Bel effort quand même! Celui d'un cuisinier et d'un maître d'hôtel alsacien désireux de donner des lettres de réelle noblesse au Bistingo, petit resto de quartier auparavant assoupi dans son confort de cuisinette classique. Ces efforts sont sincères, certes. Mais pour le moment, c'est comme un coup d'épée dans l'eau.

Tout n'est donc pas parfait au royaume de la cuisine française rajeunie et réinventée. Pourtant, c'est dans les petites attentions que la maison se distingue: des bouchées croustillantes offertes en attendant le premier plat, un entremets liquide avant l'entrée, une mise en bouche, un pré-dessert, des moments de réelle générosité qui nous font comprendre que les détails font souvent les bonnes tables. Mais surtout, celles dont on se souvient. Même si trop d'amuse-bouches, c'est comme le contraire, sinon on n'irait pas au resto, on regarderait la télé.

 

Nous nous souviendrons du Bistingo comme d'un resto qui fait généralement bien les choses et qui a de nobles intentions. Mais cela n'est pas suffisant pour en faire une très bonne maison, car il y a quelques petites faiblesses, surtout dans le goût - et ça, c'est technique: viande insuffisamment assaisonnée, trop de purées partout en accompagnement (même si elles sont excellentes), des légumes d'hiver servis au printemps, un poisson dont la croûte manque de croustillant. Vous direz que ce sont là de menus détails. Mais justement, ce sont des détails révélateurs. Ensuite, il y aurait un peu de travail à faire côté présentation. Dans un cas, elle est un peu brouillonne, dans l'autre, elle n'est pas appétissante. En bouche, heureusement, c'est mieux. Surtout parce que le chef propose une cuisine à la personnalité forte qui se nourrit d'autres cuisines et n'a pas peur de se laisser envahir par des notes étrangères et exotiques.

En tout cas, c'est un monde de différence avec l'occupant précédent qui, au fil des ans, administrait cette maison avec une complaisance un peu simple. On a repeint et rafraîchi avec un certain panache pour accentuer le côté bourgeois - nappes blanches, fauteuils confortables, beaux verres -, et cela plaira à la clientèle locale.

Qu'y a-t-il à la carte de ce Bistingo sorti des cendres? Des propositions honnêtement facturées et des plats qui se retrouvent dans l'une ou l'autre des catégories Découverte ou Gastronomique en plus de figurer à la carte. Des formules familières aux personnes qui ont voyagé en France mais qui apparaîtront comme une rafraîchissante nouveauté aux habitués des tables d'hôte.

Quant à la cuisine elle-même, nous dirons qu'elle ne jaillit pas; elle est un brin hâtive, frêle. Le potage de courge - à son sommet de saveur en octobre - est assez fade, mais il est relevé d'un peu de yaourt travaillé au piment d'Espelette et garni de ciboule fraîchement ciselée. Les pieds de porc sont hachés grossièrement et se présentent sur une tranche de champignon blanc, accompagné d'une petite chantilly assez bien troussée. Mais le tout est encombré sur l'assiette et articule mal son propos. La salade de crevettes sautées à la pâte de tandoori sort de l'ordinaire, du moins dans l'intitulé. Mais bien qu'elles soient moelleuses avec un goût franc de curry, les crevettes se présentent un peu pêle-mêle, sans vraiment de disposition, avec des morceaux de romaine et des quartiers d'orange tranchés à vif. En fait, ce plat a de la difficulté à décoller: il ne ressemble à rien, et est un peu éteint malgré l'émulsion savoureuse.

En plat, un bar, annoncé d'abord comme flétan, est d'un beau coloris brumeux, la chair un peu mordorée et parfaitement cuite, encore un peu juteuse. Mais la peau est molle et grasse, insuffisamment saisie. Cela dit, le plat est joli avec un contrepoint de salsa un peu tropicale annoncé «fresh» dans le menu. Il repose sur une excellente purée de topinambours, parfaitement assaisonnée. En proposition principale aussi, un duo de ris de veau et de cervelle (absente du plat, il n'y en avait plus, paraît-il...) est nappé d'une sauce onctueuse et sucrée, indéfinissable. Encore là, on le sert avec une purée, de fenouil cette fois, mais l'effet est peu convaincant. Ce plat manque de fini. C'est passif, un peu blasé. Pas mauvais, bien sûr, mais comme... absent.

En finale, les douceurs: une glace délicieuse «à la tarte Tatin», plus caramel que pommes, puis un écrasé de fraises fraîches du Québec dans la crème - les toutes premières, présentées dans un joli bocal. Ou des joues de mangues rôties, servies en chaud-froid avec une glace à base de mangue et parfumée aux épices. C'est frais et original. Quoi dire de ce petit bistro malgré tout agréable et dont les patrons montrent une bonne volonté manifeste? Qu'il y a encore du travail à faire et qu'ils devraient s'inspirer de ce qui se fait autour et ailleurs pour remettre un peu d'ordre dans les idées.

 

Le Bistingo

1199, avenue Van Horne, 514-270-6162

> On y retourne? Oui, mais il devrait y avoir une petite réflexion sur la composition du menu: moins d'intitulés ronflants, moins d'ingrédients, moins de plats. Car la carte est considérable et je suppose que la mise en place doit également l'être. Ah! Ces jeunes cuisiniers ambitieux!

> Prix: Très corrects pour les formules, disons moins de 90$ à deux, taxes et service compris avant le vin.

> Faune: Un peu guindée, d'un certain âge, bien mise, qui aime se trouver à l'étroit. On entend beaucoup de conversations voisines. Les sujets: sexe et argent (ou le contraire).

> Service: Certains restaurateurs n'ont pas complètement assimilé le langage non verbal du Québec: l'accueil est un peu brusque, il n'y a pas de sourires, ou ils viendront un peu tard. En revanche, le service et l'attention pendant tout le repas - malgré l'attitude - sont assez professionnels.

> Vin: Bonne carte, intelligemment pensée. Quelques choix au verre... trop peu, comme d'habitude.

+ L'effort, l'attention, la sincérité.

- L'attitude, le côté précieux qui alourdit et la cuisine et l'effet souhaité.