Brunello Cucinelli est un entrepreneur atypique: en 25 ans, il s'est imposé comme le «roi du cachemire italien» et sa marque mouline les bénéfices mais il cultive ostensiblement une passion pour la philosophie et rêve d'un capitalisme capable d'«embellir l'humanité».

Sur le papier, les chiffres sont impressionnants: des ventes en hausse de 50% sur les trois dernières années, prévues à 180 millions d'euros fin 2010 et un bénéfice avant impôts de 8,82 millions d'euros pour 2009 en pleine crise mondiale (+11,22% sur un an).

L'Allemagne, les États-Unis et la France sont les principaux débouchés à l'étranger pour les pulls, vestes, pantalons en cachemire et autres tissus précieux étiquetés Cucinelli, ainsi que pour les accessoires venus récemment enrichir sa gamme (chaussures, ceintures, sacs à main).

Brunello Cucinelli, interviewé à Rome par l'AFP, voit trois raisons à ce succès: «des produits de haute qualité à fort contenu artisanal, notre style +sportif-chic de luxe+», reflet de la culture italienne, et «une distribution maîtrisée» avec un réseau modeste (1.000 boutiques multimarques, 50 monomarques) mais très ciblé (Greenwich Village à New York, St Tropez sur la Côte d'Azur).

Deux ouvertures de boutiques sont prévues à Paris: fin août à St Germain des Prés et en avril 2011 rue du Faubourg St Honoré.

La production est entièrement italienne, réalisée à 80% en Ombrie (centre), dans les ateliers du groupe installés dans et autour du château de Soloméo, village natal de l'épouse de Cucinelli et chez 1.200 micro-sous-traitants. Le reste, notamment chaussures et sacs, sont confectionnés en Vénétie et Toscane.

Fils d'un paysan devenu ouvrier et lui-même parti de rien, Brunello Cucinelli se veut à la fois pragmatique: «une entreprise doit faire des bénéfices», et patron éclairé: «les profits doivent servir aussi à améliorer le monde, à embellir l'humanité».

Il parsème soigneusement la conversation de citations de philosophes comme Kant («Le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi»), Rousseau ou Socrate. Avant d'expliquer qu'il consacre 20% de ses bénéfices pour payer ses 500 salariés, «20% de plus que le marché afin d'alléger la dureté d'un travail répétitif», et pour améliorer leur cadre de travail et de vie.

Dans la cantine subventionnée de l'usine, les cuisinières mitonnent des repas pour seulement 3 euros. Pas de pointeuse, la pause déjeuner dure 1H30 et peut être assortie d'une sieste. Outre le château restauré et une quinzaine de maisons-ateliers, Cucinelli a doté Soloméo d'un théâtre avec une représentation mensuelle et un festival de musique classique l'été.

«Il faut rendre dignité morale et économique au travail, concilier capitalisme et humanisme», estime-t-il.

L'industriel ne perd toutefois pas de vue la qualité, prônant dans le travail le respect des règles bénédictines: «être rigoureux et doux, maître exigeant et père aimable».

Cette qualité a un prix élevé mais pour Brunello Cucinelli qui «ne croit pas à un luxe démocratique, accessible à tous», «on ne peut pas dire que nos produits sont chers, ils sont juste onéreux». «Si on vend un pantalon à 19 euros, est-on sûr de ne pas rendre +cheap+ le travail des autres ?», lance-t-il.

En même temps, il ne perçoit pas les pays émergents tels que la Chine comme une menace: «au contraire, c'est grâce à eux si nous sommes là» puisque la laine du cachemire est prélevée sous le cou des chèvres de Mongolie et de Chine.

Brunello Cucinelli est un optimiste: il voit de plus en plus de Chinois aisés s'enticher du luxe italien ou français et prédit «un nouvel âge d'or», conforté par la hausse de ses ventes dans les pays émergents (Chine, Inde, Amérique latine) passées de 3 à 11% du total.