Shinji Nagai et Antonio Park ont beaucoup de points en commun. Ils dirigent tous les deux leur restaurant éponyme, mais ni l'un ni l'autre n'a la grosse tête. Ce qui ne les empêche pas d'être entêtés, tous les deux. Ils refusent de faire du sushi surfait ou de suivre des modes. Ils travaillent avec des produits locaux (rare, dans l'univers du sushi) et passent beaucoup de temps à la recherche d'ingrédients frais et différents qui complémenteront le goût de leurs préparations, rien qui ne viendra masquer ou voler la vedette. Et ce sont ceux qui font le meilleur sushi à Montréal!

Shinji Nagai

Né au Japon

Arrivé à Montréal en 1996

Copropriétaire du restaurant Shinji, ouvert en janvier 2014, dans Griffintown

A travaillé aux restaurants Sakura, Zen-Ya et a été chef au club 357C

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Ce n'est pas l'endroit par où l'on commencerait naturellement la recherche du meilleur sushi de Montréal. Le resto est nouveau, dans Griffintown, voisin d'une adresse branchée. Shinji est la copropriété de Jeff Stinco, guitariste du groupe Simple Plan, très actif dans le milieu de la restauration montréalaise. On imagine facilement que les rock stars aiment bien les sushis gigantesques et exubérants. Belle surprise, c'est précisément ce qu'il n'y a pas au menu de Shinji.

Stinco a beaucoup voyagé au Japon, explique le chef. Il connaît le sushi japonais traditionnel. On ne risque donc pas de voir au menu des pizzas-sushis ou des sushis de «spécialité» contenant du poulet frit, du saumon fumé ou du fromage...

Shinji Nagai ne donne ni dans le style izakaya ni dans l'excès. «La simplicité est toujours meilleure», tranche-t-il, avouant toutefois qu'elle n'est pas au goût de tous. Pour le menu du restaurant, il a donc fallu trouver des compromis. Oui aux makis, mais petits. «Nous sommes en affaires, nous devons quand même servir des produits qui plaisent à nos clients!», explique le chef. Et la référence en sushi, pour plusieurs de ses clients, est le maki.

Les restaurants Sushi Shop et autres comptoirs de sushi-minute où les rouleaux sont préparés à l'avance auraient-il dénaturé le sushi?

«D'une certaine façon, c'est très bien, ce qu'ils ont fait, car cela a contribué à faire connaître le sushi, mais la qualité n'est souvent pas à la hauteur du produit, répond le chef. Et ça a donné une fausse impression de ce qu'est un sushi... japonais!»

Shinji Nagai est né au Japon. C'est pourtant à Vancouver qu'il a commencé à faire du sushi. Il voulait venir au Canada et a préféré passer par la côte Ouest anglophone pour faire son entrée au pays.

Il fait le saut à Montréal en 1996, mais est alors déçu de la qualité des produits utilisés pour faire les sushis. Il retourne au Japon pour perfectionner son art. Lorsqu'il revient, quelques années plus tard, il veut faire du sushi à son goût.

Ses visites fréquentes au marché Jean-Talon lui apprennent ce qui est de saison au Québec. Et que l'hiver, il n'y a pas grand-chose de frais...

Le chef fait du sushi traditionnel, simple, précis. Il mise sur la fraîcheur des ingrédients; il utilise des poissons québécois et canadiens. Des viandes du Québec aussi, pour les autres plats, quand c'est possible. Ses critères de qualité sont très élevés et, sur ce point, il n'y a aucun compromis possible.

Après être passé d'un restaurant à l'autre, il ouvre son Shinji au début de l'année. Le menu débute par une série de plats «inspirations du chef» où il propose des sashimis, des nigiris et même des makis (!) selon les produits disponibles et ses envies. On retrouve dans ses plats plusieurs indices de son parcours de vie et de cuisine: miso blanc, feuilles de mizuna, boeuf Wagyu de la région de Miyazaki, oursin de Sept-Îles ou de Vancouver, selon la saison, loup de mer, sel de shiso, citronnelle, érable...

Pour ses clients qui veulent partir à l'aventure, Shinji Nagai offre deux menus dégustation où c'est le chef qui choisit les plats. Ce même chef qui est plus qu'heureux lorsqu'un client s'assoit au petit bar à sushis et lui donne carte blanche. «À ce moment, explique Shinji Nagai, sourire aux lèvres, j'y vais un sushi à la fois. Et on peut parfois aller très loin.»

Shinji 1732, rue Notre-Dame Ouest 438 384-1270 www.shinjimtl.com

Assiette de makis et nigiris, 28$, plateau de sashimis, 35$, omakase (dégustation) de sushis, 50$

Photo Olivier Pontbriand, La Presse

Antonio Park

Né en Argentine

Arrivé à Montréal en 1991

Propriétaire du restaurant Park depuis 2012

A travaillé au restaurant Kaizen et a été chef au 357C

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En ce vendredi après-midi d'août, il fait un temps magnifique. Plusieurs clients étirent leur repas sur la terrasse du restaurant Park, rue Victoria, à Westmount. Parmi eux, trois joueurs de hockey, ce qui n'a rien d'inhabituel. Antonio Park passe à côté de la table, donne un petit coup amical sur l'épaule du premier et prend une photo de groupe destinée à son fil Twitter ou à sa page Facebook.

Pur marketing, expliquera-t-il quelques minutes plus tard - bien qu'il précise être très proche de plusieurs sportifs professionnels, en citant quelques exemples. Comme si c'était arrangé, son téléphone sonne, pratiquement au même moment. Son interlocuteur lui assure une place dans une loge pour la Coupe Rogers. Son ami P.K. est aussi le bienvenu.

La réputation du restaurant Park est bien établie, surtout parmi le gratin montréalais et les vedettes américaines de passage en ville. Antonio Park a un sens des affaires inné et sait bien traiter sa clientèle importante. Il s'est créé un précieux réseau de contacts dans le milieu des affaires au moment où il était chef au club privé 357C. «Je traite bien tout le monde, les "somebodies" comme les "nobodies", précise-t-il. C'est en établissant une clientèle d'habitués qu'on bâtit un restaurant.»

Il aura beau faire tout le marketing du monde, c'est pour ce qui est sur sa table que sa clientèle revient. Antonio Park offre un produit exceptionnel. Il travaille tout à partir d'ingrédients frais. Sa sauce soya est faite sur place, il achète ses racines de wasabi fraîches, fait (évidemment!) son kimchi. Il a un permis d'importation de poisson frais. Ses anguilles arrivent donc entières - et vivantes - rue Victoria. Il faudra en tout 24 heures de travail et de cuisson avant qu'elles puissent être dans l'assiette: la sauce doit réduire de 90% pour devenir une laque qui donnera un fini sucré et un goût divin à ses sushis.

Ses poissons sont tous choisis avec soin. «Je suis allé sur la côte est, sur la côte ouest, en Amérique du Sud et je suis allé en mer avec les pêcheurs», raconte-t-il. Ceux avec qui il fait des affaires aujourd'hui ont en main son numéro personnel et lui envoient des textos avec des photos des poissons qu'ils pêchent à la ligne. «Tu le veux, celui-là?» Si Park répond oui, le photogénique animal se retrouvera le lendemain sur sa table à sushis. Antonio Park a un grand souci d'utiliser des poissons issus d'une pêche durable, ce qui est loin d'être la norme dans les restaurants de sushis. «J'ai deux enfants, explique-t-il, et je veux que, lorsqu'ils seront plus vieux, ils puissent manger ce que je mange maintenant.»

Le chef utilise aussi beaucoup de produits québécois, de la mer comme de la terre. Cela sera aussi le cas dans le restaurant de grillades sur charbon qu'il va ouvrir le mois prochain, à deux pas du Park. La Lavanderia est un hommage à ses parents, coréens, qui tenaient une fabrique de teinture de denim en Argentine dans les années 70. Le chef a passé une importante partie de son enfance en Amérique du Sud. Sa famille s'est installée à Montréal en 1991. Le jeune Antonio a étudié à l'école Jeanne-Mance, en plein Plateau.

Parfois, toutes ses influences se retrouvent au coeur même d'un petit sushi, mais rien n'y sera arrivé par hasard. Le chef est minutieux, protège l'équilibre des goûts qui se marient dans son sushi. «C'est très complexe, le sushi», dit-il. C'est pourquoi il refuse de servir de la mayonnaise épicée même à ceux qui le demandent. Ça gâcherait tout. «Je crois que nous avons un devoir d'éducation», dit-il à propos des sushis surfaits qui, souvent, ne ressemblent plus vraiment à des sushis et ont tous le même goût.

Antonio Park est à son restaurant pratiquement tous les jours. Il rate le brunch du samedi matin, car on n'y sert pas de sushis. Malgré cet horaire de fou, en plus de nombreux contrats d'entreprise et personnels, de l'ouverture d'un café adjacent au resto Park et de ce nouveau restaurant dans quelques semaines, il sera juge à la deuxième saison de l'émission Chopped à Food Network, l'hiver prochain. Et il trouve le temps de (très) bien alimenter les réseaux sociaux avec des nouvelles et des images de ses dernières créations, souvent spectaculaires, toujours alléchantes. Et parfois aussi, de photos de vedettes...

Park: 378, avenue Victoria, Westmount 514 750-7534 parkresto.com

Au souper, une entrée de 9 morceaux de sashimi coûte 22$ et le plat de côtes levées, 35$.

Photo Bernard Brault, La Presse

Méthodologie

Pourquoi partir à la recherche du meilleur sushi de Montréal?

Cette idée nous est venue après la publication dans nos pages d'une recommandation de comptoir à sushis de Boucherville, Sushi Hamachi. Le titre de l'article était «Le meilleur sushi de la Rive-Sud», et nous avons reçu plusieurs lettres de lecteurs nous indiquant où trouver le meilleur sushi de Montréal.

Quelle bonne idée!

Nous avons dressé une courte liste d'une quinzaine d'établissements d'après ces recommandations, celles des journalistes spécialisées en gastronomie et alimentation de La Presse, de critiques et autres articles sur le sushi à Montréal. Nous avons visité (incognito) des endroits très chics comme des comptoirs qui ne payaient vraiment pas de mine. Nous n'avons oublié personne: si votre resto préféré n'est pas mentionné dans notre reportage, c'est qu'il n'a pas été mis sur la liste ou alors qu'il n'a pas été retenu. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'est pas formidable. Nous avons découvert des restaurants de quartier et des comptoirs pour les lunchs vraiment très bien et des chefs très créatifs.

Toutefois, à la fin de nos visites, Shinji et Park se sont imposés. Hors de tout doute. Ils sont dans une classe à part. Ces deux chefs font du sushi de création comme il ne s'en fait pas ailleurs à Montréal. À vous de juger, maintenant.

Lexique

Sashimi: Poisson cru servi en tranches, sans riz.

Maki: Sushi fait en rouleau, traditionnellement entouré d'une feuille d'algue nori ou de poisson. On voit maintenant des makis faits avec des feuilles de riz ou de soya, ou alors avec des graines de sésame ou du caviar (tobiko) saupoudré directement sur le riz. Certains chefs proposent des versions très créatives des makis.

Futo maki: Futo veut simplement dire «gros».

Nigiri sushi: Petit morceau de poisson ou de fruits de mer posé sur le petit pâté de riz, sans algue.

Temaki: Sushi servi en cornet de feuille nori.