L'un des chefs les plus célèbres au monde, le Français Joël Robuchon, désigné cuisinier du siècle en 1990, est décédé lundi à l'âge de 73 ans. M. Robuchon avait entre autres ouvert un restaurant au Casino de Montréal.

« Joël Robuchon, chef visionnaire et le plus étoilé au monde, nous quitte aujourd'hui. De Paris à Shanghai, son savoir-faire érigé en art a fait rayonner la gastronomie française et continuera d'inspirer la jeune génération de chefs », a écrit sur Twitter le porte-parole du gouvernement français Benjamin Griveaux, confirmant une information du quotidien français Le Figaro.

Le chef le plus étoilé au monde (32 étoiles en 2016, un record absolu) est décédé à Genève, des suites d'un cancer, selon Le Figaro.

Le décès de ce perfectionniste, à la tête d'un empire mondial, a laissé orphelin le monde des fins gourmets, déjà touché par le décès en début d'année de Paul Bocuse et celui en juin de l'Américain Anthony Bourdain, visage de la gastronomie universelle.

« C'est quelqu'un qui a fait beaucoup pour la cuisine française. En Amérique latine, il était très connu. C'était presque un passage obligé quand on venait à Paris », se souvient Leonor Parra, qui habite près de L'Atelier de Joël Robuchon, à Paris, et y a déjà mangé. « Un des immanquables, l'hiver, c'était la soupe de marrons au foie gras ».

« Un des maîtres incontestés de la gastronomie mondiale vient de nous quitter », a réagi sur son compte Twitter la chef étoilée française Anne-Sophie Pic.

Également détenteur de trois étoiles, le chef Éric Frechon a souligné l'« immense » apport de ce chef qui, plutôt que de s'habiller en blanc, préférait se vêtir de noir pour cuisiner.

Son ami, l'ancien premier ministre français Jean-Pierre Raffarin, a lui salué sa « fidélité », « aux siens, à son métier, à ses apprentis, à la France ».

Né le 7 avril 1945, à Poitiers, fils de maçon, Joël Robuchon pensait d'abord entrer dans les ordres avant de devenir apprenti puis compagnon, une expérience dont il gardera le goût de la transmission.

La purée, son plat

Rapidement ses qualités en cuisine font des merveilles : il est sacré Meilleur Ouvrier de France en 1976, élu « chef de l'année » en 1987 puis « cuisinier du siècle » en 1990 pour le guide Gault & Millau.

« Gault & Millau l'a découvert en 1983 à l'Hôtel Nikko, à l'époque il était absolument inconnu, il travaillait dans un restaurant d'hôtel pas particulièrement sexy. Il nous a fait une très forte impression, il était dans l'épure », se souvient Côme de Cherisey, à la tête du célèbre guide.

En 2003, Robuchon crée un nouveau concept, L'Atelier : le premier ouvre ses portes à Tokyo et simultanément à Paris. « L'idée m'est venue dans les bars à tapas dont j'apprécie la convivialité. Je cherchais une formule où il puisse se passer quelque chose entre les clients et les cuisiniers », expliquait le chef au magazine L'Obs.

Le succès de cette formule l'a ensuite amené à décliner le concept sur tous les continents : Las Vegas en 2005, New York, Londres et Hong Kong en 2006, Taipei en 2009 et Montréal en 2016... et à vivre souvent entre deux avions.

« Il y avait un style Robuchon », a commenté lundi le journaliste culinaire Périco Légasse sur la chaîne BFM TV tandis que la chef Ghislaine Arabian a estimé qu'elle avait « l'impression de voir de la magie » quand il était aux fourneaux.

Le plat signature de ce grand chef passionné par le Japon, qui a créé un empire avec plus de 1200 employés et près de 30 établissements dans le monde, était pourtant une simple purée de pommes de terre.

Une recette riche en beurre dont il a livré les secrets à la télévision, où il a été présent de 2000 à 2009, avec le programme Bon Appétit Bien Sûr, diffusé quotidiennement.

Au printemps dernier, ce père de deux enfants, très discret sur sa vie privée, fit encore une apparition dans un programme télévisé, Top chef, sur la chaîne M6. Les candidats devaient le surprendre en proposant un plat à base de pommes de terre.

Le « cuisinier du siècle »

Joël Robuchon était à la tête d'un empire de la gastronomie française dont il était le plus grand ambassadeur.

D'origine modeste - père maçon, mère au foyer -, il a collectionné les distinctions au fil des années : « meilleur ouvrier de France » (1976), « chef de l'année » (1987), « cuisinier du siècle » (1990) et a même été qualifié par la presse anglo-saxonne de « meilleur du monde ».

À la tête de près de 30 établissements à sa mort, c'est en 1981 que cet homme invariablement vêtu de noir connaît une ascension fulgurante, en ouvrant le restaurant Jamin à Paris.

Il obtient sa première étoile l'année suivante et accède au cercle très fermé des chefs triplement étoilés seulement deux ans plus tard, du jamais vu alors dans l'histoire de la gastronomie. Avec plus de 30 étoiles au sommet de sa carrière, il est le détenteur du record mondial.

Pourtant, le chef aux yeux clairs et à la voix douce ne se destinait pas à la cuisine, mais plutôt à la prêtrise : c'est en tant qu'élève au Petit Séminaire de Mauléon-sur-Sèvres dans le centre-ouest de la France qu'il y prend goût, en aidant les religieuses à préparer les repas.

Apprenti de cuisine à Poitiers où il est né, il prend par la suite les commandes des cuisines de l'hôtel Concorde Lafayette à l'âge de 29 ans seulement : il y dirige 90 cuisiniers, servant plusieurs milliers de repas par jour.

Sa créativité et sa rigueur sont tout de suite remarquées.

C'est dans son « Restaurant Joël Robuchon », avenue Poincaré, que le chef réhabilite la purée de pommes de terre, l'un de ses plats emblématiques, aux côtés de la gelée de caviar au chou ou le gratin de macaronis aux truffes, céleri et foie gras. Ce « trois étoiles », est sacré « Meilleur Restaurant du Monde » par l'International Herald Tribune.

Samuel Sirois, chef cuisinier et professeur de cuisine à l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ), croit que Joël Robuchon a atteint un tel niveau grâce à une technique sans pareille, mais également à une folie artistique qui amenait ses plats et ses découvertes à un autre échelon. C'est un être qui n'avait pas d'égal en cuisine, ajoute celui qui avoue avoir rencontré une idole lors de la visite du défunt à l'ITHQ en 2017.

Amoureux du Japon

En 1996, coup de tonnerre : à 51 ans, ce père de deux enfants claque la porte de ce « trois étoiles », expliquant qu'il ne veut pas mourir d'une crise cardiaque due au stress, comme certains de ses prédécesseurs.

Pendant plus de 10 ans, il passe à la télévision afin de rendre la cuisine plus accessible. Il participe à l'émission Bon appétit bien sûr, où il propose une véritable leçon de cuisine en recevant chaque semaine un chef et en présentant des recettes simples et économiques afin de les rendre accessibles au plus grand nombre.

Il faudra attendre 2003 pour qu'il retrouve le chemin des fourneaux en France, mais pas celui de la haute gastronomie.

Ainsi, son célèbre « Atelier de Joël Robuchon » n'a rien à voir avec le « trois étoiles » de l'avenue Poincaré.

Le concept est simple, mais révolutionnaire : les clients, assis autour d'un grand comptoir, avec vue sur les produits et la cuisine, dégustent une cuisine « simple, mais avec des produits exceptionnels ».

« L'époque a changé, le consommateur recherche une cuisine qui soit moins sophistiquée, une adresse où l'on mange bien et où il y ait de l'ambiance », explique alors le chef.

Son empire de restaurants gastronomiques s'étend de New York à Macao, en passant par Londres, Monaco ou Tokyo, avec de nombreux restaurants étoilés dans des pays asiatiques.

Son credo : « la maîtrise de l'alliance des saveurs des meilleurs produits ». « C'est vraiment ce qu'il y a de plus beau dans la cuisine », selon ce cuisinier exigeant, qui confessait son admiration pour des chefs comme Jean Delaveyne et Alain Chapel.

En 2009, dans un entretien avec Paris Match, il reconnaissait avoir « longtemps été intransigeant, avec [...] des excès et des colères noires ».

Familier du Japon depuis 1976, Joël Robuchon y a ouvert plusieurs établissements au fil des ans. Il expliquait y avoir « été saisi par le virus de l'esthétique. Plus j'avance, plus je me dépouille ».

Le goût de la transmission 

Une passion « il faut la partager ! » disait Joël Robuchon. Loin de garder ses recettes secrètes, le chef le plus étoilé au monde n'a cessé de transmettre, formant des générations de cuisiniers.

Il en avait fait sa devise, en exergue sur sa page Instagram : « Pour doubler ma passion, il faut la partager ! »

« C'est un honneur, un plaisir de voir ce que l'on a transmis être réalisé par d'autres. C'est ce qu'il y a de plus valorisant », disait le chef décédé lundi à l'âge de 73 ans, à la tête d'un empire mondial fort de plus de 1000 collaborateurs.

« La force des très grands chefs est de savoir s'entourer, de former, d'entraîner », analyse Côme de Cherisey, président du Gault & Millau qui lui décerna en 1990 le titre de « cuisinier du siècle ». « Pour faire une très grande cuisine, il faut un grand chef et ensuite la brigade des bataillons de cuisiniers qui vont oeuvrer de manière discrète ».

Une recette adoptée par Joël Robuchon, qui forma nombre de futurs chefs parmi lesquels le Britannique Gordon Ramsay, connu grâce à l'émission télévisée Hell's Kitchen (Cauchemar en cuisine) et Frédéric Anton (Le Pré Catelan à Paris) notamment.

Certains de ses héritiers sont aujourd'hui détenteurs d'un ou plusieurs macarons au Michelin.

« Rigueur, simplicité »

Pour le chef étoilé Jean Sulpice de l'Auberge du Père Bise à Talloires, en France, « tout le monde rêvait de travailler avec lui pour apprendre la rigueur, la simplicité ».

« C'était un perfectionniste, c'était un dieu pour moi », affirme Axel Manes, patron de « l'Atelier de Joël Robuchon » à Paris.

« Je suis certain que, dans 50 ans, la qualité sera toujours au rendez-vous dans ses restaurants, car il ne cherchait qu'une chose : à transmettre », souligne-t-il.

« Ca a été un pédagogue extraordinaire », renchérit le critique gastronomique Gilles Pudlowski, ami de Robuchon. « Il transmettait ce don de la cuisine ; il savait où aller prendre le bon produit ; il savait faire simple ».

Pour Joël Robuchon, ancien Compagnon du tour de France, transmettre était un « devoir », confiait-il en 2016 à l'hebdomadaire L'Express.

« On a reçu des anciens, on doit enseigner une technique, un savoir-faire, une maîtrise », soulignait-il encore.

Cette exigence l'a poussé à coprésider en 2011 avec Alain Ducasse, son plus grand rival selon certains, le Collège Culinaire de France.

Infatigable, à 70 ans passés, il voulait lancer un institut de formation dans le Poitou. « Cela aurait été une belle chose, car nous avons besoin de créer de grandes écoles en France », estimait lundi Michel Guérard, une des figures de proue de la nouvelle cuisine.

Il a formé de nombreux chefs, dont Gordon Ramsay, le chef britannique médiatisé multiétoilé.

Les grandes dates de la vie de Joël Robuchon

• 7 avril 1945 : naissance à Poitiers (Ouest de la France).

• 1976 : obtient le titre de Meilleur ouvrier de France.

• 1981 : ouverture du restaurant Le Jamin à Paris.

• 1984 : décroche sa troisième étoile Michelin au Jamin en un temps record.

• 1990 : est sacré «Cuisinier du siècle» par le guide Gault et Millau.

• 1994 : le «Restaurant Joël Robuchon» de Paris est qualifié «Meilleur restaurant du monde» par l'International Herald Tribune.

• 1996 : Part en semi-retraite en quittant le «Restaurant Joël Robuchon».

• 2000 : Débuts de l'émission quotidienne télévisée Bon appétit bien sûr (France 3), après Cuisinez comme un grand chef (TF1).

• 2003 : ouvre les premiers «Atelier de Joël Robuchon», l'un à Paris, l'autre à Tokyo. Depuis cette date, il ouvre dans le monde de nombreux restaurants, dont plusieurs obtiennent des étoiles.

• 6 août 2018 : mort.