Lorsque j'ai vu le nom de ce restaurant la première fois, j'avoue que j'ai laissé tomber un soupir.

Comptoir charcuteries et vins? Avons-nous vraiment besoin d'un autre endroit de ce type? me suis-je demandé, un brin découragée à l'idée de tomber pour la millième fois sur un restaurant au chef tatoué surtout doué pour l'ouverture des huîtres, proposant un menu carnassier avec peut-être, comme d'habitude, de la poutine réinventée.

«Pas du tout», m'a dit une amie, qui a fini par me convaincre d'aller jeter un coup d'oeil, en me garantissant notamment une carte de vins exceptionnellement originale et remplie de petites trouvailles. Et voilà.

C'est ainsi que je me suis retrouvée dans cet établissement sans prétention, que j'ai goûté à la cuisine accessible mais créative et très soignée du chef Ségué Lepage, et que j'ai eu un coup de coeur pour ce petit troquet boulevard Saint-Laurent, près de la rue Villeneuve.

D'abord, soulignons-le tout de suite: oui, on sert de la charcuterie à ce Comptoir charcuteries et vins. On la fait d'ailleurs sur place et elle est simple, délicieuse et soigneusement préparée dans toutes les installations de rigueur: saucisson au fenouil, coppa di testa, ventrèche, canard séché...

Mais c'est dans les plats cuisinés, voire carrément dans le travail des légumes - donc loin de la viande - ou alors dans leur opposition aux poissons et aux braisés, que le talent de Lepage trouve ses plus belles expressions.

D'abord, il est important de souligner que le Comptoir est un restaurant où l'on prépare avec panache des ingrédients très simples et abordables. Cela permet de garder les prix à des niveaux raisonnables. Et de montrer une réelle créativité. Donnez à n'importe quel chef du foie gras ou du homard et le plat a de bonnes chances, en partant, d'être intéressant. Donnez-lui une betterave ou un navet, c'est une autre histoire.

En entrée, donc, on commence avec une assiette de maquereau cuit sous vide, dont le gras moelleux est ponctué avec grande justesse par l'anisé d'un fenouil parfaitement craquant. Pour arrondir le tout, un oeuf en pommade entoure le poisson, son goût rehaussé par de la moutarde. L'équilibre de toutes ces simplicités conjuguées rafraîchit et nous impressionne.

Bonne note aussi pour la salade de betterave, même si la combinaison classique avec le chèvre - du moins très joliment présentée - est moins surprenante. Bravo toutefois pour le cresson et les pommes, combinaison fraîche et acidulée dont les textures tranchent avec le velouté des racines.

Autre option pas chère en principal ou alors simple entrée: de savoureuses papardelles aux abats, où de grosses lanières de foie, notamment, se glissent et se blottissent dans une sauce crémeuse, entre les larges pâtes et les oignons confits, assiette à peine verdie par une petite pluie de ciboulette hachée.

En plat principal, la morue charbonnière est un régal. Cuite tout en onctuosité, elle repose sur une sorte de gâteau d'aubergine sucré et acidulé, façon caponata, sans les olives. Chaque bouchée est donc complexe, savoureuse et nous plonge dans un univers qui évoque à la fois la Méditerranée - vu cette ratatouille vaguement sicilienne - et le froid, vu les références toutes vinaigrées et sucrées aux marinades nordiques.

Les amateurs de cuisine rustique réinventée apprécieront, de leur côté, le sandwich pressé au porc effiloché, lui aussi bien équilibré, entre la richesse grasse de la viande et le côté un peu sur des oignons marinés. Autre option carnivore: la côte de porc bien rose et très tendre, sérieusement épaulée par une réunion de choux de Bruxelles, de carottes et autres panais, combinés à des spätzle, tous en goguette dans une sauce riche et profonde. On pourrait très bien ne manger que ces ingrédients baignant dans le jus de viande, façon «flexivore», et sortir de table parfaitement heureux.

Au dessert, le plat gagnant est, il est clair, le pain perdu à la banane caramélisée, avec ganache de chocolat manjari. Là encore, mis à part pour le chocolat de bonne qualité, on joue avec des ingrédients pas compliqués et on en fait quelque chose de fin et de réellement joyeux. Le gâteau est riche mais pas trop, la banane beurrée fond en bouche, le chocolat est si noir qu'on s'y perd le sourire aux lèvres.

Bons points aussi pour la tarte aux pommes avec meringue vanillée, fine et craquante, vitaminée et sucrée, bref bien construite, comme tous les plats de cet abordable mais somptueux repas.

Comptoir charcuteries et vins

4807, boul. Saint-Laurent, Montréal, 514-844-8467

www.comptoircharcuteriesetvins.ca

Prix: Fort raisonnables. Quelques exemples: entrée de maquereau: 11$, plat de papardelle - entrée ou principal: 12$, morue charbonnière: 17$, côte de cochon facile à partager: 35$.

Vins: La carte de vins est particulièrement intéressante et remplie de trouvailles triées sur le volet. Préférence pour les vins nature, de petits producteurs, souvent français, proposés à des prix très accessibles. Lors de notre passage, par exemple, il restait des Morgon de Marcel Lapierre.

Ambiance: Depuis son ouverture, le restaurant ne reçoit que des éloges et le bouche-à-oreille a fait son oeuvre : c'est très achalandé. Il faut donc réserver absolument. Mais l'ambiance est ainsi festive, animée. Une bonne partie de la clientèle s'assoit au bar. S'y retrouvent beaucoup d'amateurs de bonne cuisine et de jeunes oenophiles attirés par les prix raisonnables et la qualité de la carte.

Style: Cuisine du marché accessible, très abordable, mais aussi très raffinée et beaucoup plus minutieuse que bien d'autres.

Le chef: Ségué Lepage, que l'on a connu aux tout débuts de la Montée de lait et qui est ensuite parti travailler avec Jérémie Bastien à Vancouver.

Plus: Un rapport qualité-prix exceptionnel et une ambiance franchement sympathique.

Moins: Ne pas oublier de réserver ! C'est très populaire et la salle n'est pas immense.

On y retourne: Le plus vite possible.