La cuisine thaïe est délicieusement sensuelle et provocante. Même si elle utilise des éléments techniques et des condiments chinois et indiens, elle est plus facile d'approche que les deux autres.

En un sens, c'est une cuisine hybride, et ses vertus principales viennent surtout des contrastes puissants entre les pimentés et les acidulés - le scintillement du citron, le pétillement du gingembre - mis en valeur par des liquides relevés aux caractères parfois violents.

Les néophytes en ont peur, et se contentent souvent d'aller manger dans les restos qui amoindrissent les contrastes, font des veloutés où domine la noix de coco, alors qu'en cuisine thaïe authentique, cet ingrédient doit se fondre avec les autres et apporter une texture et une nuance de délicatesse; le contraste.

Pour les vrais connaisseurs, Montréal n'est pas une ville où le choix de restaurants thaïs est des plus variés. Mais il y a ce Phayathai, tenu depuis plus d'une dizaine d'années par une famille de Laotiens - cousins de la culture thaïe - au centre-ville et depuis un peu moins longtemps dans une deuxième incarnation, avenue Laurier.

Dans l'élégance en formica qui est la leur, les patrons ont voulu recréer un peu de cet Orient déconcertant fait de beauté et de disgrâce: tapis un peu maculé, peintures en série, beaucoup de rose! Dans un coin, quelques éléments religieux, une petite maison des esprits, un bouddha de plâtre, qui apportent une touche de sérieux. C'est à la fois touchant et délicieusement rétro. Si on aime.

Au menu, des spécialités sur toutes les pages : porc, volaille, boeuf, fruits de mer, nouilles et féculents, dont les salades nous ont paru être les meilleures du genre en ville, et certainement ce soir-là parmi les choix que nous avons faits. Sans parler de la présentation, élégante, panachée et faite avec un souci de respecter les codes classiques.

Ainsi, la salade de mangues vertes, taillées en fine julienne, avec du concombre, de l'échalote, beaucoup d'herbes et de piment frais, arrosée libéralement de jus de lime et de sauce de poisson, est un pur ravissement de fraîcheur et de mordant. Le laap est une spécialité du nord-est de la Thaïlande autant que de la cuisine laotienne, un mélange de poulet cuit au bouillon puis émietté, et mélangé à de la poudre de riz grillé (c'est ce qui lui donne son goût un peu fumé), à de la coriandre et de la feuille de lime kaffir, du jus de lime et de la poudre de piment. C'est à la fois relevé, acide et un peu sucré. Ce qui incarne bien l'esprit entier de cette cuisine: l'harmonie dans le mélange absolu.

On ne s'en remet pas immédiatement. En plat, un curry rouge de canard qu'on attendait féroce comme une lionne, mais qui s'est montré presque doux, onctueux dans un mélange de lait de coco, de pâte de curry et de piments. Seule note un peu discordante, et elle ne le sera pas pour tous, la peau grasse du canard flotte encore un peu à la surface. Le sauté de crevettes aux noix de cajou, dans le style chinois, déçoit un peu par l'anémie de son assaisonnement. On dira que c'est là une occasion de pause dans un repas qui secoue. Il y a pourtant plusieurs versions de ce plat, et on gagne à mettre en valeur les noix plutôt que les crevettes qui se plient bien volontiers à des parfums plus soutenus. Ici, nous les trouvons un peu mollassonnes.

Heureusement, le poisson entier (on nous annonce un rouget, on reçoit un vivaneau, ce qui n'est pas plus mal), passé en grande friture, désossé complètement et couvert d'une sauce épicée qui rend la peau croustillante tout en maintenant la chair moite et fondante, est un grand moment de cuisine que nous ne sommes pas près d'oublier. Le poisson s'est entortillé sur lui-même de manière presque élégante, grimaçant même, presque figé. Beau, surprenant et absolument délicieux. Les friands de porc seront aussi comblés, la maison propose des sautés de toutes sortes (et de toutes ses parties) avec du basilic, des piments ou en curry. Tout lui sied ici.

En finale, nous faisons une longue promenade pour faire passer le riz collant qui accompagne ce repas qui nous laissera les lèvres un peu échaudées. Quelle ravissante torture!

Phayathai

107, avenue Laurier Ouest

Montréal

514-272-3456


On y retourne? Malgré ses petites déficiences, oui quand même.

Prix: des plats à 20$, des entrées à 10$, le vin facturé raisonnablement. On s'en tire pour un peu moins de 100$ à deux tout compris avec un peu de vin. Ce qui n'est pas mal en somme.

Faune: en couple multiculturel placide et bien élevé, dénouant leurs humeurs, qui se détendent au martini.

Décor: la moquette s'use, on croirait une bonbonnière orientale antique, vaguement kitsch.

Service: c'est le principal problème ici: gentil c'est vrai, mais lent, distrait et improvisé.

Vin: quelques crus, bien inutiles devant cette cuisine féroce. Optez pour les vins à résidus un peu doux, d'Alsace, un pinot gris peut-être.

Plus: Des plats au goût réellement authentique.

Moins: Un décor vieillissant qu'il faudrait probablement rafraîchir.