Il y a des jours comme ça. On jure contre les lundis. Et contre les dimanches aussi, puisque la grande majorité des bons restaurants de Montréal prennent du repos ces jours-là (souvent l'un ou l'autre). En tout cas, si vous avez une envie de bonne cuisine, vous avez intérêt à ne pas être trop pointu sur le choix. Au mieux, ça fera plouf! Au pire, vous sortirez aigri, et vous devrez vous résigner à affronter les foules joyeuses (et surtout excitées) des week-ends. Mais il y a des exceptions. En voici une, et pas des moindres.

Le restaurant Bistro Cocagne, rue Saint-Denis, à Montréal, fait son petit bout de chemin tranquillement, car son chef, au contraire des gastrostars du moment qui aiment parader, préfère travailler dans l'ombre, mais avec rigueur et vigilance. C'est un jeune homme qui ne se laisse pas prendre au piège de l'ego surdimensionné. Chez lui, on vient pour manger. Et il est si efface que l'on se rend à peine compte qu'il y a en cuisine un très grand talent, qui n'a fait que mûrir au cours des dernières années.

 

En un mot, aller chez Cocagne, c'est partir à la rencontre de quelqu'un qui se donne entièrement. Sa cuisine est limpide, dépouillée et d'une grande élégance, toujours juste et un tantinet provocante. Or, vous ne vous en apercevrez pas tant c'est bien dissimulé. C'est un peu ça le but d'un chef comme Alexandre Loiseau (ex-Toqué!, ex-La Bastide), faire des plats bavards et musclés, qui s'expriment comme s'ils étaient dans un confessionnal: à petites touches, sans vocifération et sans produits «namedroppés» !

Dans ce décor masculin, un brin sévère et mélancolique qui ne demande qu'à vibrer, on essaiera d'alléger l'ambiance en parlant fort, en discutant vins avec le sommelier, en cherchant à transcender l'effet vaguement cafardeux du lieu. Bon! On se dit que le responsable, c'est peut-être le climat automnal qui nous affaiblit...

À la carte, par ce froid humide, nous optons pour des nourritures viriles, ardentes et parfaitement yang!

Loiseau sait y faire: quelques amuse-bouche (facturés à 2$ pièce), de petits acras de morue, si délicatement parfumés qu'on saisit à peine qu'il s'agit de poisson, encore moins de friture.

En entrée, des ravioles de pintade confite d'une succulence inégalée pour une volaille difficile et coriace, que le chef présente sur des oignons caramélisés, presque en purée et nappés d'un court trait d'huile de truffes blanches. C'est un plat généreux et coloré, rehaussé de notes terriennes, presque une ode à la forêt.

On trouve aussi une sorte d'admirable netteté dans les gnocchis de ricotta, aussi légers qu'un soupir, et pourtant bien plus ensorcelants: il les agrémente d'escargots et les présente sur une purée de courge soyeuse, nappée d'un trait de jus de fleur d'ail. Rien qui jure ni ne détonne dans ce plat d'une rare finesse aromatique.

En plat, c'est un peu plus sérieux, l'assiette passe au mode déluré, sans vergogne. Des plats murailles, en son et lumière presque, tant c'est parfumé, les sauces au collagène bien défini, les portions comme ça! Des viandes, braisées pour la plupart, mais aussi grillées et d'une précision diabolique, des légumes racines, des lentilles, des odeurs humides et fermières. C'est la signature de Loiseau: tout est un contrepoint d'herbes et de jus d'une incroyable densité aromatique, c'est merveilleux (voire attendrissant) de pétulance!

Prenez le steak de cerf de Boileau. Il y a là presque 200 g de viande superbement saisie et nappée d'une sauce poivrade, laquelle aborde quelques petites rattes rouges sautées à la peau croustillante et à la chair beurrée. De la vraie adrénaline.

Ou l'épaule de sanglier braisée, en portion d'adulte. Elle ressemble à s'y méprendre à un lingot. Or, c'est malgré tout un séisme de velours, avec sa poêlée de lentilles vertes finement parfumées, et ses épinards sautés au beurre, et ce trait de vincotto sirupeux pour apporter une note acidulée (et donc un équilibre) à toute cette chair animale.

Les desserts ne sont pas en reste. Nous enfilons à deux et presque sans nous en rendre compte un pudding chômeur à l'érable (mais oui, ne riez pas!) cuit à même la casserole, absolument formidable de tonus. Et de sucre.

Après un tel exercice de style, de voltige, de finesse, Cocagne est encore, cette année, l'une de nos tables préférées en ville.

BISTRO COCAGNE

3842, rue Saint-Denis,

Montréal

Tél.: 514-286-0700

>On y retourne? Ah oui! Surtout en milieu de semaine, quand on a une envie de calme, de volupté et de luxe! Dans cet ordre.

>Prix: En ce moment, on pourrait dire qu'il s'agit de l'une des meilleures affaires sur le Plateau: menus à 26$, 32$ ou 42$, et menus dégustation de 6 ou 7 services avec ou sans vin, à partir de 60$! Qu'attendez-vous pour vous y précipiter? Qu'on vous paie le stationnement?

>Vins: Très belle carte éclectique, qui pulse et qui s'éloigne des habitudes. Le choix au verre est limité, mais le sommelier ouvrira des bouteilles si vous êtes disposé à la souplesse.

>Faune: Petite bourgeoise, un peu lente et impassible.

>Service: Il est précis, mais pas forcément aisé. Le sommelier est vraiment pro et attachant!

(+) De formidables menus thématiques autour d'un produit végétal (tomate, pomme de terre, courge), à toutes les saisons.

(-) Une certaine froideur dans le décor, masculin et austère. Est-ce le système de chauffage ou le manque de couleur?