La plus récente présentation du festival Montréal en lumière a été intéressante, mais tranquille. Pas de grande vedette internationale pour attirer les paparazzi gourmands. Pas de thème racoleur. Entre la Belgique et l'État de Washington se sont glissés des événements valables tout en discrétion.

Bravo au Franco-Bruxellois Nicolas Darnauguilhem pour son utilisation audacieuse des «épices» sauvages québécoises dans son magnifique petit repas à La Fabrique. Chapeau bas à son compatriote Yves Mattagne pour son très grand professionnalisme et son enthousiasme chez Toqué! . Merci à Clément Petitjean, de la campagne wallonne, qui a su nous faire redécouvrir les gibiers d'ici avec créativité et une technique d'une grande précision.

Ce qui a été particulièrement frappant aussi cette année, c'est comment ce festival a réussi à nous faire voir, une fois de plus, notre réalité à travers le regard curieux et nouveau des visiteurs. Une des soirées les plus éloquentes, à cet égard, fut celle passée au restaurant La Porte avec les Wallons Éric et Tristan Martin.

Installé dans une section très passante du boulevard Saint-Laurent, même s'il passe souvent inaperçu, La Porte est l'un des meilleurs restaurants montréalais du moment et l'un de ceux dont les prix, pour la qualité des plats offerts, sont les plus raisonnables.

Quand on sait que le coût d'un repas tout simple composé d'un sandwich et d'une soupe dans un casse-croûte peut aisément grimper au-delà des 15$, manger un lunch à 20$ ou 25$ à La Porte est une aubaine d'un tel raffinement qu'elle en est presque gênante. Surtout que la maison s'approvisionne chez de bons producteurs, dont les noms sont affichés sur le menu et le site web.

Ouvert il y a six ans par Thierry et Pascale Rouyé, dont le fils Maxime est aujourd'hui aux fourneaux, le restaurant La Porte s'est installé sur le boulevard Saint-Laurent, là où était jadis le Il Sole. Ce restaurant, autant par son décor bo-bo unique, ni ringard ni branché, que par sa cuisine très professionnelle à la française, est pourtant à des lieues des adresses que l'on connaît dans le coin. Pour les martinis au yuzu, on va ailleurs. Pour le meilleur kouign-amann en ville, on s'y arrête, à tout prix.

Sorte de pain feuilleté au sucre et au beurre, le kouign-amann est un plat typique de Bretagne, région d'origine du couple Rouyé, jadis installé à Vannes. Même si la cuisine de La Porte est très inspirée par les produits d'ici, l'esprit breton s'y retrouve aussi ici et là.

Ainsi, un potage du jour est une crème de panais vanillée toute en délicatesse, servie avec un tartare de pétoncles à la pistache, qui se faufile en bouche, apportant contrastes de textures et de saveurs maritimes. Ou alors, un saumon est préparé en croustillant, façon tataki, roulé dans une fine pâte, ponctué par une vinaigrette asiatique légèrement enrichie de soja, mais surtout accompagné d'un chip de gingembre qui vole le spectacle, agréable, parfumé et original.

En plat principal, la morue, qu'on appelle ici cabillaud, est servie en pavé avec un assaisonnement qui se balade du côté de l'Espagne, mais sans jamais oublier ce terrain d'entente entre le Bretagne et le Québec: le homard. Ainsi, le poisson qu'on aurait peut-être aimé un brin moins cuit, était accompagné d'un écrasé de pomme de terre rendu savoureux par du chorizo, tandis que citron confit, olives et émulsion de homard au kari gosse (cari typique de la cuisine bretonne, parvenu jadis en France par l'entremise des commerçants maritimes exerçant en Inde et ailleurs en Asie) complétait la composition.

Autre plat spectaculaire: un saumon légèrement fumé et confit dans l'huile d'olive totalement fondant, servi tiède sur une compotée de chou rouge acidulée, complexe et savoureuse. Le tout accompagné de grains de sarrasin à la girolle préparés d'abord façon risotto, puis grillés au beurre noisette, un à-côté hivernal réconfortant, suffisamment élégant, goûteux et original pour qu'on demande au chef la recette.

Au dessert, le kouign-amann est riche, croustillant à l'extérieur, moelleux à l'intérieur et on le trempe dans un impeccable caramel au beurre salé. On en prendrait à chaque goûter. Cela dit, on peut aussi choisir une composition de fruits secs caramélisés trempés dans une sauce au chocolat, déposés sous une poire pochée et des grains de crumble au chocolat, avec une crème légère à la vanille. C'est à la fois bien structuré - textures contrastées, acidité de la poire bienvenue, parfums joliment assortis - et parfaitement gourmand.

S'il vous reste encore de l'appétit ensuite pour les mignardises, bravo.

La Porte

3627, boul. Saint-Laurent

514-282-4996

www.restaurantlaporte.com

Prix: Le midi, le menu à 20$ ou 25$ comprend deux ou trois plats et des gâteries. Le soir, le menu dégustation monte à 60$. On peut aussi commander à la carte, où les entrées sont entre 10$ et 20$ environ et les plats entre 20$

et 40$ grosso modo.

Carte de vins: Jolie sélection

à prix très variés incluant beaucoup d'étiquettes françaises.

Service: Service très professionnel, souvent assuré par la sympathique Pascale Rouyé elle-même.

Faune: La clientèle de La Porte n'est pas celle qui marche sur le boulevard dans ce quartier et découvre les lieux pas hasard. C'est une clientèle avertie qui s'y rend pour le bon rapport qualité-prix du midi et pour manger une cuisine sérieuse, à l'abri des modes.

Décor: Là encore, on est à l'abri des modes, dans un univers gris souris ponctué d'éléments décoratifs originaux, dont une porte ouvragée à la marocaine. Mon élément favori: la lampe suspendue dans l'alcôve du fond, introuvable apparemment...

Les plus: La qualité de la cuisine, fine, créative, très professionnelle, réellement sérieuse, qui fait du bien dans un monde où l'improvisation a trop souvent le haut du pavé. Ah, et il y a aussi la gentillesse de l'accueil qui donne envie d'y retourner.

Le moins: On pourrait dire que le quartier n'est pas approprié pour une table fine comme celle-là. Mais l'expérience vaut le détour.

On y retourne? Oui.