Ennuyeuse, la mode masculine ? Sûrement pas, pour qui sait apprécier son charme discret fait de coupes rigoureuses, de matières remarquables, de détails raffinés, témoignent les stylistes Véronique Nichanian (Hermès) et Franck Boclet (Ungaro), à quelques jours des défilés de prêt-à-porter masculin.

Les deux créateurs partagent la même passion pour le vestiaire masculin qu'ils s'efforcent de réinventer saison après saison. «C'est plus difficile» que la mode féminine, «la marge de manoeuvre est plus étroite», admet Véronique Nichanian qui a «trente ans, même un peu plus», de mode masculine derrière elle.Cette brune énergique et souriante, l'une des rares femmes à dessiner des vêtements pour homme, a réveillé il y a vingt ans le prêt-à-porter Hermès qui était «tout à fait confidentiel», après avoir fait ses armes pendant dix ans chez Cerruti. Sortie major de l'école de la Chambre syndicale de la couture, elle aurait pu opter pour la mode féminine.

Mais chez Cerruti, elle a «découvert un univers qui (l)'a vraiment intéressée», raconte-t-elle à l'AFP. «Ca doit faire écho à mon caractère: je suis quelqu'un de très précis. J'aime un travail de grand raffinement. J'aime les détails, la rigueur. J'adore les matières, les tissus».

Même enthousiasme chez Franck Boclet, passé il y a deux ans chez Emanuel Ungaro après 16 ans chez Smalto. La mode masculine «me correspond», dit-il, «parce que je suis très porté sur les matières, les détails, les volumes». Evidemment, en mode féminine, «il y a beaucoup plus de possibilités de s'exprimer» et «moyen de se renouveler facilement». Chez l'homme, «le champ d'expression est plus technique».

Moins changeante d'une saison à l'autre, plus progressive dans son évolution, la mode masculine n'obéit pas au même rythme que la mode féminine et ses créateurs sortent rarement de l'ombre.

Pas question de mettre sa créativité au service de réalisations spectaculaires. «Je n'aime pas l'effet facile, le bluff, les paillettes. C'est pour ça que je suis très heureuse dans le masculin», explique Véronique Nichanian. «L'évolution d'une proportion, ça se joue au millimètre, au centimètre».

Franck Boclet lui aussi insiste sur la nécessité de «juste être en phase avec le moment, de ne pas trop en faire». «Le principe de la mode masculine, c'est de changer des détails» et «le plus important, c'est le bien tombé et le bien confectionné», dit-il.

L'innovation se niche souvent dans les matières. «Les costumes de mon père n'ont rien à voir avec les costumes que je fais aujourd'hui», souligne Véronique Nichanian. Ils étaient «plus lourds, très structurés». Elle même travaille aussi bien la flanelle, le cachemire ou le cuir que des matières très techniques.

Franck Boclet ose tailler des vestes dans des tissus considérés comme «féminins», comme la bourrette de soie ou le taffetas de soie, ou donner une forme de jean au traditionnel pantalon en flanelle.

La flanelle grise, les rayures et les carreaux plus ou moins sages gardent leurs adeptes, mais les deux stylistes n'hésitent pas à bousculer les codes couleurs traditionnels, avec par exemple une veste fuchsia-framboise (Ungaro), un blouson en crocodile rouge vif (Hermès)...

C'est que les hommes ont changé. L'homme «prend plus de risques qu'avant», se réjouit Franck Boclet. «Il va moins respecter les codes».

Mais pour le styliste, les hommes n'ont «pas encore assez évolué». «Soyez comme une femme», leur lance-t-il. «Arrêtez de vous chercher un style (...), soyez libres !»