Si le métro de Montréal compte plusieurs murales remplies de couleurs, c'est grâce à un artiste signataire du Refus global, qui a non seulement créé plusieurs de ces oeuvres - notamment aux stations Peel, Viau et Honoré-Beaugrand -, mais qui a aussi été directeur artistique du réseau de transports en commun dans les années 70.

Cet artiste, élève de Borduas, s'appelait Jean-Paul Mousseau, c'était le père de la comédienne Katerine Mousseau et le grand-père du jeune Antonin Mousseau-Rivard, chef et propriétaire d'un restaurant ouvert à l'automne, le Mousso.

Pourquoi parler de tout cela ? D'abord parce qu'il y a des oeuvres de Mousseau dans le restaurant, dont une pièce rétroéclairée spectaculaire qui accueille les convives avec élégance et sagesse, tout en force et en couleurs. Mais aussi parce qu'il y a dans le travail du chef de 31 ans une volonté de se démarquer, de pousser la cuisine québécoise hors des sentiers battus, d'aller plus loin tout en intégrant cette démarche artistique et intellectuelle à une réalité émotionnelle bien claire : le plaisir.

Cette cuisine très proche de ce qui se fait actuellement dans le nord de l'Europe ne verse effectivement pas dans le trop cérébral, trop austère même si on y trouve des ingrédients comme du foin ou de l'huile de colza au dessert et même si elle cherche de nouvelles voix et de nouvelles voies. On s'y régale.

Ce n'est pas la première fois que je suis impressionnée par le travail de cet autodidacte qui pilotait encore tout récemment Le Contemporain, le restaurant du musée du même nom au centre-ville. La première fois que j'y ai goûté sa cuisine, j'étais tombée, sans le prévoir, sur une semaine spéciale consacrée à la culture autochtone et je me rappelle un repas particulièrement original, où le chef avait bien fait ses devoirs pour nous amener dans un univers de produits sauvages et de techniques ancestrales.

Chez Mousso, le jeune chef poursuit cette quête de modernité ancrée dans le terroir et se donne la liberté d'imposer son regard. On n'y sert que des menus dégustation de sept services - avec un ou deux suppléments si on le veut. C'est à prendre ou à laisser. Les assiettes sont petites, mais on termine le repas bien repu.

Une idée de ce qu'on y sert ?

D'entrée de jeu, on opte pour un des deux suppléments du menu : un gros pétoncle bien charnu grillé à la perfection et légèrement fumé au sapin, servi sur des charbons avec les notes à peine acidulées d'un beurre de prunes sauvages. Bravo. Quelle belle entrée en matière ! Suit ensuite un morceau de boeuf wagyu en tataki, donc à peine saisi, incroyablement tendre, accompagné d'une crème cuite, d'une louchée de caviar du Nouveau-Brunswick et de quelques feuilles de capucines avec leur fraîche acidité poivrée. Là encore, une belle composition rendant magnifiquement honneur aux produits, au climat d'ici.

Pour servir le calmar (le seul ingrédient de tout le repas qui ne provient pas du Québec), on le décompose et on le reconstruit, une approche qui n'a pas fait l'unanimité à la table. J'ai aimé qu'on broie la chair du mollusque pour en faire ensuite une sorte de galette à peine grillée à la salamandre, fondante plus que coriace, mais pour d'autres cela dénature le produit, lui enlevant, justement, sa résistance sous la dent. Chapeau aux gouttes onctueuses d'ail fermenté qui sucrent légèrement le tout, alors que de la peau de porc frite ultracroquante et de fines lamelles de champignons de Paris crus apportent encore d'autres textures à l'assiette que l'on rince d'un fin dashi.

De tout le repas, le plat - parmi les plus jolis, cependant - qui m'a le moins plu fut le suivant, un bortsch décomposé où, là encore, on apporte un jus de betterave séparément pour terminer la préparation d'une assiette composée d'un pavé d'omble et de quenelles («gel» de betterave, crème de culture, «gel» d'oignon et oeufs de corégone). Le tout accompagné de craquelins au seigle. Était-ce trop d'amertume, l'austérité des différents ingrédients, les textures pas assez soyeuses ? Il manquait quelque chose à cette composition pour la rendre joyeuse alors que le plat suivant, une salade de tendre crabe juste assez salé comme la mer, avec de fines tranches de radis et des feuilles de verveine, avait tout pour nous plonger dans le bonheur. On en aurait pris deux.

Autre grande joie : une assiette de volaille cuite sous vide, donc parfaitement tendre, servie avec de la laitue fraîche et verte, mais fondante comme du beurre. Autre belle réussite : la carotte cuite au four, séchée, mais grassement charnue, servie sur une fine tranche de canard et présentée avec de jolies petites fleurs de tagètes et un «gel» à l'argousier. Une assiette non seulement fabuleusement délicieuse, mais tout aussi magnifique pour les yeux.

Pour nous préparer au dessert, on nous présente ensuite une sorte de plat intermédiaire, où un gâteau éponge au sang cuit au micro-ondes - technique avant-gardiste amusante rendue célèbre par les as espagnols du moléculaire - accompagne une glace à l'échalote coiffée d'un vinaigre de pomme de vendanges tardives aux airs de balsamique. Voilà le genre de plat avec lequel on peut se casser la figure. Dans ce cas-là, le chef s'en tire assez bien, mais on se dit, en chemin, qu'on préfère qu'il n'y ait pas trop d'acrobaties du genre. Le dessert final à la courge, au miel et à l'huile de colza réussit mieux le défi de réinventer la fin de repas avec des ingrédients incongrus. Mais l'art, c'est comme ça. Il faut secouer et décoiffer, et le Mousso le fait fort joliment.

Mousso

1023, rue Ontario Est, Montréal

438 384-7410

Prix : prix fixe pour le menu dégustation à 65 $, pour sept services. Prix spécial à 50 $ le mercredi.

Carte de vins : une carte sélectionnée avec soins. Des crus naturels, mais pas juste ça.

Service : professionnel et chaleureux, des gens qui savent de quoi ils parlent.

Atmosphère : bon niveau de décibels - musique costaude - et décor minimaliste donnent au lieu une allure de bar décontractée, alors que la cuisine y est on ne peut plus travaillée. On aime les oeuvres de Mousseau et la cuisine ouverte du sous-sol, qu'on peut voir en allant vers le fond du restaurant, comme on voit les musiciens dans la fosse de l'orchestre au ballet. Parmi les convives, jeunes foodies cool et amateurs de cuisine moderne.

Plus : de la créativité savamment savoureuse.

Moins : une musique légèrement trop forte, trop présente...

On y retourne ? Oui.