De toutes les ouvertures de restaurant qui ont eu lieu cette année, l'une des plus spectaculaires fut sans nul doute celle de la Maison Boulud du Ritz, rue Sherbrooke Ouest, à la fin du printemps.

Comme son nom l'indique, ce restaurant fait partie de l'empire gastronomique du chef franco-new-yorkais Daniel Boulud, dont les tables sont nombreuses dans le monde, disséminant de l'Amérique à l'Asie le style français moderne et très accessible du chef.

À Montréal, ce rendez-vous prend la forme d'un restaurant chic aménagé dans un style combinant modernisme cossu et touches classiques, juste assez rutilant pour s'intégrer à cet hôtel légendaire synonyme de luxe à l'ancienne.

Entre le feu de cheminée, le jardin, la verrière, des femmes d'affaires aux vêtements impeccablement griffés discutent, plus loin c'est un ancien ministre ou un grand chef d'entreprise, alors que le bar accueille de jeunes loups de la finance. On est au coeur de Montréal, mais un peu plus à New York qu'à Paris. On entre dans cette Maison Boulud avec l'impression de plonger dans un écrin ouaté somptueux, confortable. Où l'on s'entend parler.

À table, le menu est inspiré de ce qui se fait dans tous les restaurants Boulud. On retrouve des plats «signatures», comme par exemple le burger DBGB, que le chef agrémente de fromage morbier, de rillons, de compote de tomate. Cet été, j'y ai aussi mangé le potage de pois vert que j'avais déjà adoré au Café Boulud à New York.

Vous vous doutez bien que ce n'est pas Daniel Boulud en personne qui cuisine au Ritz. Son chef de cuisine délégué s'appelle plutôt Riccardo Bertolino. Italien d'origine - il a grandi en Émilie-Romagne -, il a travaillé dans plusieurs restaurants du groupe avant d'installer ses pénates ici et d'apporter une signature assez italienne aux plats. Surtout les assiettes du moment, qu'il faut créer au gré des arrivages. Car ce qui est remarquable du travail de cette équipe, c'est la rapidité avec laquelle elle a tissé des liens étroits avec les fournisseurs d'ici.

Lors de notre plus récent passage, un thon rouge gaspésien gigantesque venait d'arriver en ville, à peine pêché à la ligne - ce qui le rend écologiquement correct - et la Maison Boulud venait de mettre la main sur une partie du butin, comme notamment le Toqué ! et le Club Chasse et pêche. Il faut dire que Boulud faisait affaire avec des producteurs québécois avant même de s'installer au centre-ville.

Magnifiques moments

Parmi les nombreux plats que j'ai mangés lors de mes quelques visites, certains étaient impeccables, notamment une lasagne au homard d'une immense finesse, composée de bons morceaux de crustacés déposés entre de très minces feuilles de pâte et d'épinard, parfaitement empilées, le tout complété par une sauce américaine émulsionnée au corail de homard particulièrement délicate et soyeuse.

L'assiette de thon à peine saisi servie récemment était aussi spectaculaire, principalement grâce à la fraîcheur et à la qualité du morceau de poisson, rouge comme du steak, fin et tendre à couper à la fourchette. À l'italienne, le chef l'avait préparé avec du fenouil en morceau un peu braisé, un coulis au vert de fenouil et une huile aux tomates et aux anchois qui donnait au plat un petit peu de zeste. On en aurait pris davantage, mais en même temps, on comprend l'idée en cuisine d'avoir voulu minimiser l'interférence face à cette pièce remarquable de thon frais.

Autre magnifique moment : une soupe froide de petits pois à la menthe, d'une texture presque satinée, ponctuée de copeaux de speck - jambon fumé - en chips et d'une chantilly au romarin.

Les desserts sont aussi souvent remarquables. Les amoureux de choses sucrées et chocolatées seront renversés, par exemple, par le fondant au chocolat et au caramel, où le célèbre gâteau ne laisse pas échapper une sauce au chocolat mais plutôt un caramel salé riche et onctueux. Et que dire des madeleines toutes chaudes qu'on apporte à la fin du repas, une tradition chez Boulud.

Est-ce que tout est parfait ? Non. Cet été, un gaspacho sans personnalité m'a déçue, banal. Et la sauce aux anchois de la salade niçoise l'assommait par son sel plutôt que de la réveiller.

Et j'ai trouvé un peu brouillonne la salade de burrata qu'on m'a servie récemment. Malgré la laitue un peu amère, le plat manquait de structure et n'arrivait pas à mettre en valeur cette riche mozzarelle à la crème.

Mais on oublie vite, quand un morceau impeccable de morue noire confite à l'huile d'olive arrive à table, offrant sous la dent cette infime résistance qui réjouit sur le champ.

Même chose pour l'assiette de boeuf en duo, réconfortante, où la viande braisée est si richement savoureuse qu'on a presque envie de demander la recette, pour en faire au chalet, entre les feuilles mortes et le feu de cheminée.

Le menu du Boulud est éclectique et cherche visiblement à accomplir plusieurs choses différentes en même temps. On parle aux touristes, à tous les Montréalais des cercles de pouvoir qui y mangent le midi, aux gastronomes attirés par le nom du chef. Ce menu est aussi un peu français vu la signature qu'il porte, un peu italien grâce au chef, un peu québécois puisqu'il est résolument ancré dans les produits régionaux.

La Maison fait partie de ces restaurants où l'on doit choisir la partie du menu qui nous concerne, les plats qui nous plaisent, et prendre plaisir à les déguster dans un contexte de grande classe.

Maison Boulud

1228, rue Sherbrooke O.

Montréal

514 842-4212

Prix: Le soir, entrées entre 13 $ et 27 $ (foie gras), plats principaux entre 28 $ et 46 $ environ. Desserts: 12 $ ou 13 $. Menu dégustation pour 80 $. Le midi: menus à 28 $ ou 35 $.

Carte de vins: Belle cave pilotée par la sommelière Isabel Bordeleau, à qui on peut expliquer ce que l'on cherche et qui fera des suggestions précises. La carte comprend plusieurs grands classiques mais aussi des bouteilles relativement plus abordables triées sur le volet, originales. Joli choix de vins au verre, varié. Et les amateurs de vins nature ne sont pas oubliés.

Service: Hyper professionnel. Plusieurs serveurs à chaque table pour assurer un service efficace. Beaucoup de petites attentions. Formel mais jamais froid.

Bruit: Niveau de bruit juste assez vivant mais pas trop, ce qui fait qu'on peut s'entendre parler. Fort agréable.

Le côté feutré, chic, très professionnel des lieux. On est chez des gens qui prennent leur travail au sérieux. Un endroit où se gâter, où s'offrir un verre de champagne.

Une cuisine parfois inégale.

On y retourne? Oui.