Il fait partie de ces chefs qu'on ne peut ignorer, quoi qu'il fasse, où qu'il aille. Vézina est un grand. Identifié à Québec et maintenant à toute une génération de jeunes chefs, chez qui il a laissé une empreinte solide, il a décidé de s'implanter à Montréal dans l'espoir peut-être de faire résonner quelques tambours et trompettes dans le milieu parfois suffisant de la haute gastronomie.

Pour nous, c'est bien assez que l'un de nos meilleurs chefs choisisse de s'installer au centre-ville, un bonheur pour ceux qui n'ont pas eu l'occasion de faire l'expérience du Laurie Raphaël, rue Dalhousie, à Québec. Car chez lui, pas d'à peu près; sa cuisine est peaufinée, millimétrée, réfléchie, parfois un rien précieuse, mais d'une configuration franche et résolue.

Deux visites au LR de Montréal nous ont convaincus que le chef n'a rien perdu de sa superbe. Au contraire. Intrépide, il nous offre une cuisine qui correspond à la modernité. Et nous devons à son chef de cuisine Cynthia Moreau, d'interpréter les plats de Vézina avec une rare fougue et disons-le, un doigt de féminité.

Tout cela commence avec une percutante purée de tomates confites, façon tapenade, que l'on nappe sur des craquelins exquis qui s'effritent sous les doigts autant que sous la dent. Arrive ensuite une salade tiède d'escargots intercalés de morceaux de saucisson, autour d'une salade de laitue présentée dans une verrine que l'on verse pour vous au milieu de l'assiette en guise de petite affectation. Malgré la fraîcheur et la tendreté des petites bêtes, leur goût délicat et relevé par la cochonnaille des Îles-de-la-Madeleine, nous lui préférons un carpaccio d'émeu à la vinaigrette de truffe, disparue matériellement, mais présente dans sa substance, également servi autour d'un peu de verdure coiffé d'une «sphérification» de champignons - un brin inutile à dire vrai, puisque sans réel parfum. Il s'agit d'un clin d'oeil à la cuisine moléculaire de Ferran Adrià, ou d'un cliché, une purée de fungus additionnée d'un extrait d'algues gélifié par un passage dans un sel de type industriel. Pourquoi avoir recours à ces substances direz-vous? Pour l'effet, la texture quoi. Et si la cuisine entend donner et transmettre des émotions, pourquoi pas. Chose certaine, c'est amusant et vous en parlerez longtemps.

Le récital continue en quelque sorte autour d'un pavé de canard, poêlé et à la peau un brin croustillante, élevé à Saint-Apollinaire, nous dit le menu. Il est servi à côté d'un extraordinaire millefeuille de polenta en deux superpositions, sèche et craquante (la feuille) - et souple et veloutée (la purée). Le tout est garni de tomates légèrement confites et de petites pousses vertes. C'est d'une délicatesse, ce travail d'horloger! Nous sourions de bonheur. Et en cuisine, le bonheur vient souvent de la rigueur et de la minutie.

Des scalopines de ris de veau (drôle d'intitulé pour une chose asymétrique) laquées au jus de canneberge et de betterave, qui colore tout en rouge vif, coiffées par des légumes racines et nappées d'une sauce courte et légèrement gastrique au parfum d'estragon et de framboise. Malgré l'apparente dissonance, ça fonctionne, c'est bien cadré. Une composition juste, pratiquement d'une seule syllabe.

Les desserts nouveau genre font parfois peur, avouez. Beaucoup d'éléments les composent. Le propos est souvent trop dense, bavard. La surprise vient souvent de la manière, ici celle d'un Maxime Lebrun, chef pâtissier talentueux et un peu ludique, qui nous présente des déclinaisons baptisées «Comme un souvenir d'enfance», quelle poésie! Dans le genre «white trash» on ne fait pas mieux, considérez: un Revel-O (au chocolat noir), une guimauve, un Mr.Freeze (à la fraise mûre, la vraie), et un cornet de barbe à papa (au sirop d'érable), il y a de quoi frémir de peur. Or, ce sont là des clins d'oeil raffinés à l'ancien régime, interprété avec une tendre ironie. Et parlant frissons, vous n'aurez jamais mangé d'aussi intenses Mr. Freeze. En un mot, puisqu'il en faut bien un, ce Laurie Raphael est superbe. Résolument.

LAURIE RAPHAËL

2050, rue Mansfield

Montréal

514-985-6072


On y retourne? Si le portefeuille nous le permet, sans hésitation aucune.

> Prix : c'est cher le soir, bien sûr. La qualité a un prix. Mais ce n'est pas démesuré. Comptez environ 200$ pour deux, tout compris avec quatre verres de vin. De jour, on s'en tire beaucoup mieux et c'est aussi bon.

> Faune: blazer et cravates défaites, touristes de passage avec les cheveux gominés, bourgeois qui font semblant.

> Décor : avec les mobiles extraordinaires de Pascale Girardin, comme des petits grelots plats qui s'entrechoquent en réfléchissant de la lumière vive, et un intérieur luxueusement sobre signé JP Viau, tout ici est d'une élégance à la fois pudique et désopilante, un peu Mies Van Der Rohe.

> Service : informel sans être brouillon. Dur équilibre atteint par une brigade efficace, courtoise et qui connaît le sujet sur le bout des doigts.

> Vin : carte modeste pour un resto de cette qualité. Une dizaine de petits crus au verre.

+ Il s'agit sans doute de l'un des rares restos de qualité ouverts le dimanche soir. Profitez-en.

- Le prix des vins, facturés un peu lestement 14$ pour un verre dont la bouteille se vend moins de 30$.