«Ce que je vois le mieux, c'est la prochaine photo», explique Karl Lagerfeld devant une exposition de plusieurs centaines de ses images, dont certaines revisitent, en les réinventant, des techniques anciennes de tirage.

«Je ne vis pas dans mon propre passé», rappelle-t-il à l'AFP, affirmant redécouvrir certaines séries prises depuis une vingtaine d'années, en parallèle de son métier de couturier, dans le «Parcours de travail» qui lui est consacré jusqu'au 31 octobre à la Maison européenne de la photo à Paris.

Pas une rétrospective, insiste le septuagénaire, mais la plus grande exposition qui lui est consacrée en tant que photographe. Une activité qu'il explore depuis 1987, quand le directeur image de Chanel, confronté à son insatisfaction sur les photos de mode de la maison, lui lance : «Si vous êtes si difficile, faîtes le vous-même !». Une boutade que Karl Lagerfeld prend au pied de la lettre, avant de se découvrir une nouvelle passion.

«Il y a une telle palette de possibilités techniques, il n'y a que ça qui m'intéresse ! C'est aussi important que la prise de vue», dit-il devant un tirage en pailleté d'une série inspirée de «Metropolis», commandée par le magazine Vogue.

Plus loin, devant un portrait en T-shirt rouge vif de Jack Nicholson, il commente : «Cela peut paraître le comble du tripotage, mais pour une fois, il n'en est rien. Le soleil était éblouissant, ce qui donne cet effet».

Parce que «Photoshop, c'est trop facile !», plaisante-t-il. Ce logiciel de retouches photo permet des miracles, mais fait aussi que «tout se ressemble»: «Parfois on voit une horreur, un visage moche et cerné» et après intervention du spécialiste, «on découvre une merveille !». Mais ce n'est pas son propos.

D'ailleurs l'exposition compte assez peu d'images de mode. Le visiteur y découvre une salle entière de façades new-yorkaises, des images de Capri prises à travers une vitre épaisse ou des plans serrés d'architecture aux allures presque abstraites.

Une tempête de grêle à Rome en mars, tirée sur d'immenses panneaux en noir et blanc, est prise en si gros plan que le sujet n'y est plus identifiable, il devient texture. «C'est bien de les avoir accrochés comme du papier peint, sinon ça ferait prétentieux», commente M. Lagerfeld.

Travaillant désormais avec une équipe de six personnes dans son studio parisien, il aime aussi prendre des clichés à la volée, avec un tout petit Fuji, comme pour cette série de grands formats noir et blanc sur Versailles : «J'ai pris ça sans assistant, ni personne», souligne-t-il.

«Le matériel qui pèse 15 kilos, le précieux Leica, ce n'est plus la peine. Il faut saisir l'image à la seconde près. Ce qui compte, c'est la vision», ajoute-t-il.

Sur d'autres tirages, il a fixé de la couleur avec des pigments de maquillage. «Il s'intéresse presque davantage à la matière qu'au medium, comme pour un tissu en haute couture», commente Anne Cartier-Bresson, restauratrice de photo à la Ville de Paris. «Ce n'est pas du tout un photographe de mode, mais un vrai créateur de photos», estime-t-elle.

Pour le couturier, la photo a surtout permis d'«élagir (son) champ de vision» : «Je visualise davantage. Avant, j'avais le nez dans le vêtement».

«Et puis refaire la même chose tout le temps, ça m'embêterait. C'est assommant à la longue», ajoute-t-il, évoquant sa «boulimie stimulante» de travail qui n'est «pas du stress -je déteste ce mot-, mais une pression positive».