On a beaucoup écrit sur la décision de Loto-Québec de donner le contrat de restauration haut de gamme du Casino, créneau jadis occupé par Nuances, à Joël Robuchon, un très grand chef certes, mais un entrepreneur à grand succès sans ancrage ici, pour qui la société d'État a déroulé le tapis rouge.

N'y avait-il personne d'autre, au Québec, parmi nos talents, nos restaurateurs, qui méritait les largesses du Casino, a-t-on demandé, et était-ce bien nécessaire d'aider un grand qui a déjà un immense succès partout dans le monde?

Ces questions sont légitimes. Mais elles n'ont pas changé le cours des choses. Et L'Atelier de Joël Robuchon s'est bel et bien installé au Casino de Montréal, au début de décembre, dans l'ancien pavillon du Québec, dans un espace totalement rénové à l'image de tous les autres «ateliers» que Robuchon a ouverts dans le monde. Tout est donc en noir et rouge, avec de la coutellerie Christofle, de la porcelaine de Limoges Bernardaud et des verres Schott Zwiesel.

Et on s'y assoit aussi, là comme ailleurs, sur des bancs de cuir rouge surélevés, autour d'un bar vitré pour manger, d'une façon qui se veut décontractée, toutes sortes de «plats en petites portions dégustation». Mais sachez que les mots «petites portions», censés insuffler un air modeste, ne disent pas toute la vérité. Ces assiettes sont magistrales à tous points de vue: saveurs, présentation, technique...

On est bien loin de l'omniprésente formule tapas.

Et alors qu'arrivent en cascade des plats soignés comme on en voit justement dans les tables étoilées françaises, on se dit que finalement, non, personne ici n'aurait pu faire la même chose.

Soit, ça ne répond pas à la question: était-ce nécessaire d'avoir Robuchon? Mais à la question: a-t-on un produit intéressant, voire exceptionnel, unique, en ce moment, au Casino? La réponse est oui, c'est évident.

Et à la question: est-ce que ce restaurant apporte quelque chose à la grande communauté de la restauration de Montréal? Je dirais que oui: un nouveau type de perfectionnisme technique, notamment, qui pourrait élever les normes pour tous.

Pour découvrir le lieu, on choisit d'y aller à la carte, mais avec une suite de «petits» plats, fidèle au concept.

Ainsi arrive d'abord un amuse-bouche qui impose le style Robuchon: une royale crémeuse de foie gras, «voilée» d'une émulsion de parmesan et de Maury, un vin doux. C'est à la fois diaphane et incroyablement riche. Va-t-on réussir à manger tout un repas, se demande-t-on, après déjà tant de douceur?

Suivent ensuite deux entrées en totale opposition. Un tartare de betterave aux couleurs spectaculaires: une rondelle rouge vif de légume racine haché combiné à de la pomme et coiffé de pousses de salades bien vertes et d'une quenelle de glace à la moutarde verte et au wasabi. C'est frais, piquant, légèrement sucré... Dans l'assiette, de petites gouttes de sauces multicolores, verte à l'avocat, jaune au curcuma, rouge à la betterave, mauve au balsamique, ajoutent de la couleur comme sur un tableau de Damien Hirst.

À côté de cela, un classique s'impose: le foie gras de canard au torchon. Texture parfaite, présentation délicate à la fois dépouillée et sensée. On aime les petites canneberges confites qui viennent trancher le gras avec leur acidité et leur légère astringence.

Le repas se poursuit avec un bol de potage velouté à la châtaigne, que l'on garnit d'une émulsion à la cébette, d'un «nuage» à la cardamome et de tuiles aux grains de riz sauvage soufflés.

On pourrait parler longuement d'une assiette à la truffe, garnie d'un oeuf de caille miroir, de fines lamelles de parmesan et de pousses de roquettes, ponctuée d'un peu de jus de volaille et d'une écume de lait infusé au laurier, mais surtout garnie de généreuses tranches de truffes noires, qui étaient en saison.

Un plat grandiose tout en riche délicatesse malgré ces ingrédients imposants.

Photo Bernard Brault, La Presse

Un tartare de betterave aux couleurs spectaculaires: une rondelle rouge vif de légume racine haché combiné à de la pomme et coiffé de pousses de salades bien vertes et d'une quenelle de glace à la moutarde verte et au wasabi. C'est frais, piquant, légèrement sucré.

L'artichaut? Il est servi en très légère tempura, coeur et queue, déposé sur une purée d'artichaut avec écume de curcuma et mayonnaise au piment chipotle. Pensez dégradés de verts et de jaunes vers l'orangé, cuisson parfaite du légume encore légèrement croquant, légère acidité poivrée de quelques pousses de roquette...

Sont arrivés ensuite des raviolis à la langoustine et au chou et l'agneau de lait de Kamouraska, un produit choisi minutieusement pour le restaurant, qu'on sert en côtelettes laquées, toutes menues, qui fondent en bouche... Évidemment, c'est servi avec la fameuse purée de pommes de terre du chef, celle qui met en scène autant le tubercule que le beurre... Pour amateurs de plats richissimes.

Le dessert? Encore là, de petits bijoux techniques, notamment une assiette de chocolat où il est décliné de plusieurs façons: glace, crumble, pavé... Le tout présenté sur une sauce étalée en cercles concentriques parfaits. Démodé, comme concept? Du vintage une coche au-dessus des autres, exécuté avec la bénédiction assurée de celui qui a inventé plusieurs de ces façons de faire.

La tarte aux pommes composée de fines lanières de fruit caramélisées façon tatin, parfaitement égales et enroulées pour recréer une forme de pomme impeccablement arrondie est aussi spectaculaire. C'est servi avec un caramel au sirop d'érable et de la glace au mélilot, une fleur blanche aux parfums vanillés que l'on trouve ici et qui fait partie des ingrédients qui ont séduit le grand chef français.

Évidemment, M. Robuchon n'est pas à Montréal chaque jour pour veiller à sa cuisine. C'est Éric Gonzalez, un ancien de l'Auberge Saint-Gabriel, des Enfants terribles et du Cube, qui pilote les fourneaux et qui semble avoir finalement trouvé, dans cet établissement, l'écrin qu'il lui fallait pour déployer son savoir-faire.

Bravo.

Photo Bernard Brault, La Presse

Tous les Ateliers de Joël Robuchon sont pareils, qu'ils soient à Bangkok, Vegas ou Paris. La déco est rouge et noir, opulente par la richesse des matériaux, la lumière tamisée donne un côté un peu boudoir. Il y a des tables, mais surtout un long bar qui fait tout le tour de la cuisine.

L'Atelier de Joël Robuchon. 1, avenue du Casino de Montréal, Montréal. 514 392-2781. http://casinos.lotoquebec.com/fr/montreal/sortir/restaurants/atelier-de-joel-robuchon

Notre verdict

Prix: «Petits plats» entre 22 $ et 48 $. Entrées entre 22 $ et 60 $. Plats entre 32 $ et 80 $. Desserts à 19 $. Menus dégustation à 150 $ et 175 $ par personne.

Carte des vins: Longue et impressionnante, surtout grâce à ses grands crus classiques, parfois spectaculaires, à prix élevés. On a récupéré une bonne partie de la cave du Nuances, l'ancien restaurant chic du Casino. Peu (pas assez) de vins au verre sur la carte, mais le sommelier est prêt à discuter des goûts de chacun pour sortir du script.

Service: Pas guindé, professionnel. Mais on n'est pas dans le décorum impeccable des étoilés français.

Ambiance et décoration: Tous les Ateliers de Joël Robuchon sont pareils, qu'ils soient à Bangkok, Vegas ou Paris. La déco est rouge et noir, opulente par la richesse des matériaux, la lumière tamisée donne un côté un peu boudoir. Il y a des tables, mais surtout un long bar qui fait tout le tour de la cuisine. Ce que voulait le grand chef - le plus étoilé de la planète - en créant ce concept de restaurant, c'est décloisonner la grande cuisine française. Manger des truffes ou du foie gras, mais au comptoir! À Montréal, on est au Casino, donc il faut traverser cet établissement pour se rendre au restaurant. La clientèle n'a pas l'air d'arriver des machines à sous, mais plutôt directement de la ville ou des banlieues avoisinantes.

Plus: Une qualité de cuisine franchement impeccable et de haut niveau

Moins: Très cher

On y retourne? Oui

Photo Bernard Brault, La Presse