Dans le petit monde montréalais de la restauration, une grande question fait actuellement l'objet de débats passionnés: les chefs Marc-André Jetté et Patrice Demers ont-ils bien fait de partir du Laloux pour aller au Newtown?

Quand leur décision a été rendue publique, le printemps dernier, elle s'est répandue comme une traînée de poudre. Hein? Quoi? Au Newtown?

Les observateurs ont été, pour le moins, surpris.

L'ancien restaurant de Jacques Villeneuve, racheté par les mêmes propriétaires que le Decca 77, est un monument de la rue Crescent, une rue réputée pour être très touristique et pas mal plus portée sur les shooters et la course automobile, que, disons, les macarons au sureau ou le jus de morille. Alors que le Laloux, chic café bo-bo de l'avenue des Pins où Demers avait emmené avec lui une bonne partie de sa clientèle des Chèvres à Outremont, est justement le genre de lieu où on s'attend à découvrir une nouvelle fleur de sel ou un jaune du Juras étonnant.

Mais bon. Les deux jeunes chefs sont partis. Il ne restait plus qu'à aller faire un tour dans leur nouveau logis du centre-ville, pour voir comment ils allaient, ce que j'ai fait récemment.

Comme cliente, je peux dire que tout va bien. Si vous voulez manger de la fine cuisine allumée, jamais lourde et jamais assommante, à la fois créative et cohérente, allez au Newtown. Mais l'expérience ne sera pas du tout la même qu'au Laloux, entendons-nous. On n'est plus dans un restaurant élégant inspiré d'une jolie brasserie à l'européenne, mais plutôt dans un immense complexe de restauration composé d'un «club», d'un «lounge», d'une vaste salle à manger et d'un bar sur le toit. Le Newtown, rappelez-vous, était jusqu'à tout récemment le restaurant d'un coureur automobile. Pas d'Émile Zola. Et vous ai-je dit qu'il est situé rue Crescent?

Cela dit, dès qu'on commence à voir les plats arriver dans la salle à manger, qui se distingue comme une oasis au coeur d'un ensemble un peu tapageur, on retrouve le bonheur que nous ont apporté les deux comparses jusqu'à présent.

Ainsi, dès l'entrée, j'ai été séduite par un plat de mozzarella di buffala accompagnée de haricots verts et d'un concassé d'amandes au citron meyer. En Amérique du Nord, on a tendance à toujours répéter la fameuse recette mozzarella-tomate-basilic servie en Campanie. Il est joyeux de voir des chefs d'ici oser apprêter autrement ce fromage léger et crémeux d'une grande délicatesse. Les haricots apportent de la fraîcheur, le citron un parfum acidulé et les amandes une note croquante. Le tout est lié par une huile d'olive à peine amère. Une belle composition. Même joie avec la raviole de canard de Pékin au goût anisé que l'on propose sertie d'un nuage de mousse «espuma» aux champignons sauvages. Un plat boisé, très fin, qui nous réveille avec la référence légèrement asiatique qu'apporte la badiane.

En plat principal, nous avons opté pour un plat de poisson qui, ce jour-là, était une truite de Tasmanie d'élevage, venue non pas de l'autre bout de la planète mais plutôt du nord de l'Europe. Ouf. Truite de mer au goût frais et léger, ce poisson est souvent servi poché à très basse température afin de garder son moelleux. Ici, elle aurait pu être cuite 8 secondes de moins, et encore. Ébouillantée, en compagnie de quelques feuilles de bok choi hyper croquantes, par un bouillon à la japonaise de type dashi, donc à base d'algues et d'un peu d'ébonite, elle était au coeur d'un plat qui jouait, harmonieusement, sur tous les tableaux: le liquide, le salé, le moelleux et le craquant à peine affaibli par la chaleur du liquide. Un autre fort agréable assemblage.

Le plat de pétoncles poêlés s'est avéré lui aussi charmant. Fruits de mer à la cuisson techniquement impeccable. Garniture au zeste de citron, aux câpres et aux amandes, juste assez salée, dont le seul défaut était de ressembler un petit trop à celle de l'entrée de mozzarella. Chou-fleur sauté, réconfortant et vitaminé à la fois...

Newtown, comme c'était le cas pour Laloux quand Demers et Jetté y étaient, n'est pas un restaurant aux portions copieuses. Tant mieux. Car on veut garder de la place pour le dessert, pour les créations de Patrice Demers, un des meilleurs pâtissiers en ville.

Étonnant, donc, de voir «salade de fruits» sur le menu? Oui et non. Car on se doute bien qu'avec Demers, elle ne sera pas ennuyeuse. Et effectivement, une couronne de baies toutes plus roses et rouges et bleues les unes que les autres arrive dans l'assiette, ponctuée de fleurs et de petits cubes de gelée de prunes et même de mini tranches de céleri confit pour la verdure. Ajoutez à cela un peu de «foam» de groseille à la vanille, de sorbet à la framboise... Un dessert amusant et impeccable qui termine le repas de façon élégante, sucrée et légère, mais surtout très parfumée.

En revanche, si vous cherchez les framboises, elles ne seront pas nombreuses dans le dessert officiellement appelé «à la framboise». Mais si c'est une tarte au citron éclatée et déconstruite que vous cherchez, faites, paradoxalement, ce même choix. Car à côté des rares framboises il y a une gelée de citron, de la poudre de noix de coco et de basilic, un foam au miel qui évoque la meringue, du biscuit graham maison... Qu'importe si le dessert a l'air compliqué quand il nous rend heureux une fois en bouche!

NEWTOWN

1476, rue Crescent

Montréal

514-284-6555

www.lenewtown.com

> Prix : Environ 12$ à 15$ pour les entrées; entre 21$ et 35$ pour les plats principaux; 9$ pour les desserts.

> Vins : Une très jolie sélection de la professionnelle et sympathique sommelière Marie-Josée Beaudoin, une autre ancienne du Laloux qui a suivi les deux chefs. De jolies trouvailles et, surtout, une belle prépondérance de vins du Vieux Monde de qualité à des prix pas nécessairement exorbitants (on peut toujours prendre du vin au verre) dans un quartier où, trop souvent, les cartes sont inondées de zinfandel et de crus australiens.

> Service : Précis et professionnel.

> Décor et ambiance: La salle, décorée de façon minimaliste mais élégante, est immense et lorsque nous y sommes allés, un jeudi soir de fin d'été, elle était loin d'être pleine. L'ambiance était donc assez tranquille bien que pimentée par un groupe de touristes. Pour voir plus de monde, il faut descendre d'un étage. Mais le menu n'est pas le même. Et on est au niveau de la rue Crescent...

> On y retourne? : Oui, avec enthousiasme, mais en grimpant vite les marches pour arriver à la salle à manger le plus rapidement possible et oublier tout le reste. Et peut-être aussi pour prendre uniquement un dessert et un verre de mousseux, après le théâtre ou le cinéma.