À la semaine de la mode de Paris, Jean-Charles de Castelbajac s'est distingué avec une collection particulièrement réussie, applaudie par de nombreuses stars, de Katy Perry à Kanye West. Rencontre avec un créateur qui a su revenir sur le devant de la scène, grâce à une énergie folle conjuguée à une curiosité immodérée pour la musique et les jeunes générations.

Dès le début de notre conversation téléphonique de part et d'autre de l'Atlantique, le «bonjour!» énergétique de Jean-Charles de Castelbajac claque comme un signe d'enthousiasme. Une entrée en matière dont le dynamisme flagrant en dit long sur le caractère du créateur, l'énergie qui le caractérise, cette envie de partager avec ses congénères ses découvertes artistiques.

Au coeur de ses préoccupations, il y a, depuis sa première collection en 1969, les femmes et la musique. Et quand il peut réunir les deux, c'est encore mieux, comme en témoigne son engouement pour Beth Ditto (leader plantureuse du groupe rap Gossip), Lady Gaga, M.I.A. ou Coeur de pirate. De véritables icônes populaires, qu'il aime habiller et rhabiller d'une «robe Kermit», couverte de la célèbre grenouille en peluche (pour Lady Gaga) ou d'une robe squelette (pour Coeur de pirate). De magnifiques coups médiatiques à l'échelle planétaire.

Ce sont bel et bien ces «deux passions» qui l'ont remis en selle, alors qu'on l'avait hâtivement classé dans la catégorie des designers d'une autre époque, celle des créations aux couleurs primaires et connotées «années 80». Mais c'était parler un peu trop vite et mal connaître le personnage, en quête perpétuelle de renouveau.

Oui, Jean-Charles de Castelbajac a connu sa fameuse «traversée du désert». Et non, il n'aurait pu revenir au premier plan sans une profonde remise en question et une perception fine des tendances de demain. Une preuve de ce retour en grâce? Aujourd'hui, tous les défilés de Jean-Charles de Castelbajac (alias JCDC) ont leur cohorte de chanteurs branchés et de groupes jouant en direct. Cette année, le groupe-concept parisien Nouvelle Vague, qui revisite les titres mythiques des années 80 en version bossa-nova, était sur place.

Parlons de ce défilé, «le 80e... non, plutôt le 100e»: Castelbajac fouille dans ses souvenirs pour en déduire que, «peu importe le nombre, l'excitation est toujours là, le trac en moins, et le sens de la perfection toujours plus présent». Et ce goût de la perfection, on le ressent dans les moindres coutures et autres recoins de chacun des modèles de l'hiver prochain. Une collection intitulée Woman Ray, en clin d'oeil bien sûr à Man Ray, artiste au sens complet du terme, surréaliste et dadaïste, «troublé par la féminité».

«Je suis aussi parti de l'idée de luxe et de mort, ce qui donne une collection très twist et chic.» Voilà qui est dit et parfaitement bien résumé. En prime, on y retrouve toutes les marottes du designer: l'imprimé 101 dalmatiens, la ceinture Stranger in the Night, les «vanités» (têtes de mort) ... et pour la première fois dans l'histoire de JCDC, des robes du soir peintes, accrochez-vous, de squelettes fluorescents. On pourrait presque parler de «robes fantômes». Mais pas morbides pour autant, plutôt zen.

Il y a aussi du plus conventionnel chez Castelbajac, mais il trouve encore là matière à nous éblouir avec des pièces comme ce manteau en drap de laine et cachemire camel doublé de rouge, ce paletot à chevrons, ce perfecto en tweed de laine au col roulé comme une couverture, pour s'envoler vers une robe aux imprimés de couvertures de... livres de la célébrissime maison d'édition parisienne Gallimard.

«C'est ma collection préférée depuis... longtemps. Pour tout vous dire, je renoue avec mes débuts, mes premières amours, les teintes naturelles, les manteaux plaids, à cette différence près qu'il y a une modernité implacable.»

Pendant trop longtemps, on a voulu cantonner ce créateur tenace et aventurier au registre des couleurs primaires - de celles dont il avait d'ailleurs rhabillé Jean-Paul II et des milliers de prêtres et d'évêques lors des Journées mondiales de la jeunesse, en 1997 à Paris, créant un miniscandale. «Jean-Charles de Castelbajac a rhabillé le pape aux couleurs de l'arc-en-ciel... ou du drapeau gai», avait-on entendu ici ou là. Parenthèse refermée comme le chapitre de ses mauvais souvenirs professionnels.

Question: comment se sent-on quand on renoue avec le succès? «En général, je me sens très bien et je vais vous dire pourquoi. J'ai enfin réussi à réunir toutes mes passions, le jour où j'ai compris que la mode était partie intégrante de ma recherche artistique, mais qu'elle n'était pas tout. Je m'éclate aussi dans le design, dans la réalisation d'installations, dans de multiples collaborations avec de nombreux artistes.»

Pour ceux qui en douteraient, le designer vient de lancer «sa téléréalité», comme il la définit lui-même. Sur l'internet, une caméra permettra à ses fans et autres curieux de l'étudier en pleine création, quand il le désirera bien sûr. Preuve vivante que «tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort», Jean-Charles de Castelbajac n'aura jamais cessé d'être un homme bien dans son temps.