Les seules fois où j'étais allée chez Sho-Dan, dans le passé, c'était le midi. J'y avais mangé des sushis de belle qualité, frais et précis, sans trop m'aventurer dans les créations baroques ou allumées. On m'avait souvent recommandé d'essayer cet établissement aussi le soir, où une atmosphère beaucoup plus feutrée s'empare du restaurant qui devient très sombre, très lounge. Et où le chef, aussi, se laisse aller à créer ce que tous les habitués, et ils sont nombreux, connaissent sous le nom de «spécialités».

«Commande tout simplement les "spécialités", m'avaient dit de bons clients. Ils vont tout de suite savoir de quoi tu parles.»

C'est ce que j'ai fait.

Comme si j'avais lancé un mot de passe magique pour connaisseurs, le serveur a tout de suite compris.

«Bien sûr, a-t-il répondu. Quelqu'un a des allergies? Vous aimez le piquant?»

Le repas venait d'être lancé, façon omakase, ce défilement de plats de type tapas, version japonaise allégée du menu dégustation à la française. Et ici, chaque assiette a un nom : Besame Mucho, Tin Tin, Cita... Toutes sont très jolies, bien présentées. Parfois un peu trop décorées avec des éléments dont on se demande pourquoi ils sont là, pas toujours en top forme.

Bien qu'élégant et très bien préparé techniquement, le premier plat manquait un peu de profondeur de goût. Pas assez salé, pas assez relevé. Pourtant, la base était constituée de feuilles de shiso, une sorte de basilic japonais, en tempura. Le problème, c'est que le shiso n'avait plus de force parfumée. Par-dessus, le tartare de thon épicé, sucré à la mangue, était frais et agréablement salé par les oeufs de truite.

On nous a apporté ensuite une autre variation avec thon rouge, un poisson pourtant menacé que bien des restaurants choisissent maintenant de ne plus servir, en commençant par les Relais et Château.

Cette fois, il était servi avec de l'avocat, de la crevette, des flocons de tempura, le tout enroulé dans des feuilles de soja. Là encore, même constat : des idées intéressantes, mais un produit pas encore fini, qui manque d'angles droits, de précision. Une sauce teriyaki trop sucrée, du wasabi qui n'arrive pas à imposer son bémol piquant, une combinaison de textures trop semblables.

Le sashimi d'hamachi fut un des plats les plus intéressants, même si la vinaigrette à base de ponzu aurait pu être moins sucrée et plus acidulée. Toutefois le poisson était frais et fondant et les tranches de jalapeños donnaient un réel coup en bouche, qui faisait contraste avec la constante mielleuse des premiers plats.

Suivirent un plat au saumon épicé, puis des oignons frits enrobés eux aussi dans le saumon... Beaucoup de thon, beaucoup de saumon, beaucoup de sauces douces. On cherchait un peu la variété. Des pétoncles? Plus de crevettes? De l'anguille? De la truite? De l'omble?

Heureusement, on a clos le repas ensuite avec un plat de morue noire marinée dans le saké et servie avec des asperges grillées, un choix quand même particulier, en novembre. Mais quel bon poisson que cette morue charbonnière, moelleuse, qui a presque un goût naturel de beurre fondant en bouche. Là encore, sauce très douce. Un peu trop.

Le chef, était-ce uniquement ce soir-là, avait la dent sucrée. Peut-être est-ce le temps de partir sur l'acide ?

La prochaine fois, on sera peut-être un peu plus précis, en établissant nos préférences au début du repas : pas trop sucré, plus grande variété de poissons, plus d'acidulé, du piquant. Il y a quelque chose d'intéressant qui se passe dans cette cuisine. On sent que quelqu'un, quelque part, a envie d'innover, de découvrir. Un peu plus de minutie dans l'agencement des saveurs et de dosage est ce qui manquait le soir de notre repas.