Il n'y a pas à dire, l'équipe derrière le Birru, l'Escondite et maintenant La Habanera a du talent pour les décors.

Car dans ces sympathiques restaurants du centre-ville montréalais, il est difficile de parler simplement d'aménagement. On a plutôt l'impression d'entrer au théâtre, dans un univers créé de toutes pièces par un scénographe.

Après le Japon des mangas et le Mexique éclaté, à La Habanera, l'équipe se penche sur Cuba avec un lieu qui évoque La Havane dans toute sa splendeur fanée. Carrelage, tons pastels, bois taillé façon coloniale... Hemingway n'est pas dans la place, mais l'esprit des bars à mojitos et daïquiris de la capitale cubaine a été bien saisi et joliment exprimé.

Est-ce que le mandat du restaurant est aussi clair que celui de son voisin mexicain de la rue Union, l'Escondite? Pas tout à fait. Comme le disait mon compagnon de table: chez Escondite, la mission est claire: on y va pour manger des tacos et boire de la bière, de la tequila et du mezcal.

À La Habanera, on propose une balade à Cuba, de bons prix et une carte de rhums longue et intéressante. Mais qu'est-ce qu'un voyage culinaire au pays de Fidel Castro? Quelle est cette cuisine cubaine aujourd'hui?

Est-ce celle qu'on mange maintenant dans les maisons de La Havane, alors que la société se transforme tranquillement après des décennies de communisme et de rationnement? Est-ce ce qu'on mange dans les restaurants cubains en Floride, où la diaspora qui a fui le régime entretient depuis des décennies des traditions alimentaires qui se sont au moins un peu américanisées? Est-ce ce qu'on offre aux touristes dans les restaurants de Varadero à Cayo Coco?

Ce qu'on mange à La Habanera est une interprétation d'un peu tout ça, déclinée sur des thèmes à la mode du jour avec en «à côté» ce riz aux haricots noirs omniprésent à Cuba. Ainsi, la carte, vous le comprendrez, est un peu floue. Alors que côté cocktails, les mojitos et les daïquiris ont une place précise, dans l'assiette, on sursaute en voyant des ingrédients parfois grecs ou italiens ou des idées péruviennes...

La salade de papaye, par exemple - fraîche, piquante -, est rehaussée de morceaux de nectarines, de fromage féta, de mangue séchée et de jambon serrano. Baroque, avez-vous dit? Oui, cela demeure contrasté et vitaminé. Mais on aimerait savoir où l'on se situe, comme si on cherchait des saveurs antillaises qu'on ne trouvait pas.

Le ceviche? Pas exactement cubain. Peu importe. Il est bien fait, avec un «poisson blanc», du melon et des piments jalapeño. Original. Mais là encore, les mêmes observations s'appliquent. On dirait plus un plat très à la mode collé à la mauvaise page dans le cahier de géographie qu'une expérience précise.

En outre, dans La Havane de ce petit resto, on propose aussi des tacos au poisson, qui se composent de pièces de morue frite, avec mangue, gingembre et maïs grillé. Ici aussi, les mélanges sont surprenants et il ne faut surtout pas commencer à chercher la version originale de cette composition éclatée. Cela dit, ce n'est pas mauvais. C'est même plutôt amusant.

Mais l'expérience est déroutante. On se demande aussi d'où viennent le cassis et les mûres qui parfument joliment le mojito, même si l'ensemble est agréable. Le mojito classique, très bien fait, rassure nos papilles et nos références culturelles. Par contre, qui aurait pensé à combiner érable, basilic et ananas pour relever la côte de porc?

Mais est-ce que la foule qui remplit le lieu, qui a en moyenne probablement la moitié de mon âge, a réellement envie d'authenticité certifiée? Bonne question, dont la réponse est fort probablement non.

L'idée, à La Habanera, n'est-elle pas plutôt d'aller boire des mojitos, de manger un peu des plats aux airs vaguement antillais, mais remplis de valeurs sûres du moment, le tout à prix très abordables, et surtout, à travers tout cela, bien s'amuser? Là, la réponse est sûrement oui.

Parce que c'est ce que l'on constate en entrant dans le joli décor. C'est rempli de jeunes. L'atmosphère est souriante. Et personne ne semble avoir envie de parler de cuisine de la ferme à la table, d'authenticité culturelle, de la provenance des poissons, durables ou pas, ou de l'héritage de Fidel Castro.

Pour terminer le repas, on peut choisir le flan de... Nutella - riche, mais plutôt lourdaud - ou le gâteau aux trois laits, totalement typiquement cubain, mais pas aussi moelleux et fondant qu'on aurait aimé et qu'on a déjà goûté dans des restaurants cubains floridiens. À rincer avec un autre mojito...

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

La Habanera, 1216, avenue Union, Montréal, 514 375-5355

Notre verdict

Prix: Plats à partager entre 8 $ et 15 $. Desserts 5 $.

Carte de vin: À La Habanera, on boit plutôt des cocktails antillais au rhum ou du rhum au verre. La carte en propose plus d'une vingtaine, d'origines diverses. Intéressant.

Service: Gentil et souriant, un peu brouillon côté gestion de salle. Et il ne faut pas poser trop de questions sur les plats.

Atmosphère: Beaucoup de jeunes, beaucoup de plaisir. Un décor qu'on croirait inventé par un scénographe pour une pièce mettant en vedette le fantôme de Hemingway et les petits-enfants des membres du Buena Vista Social Club.

Plus: L'ambiance festive et les prix doux.

Moins: La cuisine, qui manque de sens et de saveurs précises.

On y retourne? Peut-être pas moi, mais je vais y envoyer des jeunes en quête d'atmosphères festives et tous les amateurs de rhum.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE