Une table portugaise haut de gamme? Il fallait de l'audace pour oser une telle proposition dans le Montréal des années 90. Vingt ans plus tard, cette adresse depuis longtemps devenue un classique est toujours une valeur sûre.

Comment un restaurant devient-il un classique? En durant, bien sûr, mais cela ne suffit pas. Il faut de la constance parce que c'est précisément ce que recherche la clientèle: les habitués veulent retrouver ce qui les a séduits, les nouveaux veulent vivre l'expérience qu'on leur a vantée. L'évolution, donc, doit se faire dans la continuité.

C'est ce que Ferreira a réussi en rénovant son décor l'été dernier. La tuile, le bleu et le jaune méditerranéens demeurent omniprésents, mais les interventions judicieuses de la firme Provencher Roy ont modernisé et allégé l'espace. Le grand mur clair piqué d'hirondelles en céramique noire - un porte-bonheur très prisé dans les maisons portugaises - est spectaculaire.

L'étal de poissons frais trônant au bout du bar est toujours aussi tentant, mais dans l'esprit de cette courte série que nous amorçons aujourd'hui, j'avais plutôt l'intention de revisiter la carte. Sauf qu'on n'a pas tant d'occasions de manger des petits poissons frits entiers qu'on attaque par la tête en tenant la queue friable comme une croustille. Impossible, donc, de résister aux mini-sardines disponibles ce soir-là.

À peine farinées, servies brûlantes avec une sauce pimentée au piri-piri, elles étaient parfaites avec un verre d'espumante (mousseux) - un assemblage de la maison F, le vignoble du propriétaire-fondateur Carlos Ferreira.

De retour sur la carte, l'entrée de filets de sardines rôtis garnis d'une julienne de poivrons multicolores en escabèche est une composition qui a fait ses preuves. Les petits filets dorés trônent sur une tranche de pain aux olives grillées délicieusement imbibée par la marinade. Des tiges de salicorne croquantes ajoutent une touche locale à cette assiette gorgée de soleil. Impeccable. 

Le crudo de thon est une entrée plus légère, qui laisse toute la place aux bouchées de poisson cru. Quelques points de purée d'avocat, quelques gouttes de vinaigrette au yuzu et quelques grains de quinoa frit contrastent discrètement avec la chair tendre du poisson.

L'incontournable bacalhau (morue dessalée) varie au gré des saisons. Lors de notre visite, le pavé était légèrement fariné et frit. La chair s'est révélée étonnamment fine et tendre pour un poisson qui a été séché. Des tranches de pommes de terre grelot et des rapinis dans une nage aux fruits de mer agrémentée d'oignons, de poivrons, d'olives, de câpres et de brindilles de chorizo complétaient ce plat savoureux.

Le bon poulet portugais ne manquant pas à Montréal, j'étais curieuse de voir comment la cuisine s'en tirait ici. Verdict: haut la main. Le demi-poulet de Cornouailles juteux est si goûteux qu'on pourrait très bien se passer de la petite bouteille de sauce piri-piri posée sur la table. Et les frites géantes qui l'accompagnent, moelleuses à coeur et croustillantes à l'extérieur, sont uniques et proprement addictives. Seul bémol, la salade verte compactée trop à l'étroit dans son bol: les premières bouchées envoient inévitablement des feuilles par-dessus bord. Moins chic.

Choisir, c'est renoncer, disent les indécis. La dégustation de huit desserts en format mignardise est parfaite pour les gourmands hésitants. L'assortiment servi ce soir-là nous a permis de goûter la mousse au chocolat à l'huile d'olive, la crème brûlée et les fameuses natas (tartelettes aux oeufs) du menu. Un sorbet à la mandarine, un riz au lait, un gâteau caféiné aux biscuits Maria, une tartelette aux amandes et un saucisson au chocolat complétaient la sélection. Tout était bon, mais s'il fallait choisir, je reprendrais de la mousse au chocolat noir ou du riz au lait. La première, rendue soyeuse par l'huile d'olive, est intensément chocolatée, et le zeste d'orange confit très parfumé qui l'accompagne illumine le palais en finale. Le riz au lait servi sur de la poire pochée et garnie d'une tuile craquante a la douceur qu'on attend de ce dessert nostalgique. Les mini-natas sont aussi adorables, à condition d'aimer la cannelle dont elles sont généreusement saupoudrées. 

Voilà un établissement qui, loin de se reposer sur ses lauriers, s'assure de rester à la hauteur de sa réputation. Dans cette ville entichée de nouveauté, c'est une constance qui mérite d'être saluée. 

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Ferreira, 1446, rue Peel, Montréal, 514 848-0988.

Photo Bernard Brault, La Presse

L’étal de poissons frais trônant au bout du bar est toujours aussi tentant

Notre verdict

Prix: À la carte, les entrées vont de 10 $ à 22 $, les plats individuels, de 28 $ à 75 $ et les desserts, 10 à 15 $. Poissons et fruits de mer frais aux prix du marché. 

Carte de vins: Composée à 90 % de vins portugais, la majorité en importation privée; c'est l'occasion de faire des découvertes. 

Service: Très professionnel 

Atmosphère et décoration: Élégante et de bon goût sans être guindée. 

Plus: Une cuisine portugaise haut de gamme rendue de façon impeccable. 

Moins: La trame sonore, de la pop banale qui jure dans cet endroit où chaque détail est soigné. 

On y retourne? Toujours.

Photo Bernard Brault, La Presse

Un des plats offert chez Ferreira