Il existe un réseau informel de restaurateurs qui travaillent en collaboration quand un de ces immenses thons rouges, immensément prisés par les amateurs de poisson fin, est pêché à la ligne en Gaspésie. Souvent, les Toqué!, Boulud, Joe Beef, Montréal Plaza et compagnie s'appellent et se coordonnent pour acheter ensemble une de ces énormes bêtes ultrafraîches.

Chaque fois que l'anecdote m'a été rapportée, j'ai aussi entendu un autre nom de chef tout aussi crucial, mais bien moins connu du grand public: Junichi Ikematsu. Ikematsu est chef et copropriétaire du restaurant Jun I, avenue Laurier Ouest. Discrètement, il fait ainsi partie de cette catégorie de chefs qui ne travaillent qu'avec des produits de la meilleure qualité possible et font de vastes efforts pour les obtenir.

Si vous me demandez quel est le meilleur restaurant japonais en ville, je vous répondrai donc Jun I. Et si vous me demandez quel est le meilleur restaurant pour manger du poisson, je le mettrai aussi très haut sur la liste, avec Ferreira Café, Milos et Chez Sophie.

Originaire de Kyoto, installé à Montréal depuis des années, Ikematsu habite l'Ouest-de-l'Île et a élevé sa famille ici, mais il garde de solides liens avec le Japon, où il a appris la cuisine à la japonaise, mais aussi française, avant de débarquer au Canada en 1989.

Même si on l'a d'abord connu ici avec le restaurant Soto, spécialiste des sushis, qui est même devenu une chaîne pour un court moment au tournant du millénaire, c'est chez Jun I qu'il s'est affirmé avec cette double approche. Sa cuisine est depuis toujours parfois ponctuée de techniques provenant directement de l'Hexagone: bisques, tartares... Et si, parfois, se glissent parmi ses créations un peu de cerf de Boileau ou de fond de veau aux griottes, l'expérience demeure résolument concentrée autour du poisson et des fruits de mer, à la japonaise.

Jun I, ouvert en 2005, aménagé par le designer Jean-Pierre Viau, n'a pas pris une ride pendant toutes ces années. Et mis à part l'utilisation d'huile de truffe sur un tartare - très 2008 -, le style de plats qu'on prépare demeure classique, malgré les efforts créatifs. On en sort repu, ravi, léger, émerveillé.

Nos coups de coeur? Le tartare de thon rouge, justement, qu'on demande sans huile de truffe. Parfaitement frais. Moelleux, tout doux, on l'avale sur le support croquant de quelques chips de taro.

Autre coup de coeur: la morue noire, un poisson riche qui, dans ce cas, grâce à une cuisson au miso et au yuzu, avec un peu de tomates cerises confites juste assez acidulées, demeure tout soyeux et presque aérien.

Évidemment, chez Jun I, on ne peut passer à côté des sushis et des sashimis. Dans le meilleur des mondes, on prend le sashimi du jour, garanti ultrafrais, des oursins de Colombie-Britannique et de la brème japonaise passée à la torche pour en griller la peau quand nous y sommes passées. Ou alors on opte pour une des valeurs classiques toujours au menu, que ce soit de l'omble chevalier, de l'hamachi ou du maquereau. Chaque fois, la préparation est minimale comme il se doit, la surprise se trouvant dans une pointe de shiso - herbe japonaise très parfumée - ou la qualité parfumée, mais bien piquante du wasabi.

Pour la fantaisie, c'est du côté des makis, donc des rouleaux créatifs, qu'elle se trouve. À ne pas manquer: l'«unagi dynamite», qui combine riz soufflé, avocat, anguille et crevettes grillées, ou le «funny maki» réunissant thon rouge, hamachi et avocat frit en tempura, couronné d'un tartare de saumon épicé.

Ici, la différence avec tant d'autres restaurants amateurs de sushis est dans les tout petits détails.

Le «juste assez collant mais jamais trop» du riz. La coupe du poisson qui fond en bouche. Le croquant délicat du tempura. Les combinaisons de saveurs parfois un peu prévisibles, mais jamais paresseuses.

Au dessert, on choisit le mille-crêpes, un classique de la maison que son nom décrit bien, puisqu'il s'agit essentiellement d'un gâteau de très fines crêpes empilées avec de la crème à la vanille qui sustente toute dent sucrée, sans étourdir. On peut aussi déguster une création au chocolat noir crémeux et aux agrumes avec glace vanillée et crumble, qui ne réinvente rien, mais demeure élégante dans ses contrastes d'amertume et de sucré, de textures.

On ne voit pas ça souvent dans les restaurants japonais. Mais Jun I est un peu français, rappelez-vous.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Jun I, ouvert en 2005, aménagé par le designer Jean-Pierre Viau, n'a pas pris une ride pendant toutes ces années.

Jun I. 156, avenue Laurier Ouest, Montréal. 514 276-5864. juni.ca 

Notre verdict

Prix: sushis, sashimis et makis entre 5,50 $ et 15 $ par assiette. Plats entre 12 $ et 22 $. Desserts 12 $.

Carte des vins: plusieurs importations privées - même une cuvée spéciale Jun I de l'Ontarien Norman Hardie - de toutes sortes d'origines, incluant plusieurs vins nature. Sélection particulière et recherchée de sakés, en importations privées, bien entendu.

Service: professionnel. Souriant.

Ambiance: lieu aménagé par Jean-Pierre Viau, de façon épurée, mais chaleureuse grâce à des images de verdures qui donnent un ton frais. Le mardi soir où nous y sommes allées, c'était plein, même en fin de soirée. Une clientèle plutôt baby-boomers et X, et d'autres amateurs de cuisine japonaise fine.

Plus: la qualité du poisson

Moins: l'huile de truffe

On y retourne? Oui, depuis 13 ans.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Chez Jun I, on ne peut passer à côté des sushis, des sashimis ou encore des makis préparés derrière le bar.