Avant le 10 mai, les réputés fromages d'Au gré des champs, de Saint-Jean-sur-Richelieu, n'auraient pas pu être présentés comme des aliments locaux au marché Jean-Talon. L'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) exigeait que le terme «local» soit réservé aux aliments vendus dans la municipalité où ils étaient fabriqués, dans une ville adjacente ou dans un rayon de 50 km. Or, la fromagerie Au gré des champs est à 50,3 km du marché Jean-Talon!

L'ACIA reconnaît que cette approche «est désuète, qu'elle ne témoigne pas des pratiques courantes de fabrication des aliments et qu'elle ne permet pas de répondre aux besoins et aux attentes des consommateurs». Cinquante kilomètres, c'est une distance insuffisante pour que les habitants des grandes villes puissent manger local - à moins de cultiver en banlieue.

Mais Ottawa pèche maintenant par excès contraire: selon la politique provisoire qui vient d'être adoptée, tout aliment produit dans la province où il est vendu - ou dans un rayon de 50 km de sa province d'origine - est désormais local.

«En ce qui concerne les fromagers, on mise plus sur le «fait au Québec» que le terme «produit local», a dit hier Suzanne Dufresne, de la fromagerie Au gré des champs. Il reste à savoir où s'arrête le local. Quand je vais faire une dégustation de nos fromages dans Charlevoix, je ne dirais pas qu'ils sont locaux. Pour moi, ce n'est plus local.»

Le régime des 100 miles

Qu'est-ce que manger local? Consommer des aliments produits dans un rayon de 160 km - ou 100 miles -, selon le livre The 100-Mile Diet, qui a lancé le mouvement locavore. La politique de souveraineté alimentaire de Pauline Marois épouse davantage la définition provisoire d'Ottawa: elle veut nous faire manger québécois, sans égard à la distance parcourue par les aliments dans la province. C'est déjà beaucoup, puisque à peine 33% du contenu de nos assiettes pousse actuellement au Québec.

«Je connais peu d'entreprises qui mettent le terme «local» sur leurs emballages, a commenté Sylvie Cloutier, présidente-directrice générale du Conseil de la transformation agroalimentaire et des produits de consommation (CTAC). Les gens ont plutôt tendance à utiliser les mentions Aliment du Québec ou Aliment préparé au Québec, qui ont des exigences claires quant au contenu québécois.»

Local n'égale pas vert

«Je salue la modernisation du terme «local», a affirmé Élise Desaulniers, auteure de Je mange avec ma tête, aux éditions Stanké. L'approche locavore classique n'est manifestement pas appropriée au Québec et à nos façons de produire.»

Mais «cette modernisation n'enlèvera pas tout le flou autour des aliments locaux, a-t-elle ajouté. On a l'impression qu'en achetant local, on achète ce qu'il y a de mieux pour l'environnement, alors que le transport ne compte que pour 11% des émissions de CO2 liées à la production des aliments. Une tomate biologique produite en Floride a potentiellement une empreinte énergétique moindre qu'une tomate produite de façon conventionnelle au Québec. Je pense que ce qu'il faut plutôt viser, c'est un étiquetage qui montre les émissions réelles d'un produit.»

«L'ACIA est consciente que les points de vue sur la façon dont le terme «local» devrait être défini varient», a indiqué Elena Koutsavakis, porte-parole de l'agence fédérale. Avis aux intéressés: au cours des prochaines semaines, l'ACIA mènera des consultations sur l'utilisation du terme «local» dans le cadre de son initiative de modernisation de l'étiquetage.