus tard, je défilais à Paris au Cirque d'hiver devant une salle pleine à craquer de stars!»

En octobre 1992, Ève Salvail, 21 ans, 5 pieds 9, longue silhouette androgyne, voit soudainement sa carrière exploser après avoir défilé quelques minutes seulement pour le couturier parisien sur lequel Madonna a déjà jeté son dévolu. Dès le lendemain, le fax de sa chambre d'hôtel est assailli de demandes d'auditions pour les plus grandes maisons de couture et des séances photo pour les magazines féminins du monde entier. Le séjour initialement prévu de trois jours va durer... cinq ans. L'ancienne serveuse des Foufounes Électriques devient la muse de Gaultier. Elle est de tous les défilés, de tous les essayages, de toutes les campagnes publicitaires, dont le très subversif clip du premier parfum féminin du couturier, intitulé Classique, réalisé en 1995 par Jean-Baptiste Mondino, célèbre photographe parisien.

De son côté, Francisco Randez caresse, depuis son plus jeune âge, le rêve de travailler pour le célèbre couturier. Entre une carrière de boxeur et un destin de mannequin, le jeune Montréalais de 6 pieds 4 voyage de Milan à Paris, avec sa gueule aux traits méditerranéens, parfaitement atypiques, vissée sur un corps aux muscles exemplaires, loin des stéréotypes filiformes de l'époque.

C'est en 2003 qu'il est choisi pour un défilé du couturier. «J'avais une morphologie jugée partout ailleurs comme très particulière, un physique dont on a de la peine à cerner les origines. Sans oublier mes nombreux tatouages!» se rappelle Francisco. Peu de temps après, à l'âge de 25 ans, il est choisi pour incarner le Mâle de Jean Paul Gaultier, parfum devenu mythique.

La campagne publicitaire mondiale (toujours signée Mondino) révèle un marin tatoué, dégageant des tonnes de testostérone. «À l'époque, je n'ai pas réalisé que ça allait changer ma vie! Du jour au lendemain, je suis devenu un visage connu et reconnu par beaucoup de monde».

En devenant l'emblème de l'une des fragrances les plus vendues dans le monde, le Montréalais atteint la consécration des consécrations pour un mannequin.

Si le couturier a littéralement révolutionné la vie de ces deux mannequins québécois, il les a aussi profondément marqués par son incroyable créativité, sa liberté de penser, le tout doublé d'une gentillesse hors du commun.

«C'était comme un «boyfriend» pour moi pour lequel je nourrissais une véritable admiration, avoue Ève Salvail. Dernièrement, nous nous sommes revus 15 ans après pour une séance photo à Paris, et rien n'avait changé! Nous avons immédiatement retrouvé une complicité identique, comme si l'on ne s'était jamais quittés.»

Pour Francisco Randez, aujourd'hui présentateur à la télévision, les souvenirs de l'époque reviennent intacts: «La rencontre avec Jean Paul a été décisive dans ma vie! Et puis, je dois aussi dire qu'il m'a ouvert à l'art avec sa façon de cultiver la différence, sa sensibilité, son amour de l'éclectisme.»

Au coeur de l'exposition consacrée au couturier, on pourra revoir dès le 17 juin les photographies des fameuses égéries, celles d'Ève et Francisco en première ligne, véritables bombes charismatiques dont on n'est pas près d'oublier la belle singularité.

Mais avant cela, dès demain vous pourrez saluer en personne le célèbre couturier au cours d'une séance de dédicaces qu'il tiendra chez Holt Renfrew à Montréal.

Photo: La Presse

Le mannequin Francisco Randez