Cet été, on sort! Avant un spectacle, après une randonnée ou dans le cadre d'une escapade, nos critiques mettent à l'essai des restaurants un peu partout dans la grande région de Montréal. Cette semaine, le Bar George de l'hôtel Mount Stephen, pour une sortie chic en plein coeur de la ville.

Logée dans le splendide édifice du Mount Stephen Club, construit en 1880 pour le magnat écossais George Stephen, cette nouvelle table du centre-ville propose un menu de classiques culinaires britanniques plutôt dépaysant.

Ce 1er juillet de l'année du 150e anniversaire de la Confédération est tout indiqué pour s'intéresser au nouvel occupant du 1440, rue Drummond, un édifice patrimonial qui fut témoin d'un épisode hautement symbolique de l'histoire canadienne, la construction de chemin de fer Canadien Pacifique.

Le premier propriétaire des lieux, George Stephen, était non seulement l'un des principaux investisseurs de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique (CP), mais aussi son premier président. Cette grande aventure politico-financière n'ayant pas exactement été un long fleuve tranquille, on imagine sans mal les discussions corsées qui ont dû résonner entre ces superbes boiseries en acajou de Cuba et en bois de satin de Ceylan*. Elles y sont toujours, mais l'atmosphère a changé. Après avoir abrité un club privé pour gens d'affaires durant plus de huit décennies et avoir été fermé six ans, l'espace a rouvert au printemps sous le nom de Bar George, un clin d'oeil de derrière le monocle au premier occupant des lieux.

Piloté par le groupe torontois Oliver & Bonacini (Canoe, Leña, Bannock, etc.), l'établissement propose un menu original truffé de spécialités anglo-saxonnes - rarebit, kidney pie, Yorkshire pudding, etc. Quelque chose de distinctif dans le paysage culinaire foisonnant de Montréal.

Le positionnement du Bar George est donc intéressant, mais tout de même risqué. Tous les clients n'ont pas le palais aussi curieux, et même les plus aventuriers sont en quête de satisfaction. À cet égard, la cuisine goûtée ici ne convainc qu'à moitié.

J'y ai trouvé de jolies choses, comme le jarret de porc persillé, une viande en gelée savoureuse entourée de petits légumes marinés, une belle assiette aux allures de nature morte. Ou les «devils on horseback» (des pruneaux farcis d'une amande et enveloppés de bacon), servis ici accompagnés d'une mousse de foie fouettée onctueuse: de petites bouchées toutes simples et extrêmement savoureuses.

À signaler également, cette entrée à base de saumon fumé et de petits morceaux de rollmops (hareng mariné) montés sur un crumpet et égayés de feuilles d'oseille sanguine, de tranches de radis, de câpres et d'oeufs de poisson qui éclatent sous la dent. Le saumon fumé, bien qu'il ait gardé peu de traces de l'earl grey annoncé, est délicieux. Une petite assiette tout en fraîcheur au charme résolument anglais.

Le haggis servi avec la surlonge d'agneau s'est aussi révélé une belle surprise. Cette spécialité écossaise dont la seule description fait frémir (foie, coeur et poumon mêlés d'avoine emmaillotés dans de la panse) est ici proposée sous forme d'une sympathique croquette bien croustillante au goût étonnamment délicat. Bref, une expérience plus agréable que redoutable.

Plusieurs assiettes, toutefois, nous ont déçus. Certains éléments pourraient être facilement corrigés (une salade pratiquement dénuée de vinaigrette, des préparations trop salées), mais d'autres m'ont paru, disons, plus structurels.

La présentation du pâté à la joue de veau et aux rognons est épatante avec sa croûte de pâte feuilletée dorée tendue sur les rebords du bol. On a pris soin d'y déposer les rognons et les quartiers de chou-rave poêlés à part, évitant ainsi de les surcuire. Et les morceaux de joue cachés sous la pâte sont parfaitement fondants. Mais le jus dans lequel ils baignaient, plus bouillon que sauce, était bien trop liquide, et les champignons sauvages annoncés manquaient à l'appel.

La morue rôtie était réussie, tout comme son colcannon (purée de pommes de terre irlandaise mêlée de chou, préparée ici avec du kale). La sauce rarebit qui nappait le poisson, par contre, était de trop. J'aime cette préparation à base de fromage et de bière, mais sur cette morue-là, elle n'était que lourdeur. Le beurre noisette présent dans l'assiette aurait largement suffi à mettre en valeur la finesse de la chair.

La carte des desserts propose une version de ce gâteau roulé traditionnel que les Anglais appellent roly-poly. Je suis toujours reconnaissante envers les restos qui font découvrir des spécialités, mais je ne pense pas que les dents sucrées y trouveront leur compte. Même avec ces baies d'argousier qui ajoutent une touche de vivacité locale et colorent la crème anglaise, je doute que ce type de pâte épaisse, lourde et moite garnie de crème caillée (clotted cream) ravisse les amateurs de desserts.

Par contre, je recommanderais sans hésiter le pouding aromatisé au whisky de la distillerie néo-écossaise Glen Breton, un gâteau très dense à base de dattes, épicé sans excès, servi chaud avec une sauce au caramel, des éclats de tire-éponge, une boule de glace à la crème sure et quelques pacanes caramélisées. Fameux.

Bref, cette cuisine est un peu à l'image du Canada: encore en construction. Elle ne manque pas d'originalité ni de détermination, mais il lui reste des ajustements à faire pour être à la hauteur des attentes suscitées par son superbe écrin.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Bar George.  1440, rue Drummond, Montréal. 514 669-9243. bargeorge.ca

Notre verdict

Prix: Entrées de 10 $ à 18 $, plats à la carte de 24 $ à 46 $, desserts de 9 $ à 11 $.

Carte des vins: Sélection intéressante, majoritairement en importation privée.

Service: De bonne volonté, mais inégal. J'ai eu droit à un serveur sympathique et enthousiaste lors de mes visites, mais j'ai aussi vu du personnel chercher à quelle table apporter les plats.

Décor: Somptueux et dépaysant. Riches boiseries, escalier spectaculaire, bar époustouflant: la grande époque du Mille carré doré comme si vous y étiez.

Plus: Un menu de spécialités britanniques originales servies dans un cadre historique splendide enfin ouvert au grand public.

Moins: Une cuisine qui a encore besoin d'ajustements.

On y retourne? Avec des palais curieux seulement, pour l'instant.

Pour en apprendre plus sur cet édifice classé, consultez la fiche au Registre du patrimoine culturel.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Le décor est somptueux et dépaysant avec de riches boiseries, un escalier spectaculaire et un bar époustouflant, bref la grande époque du Mille carré doré comme si vous y étiez.