Quand la fameuse Auberge Hatley de North Hatley, dans les Cantons-de-l'Est, a été détruite dans un incendie il y a quelques années  celle où l'ancien président français Jacques Chirac allait parfois en vacances , la région s'est sentie un peu orpheline. Perdre un repère de la sorte ne se fait pas sans heurts, sans débordement de nostalgie.

Heureusement, il y avait une deuxième institution hôtelière de haut calibre pour tenir le fort non loin: le manoir Hovey.

Aujourd'hui, c'est lui, la référence, dans ce magnifique coin de pays.

Installé aussi sur les rives du lac Massawippi, le Manoir est exactement ce qu'on attend de ces auberges anciennes avec terrasses, vues sur l'eau et les collines, canoës et cannes à pêche. Entre la piscine et les fauteuils Adirondack sur le quai, on y profite d'une villégiature paisible, très classe. Le lieu fait partie des Relais&Châteaux et, côté service et accueil, ça se voit. De plus, la table est sérieuse, la cave à vin aussi.

L'an dernier, une partie de l'auberge a été à son tour la proie des flammes, obligeant les propriétaires, la famille Stafford, à rénover notamment la cuisine et la salle à manger.

Les transformations ont rajeuni l'endroit, mais aussi changé légèrement l'esprit des lieux. Par exemple, au revoir les murs jaunes de la salle principale, maintenant tapissée de tons crème et chocolat.

Le nouveau style est toutefois particulier. On dirait le papier peint déchiré. L'audace tranche avec le classicisme du reste. A-t-on voulu dépoussiérer l'atmosphère en limitant le côté rétro, «vieux cuir et tartans» si présent jadis? Ou pas? La modernisation de l'atmosphère semble hésitante.

À table, au restaurant Hatley, même double message. Le service demeure archiprofessionnel et attentionné et, côté vins, la carte propose toujours beaucoup de classiques. Mais on cherche aussi à explorer ailleurs. Alors qu'on attend un alsacien ou un bourgogne, on nous propose d'entrée de jeu un vin australien ou un chardonnay du Jura.

Même expérience au repas

En fait, cette quête de créativité et de chemins plus audacieux, à l'intérieur d'un cocon encore assez traditionnel, est à l'image de toute l'expérience du repas. La table des chefs Roland Ménard et Francis Wolf semble en effet constamment avoir envie d'explorer tout en restant ancrée dans des valeurs sûres. Difficile pour une réelle originalité.

Pour amorcer le repas, on nous offre une mise en bouche délicate faite d'une crème montée aux cèpes servie avec de fines lamelles de carottes et de minuscules champignons pieds bleus. L'accord des champignons marche, les carottes apportent une légère note sucrée, mais la crème, racoleuse, est un peu riche. On cherche une acidité en contrepoids.

En entrée, suivent plusieurs petits plats, allant d'un pétoncle unique sur polenta croquante, bien fait mais sans zeste, à une combinaison plus audacieuse de morue charbonnière ultra-fondante sur artichaut grillé avec un bouillon de capucines juste assez marqué par la profondeur un peu poivrée de ces fleurs comestibles. Un des plats les plus intéressants est toutefois un hommage à la salade de tomates du chef français Michel Bras, où elles sont disposées en magnifique damier dans l'assiette, toutes différentes, parfois ponctuées de minifleurs, apprêtées de façon fraîche, avec un peu de betterave et de délicates mayonnaises. A-t-on précisé que les chefs cherchent le plus possible à s'approvisionner localement et qu'avec de tels plats, cette quête est bien mise en évidence?

Plus classique, le foie gras est au torchon, relevé par des baies de sureau juste assez sures, une meringue au poivre long, un pain brioché à l'estragon et quelques raisins Concorde. La longue liste d'ingrédients pourrait être simplifiée, mais le plat demeure néanmoins élégant et techniquement impeccable.

En plat principal, la pièce de boeuf des Cantons est parfaitement cuite, bleue comme on l'avait demandée. En revanche, le flétan du Pacifique rôti, avec relish de maïs en grain et huile de persil, aurait pu l'être un peu moins et, ainsi, gagner en élégance.

Au dessert, c'est le granité au basilic, lisse et doux, qui vole la vedette dans un plat confectionné avec des fraises tardives et un gâteau à la vanille. De la même façon, un caramel à la cardamome tient le premier rôle dans une création au chocolat avec guimauve à la menthe. Comme beaucoup d'autres plats, cette invention complexe pourrait être mieux mise au point, plus précise. C'est beaucoup demander, mais dans une institution d'une telle envergure, on peut sûrement s'attendre à cela.