Certains amis se réunissent pour jouer au golf ou boire l'apéro. D'autres préfèrent joindre l'utile à l'agréable. À Saint-Lambert, six voisins se retrouvent à la fin de chaque été pour faire leurs conserves de tomates à grande, très grande échelle: de 700 à 1000 lb de fruits par an! Récit et conseils pour se lancer.

L'ingrédient secret: l'organisation

Total 752 lb. Pas une de plus, pas une de moins: c'est une énormité, la quantité extraordinaire de tomates qu'un groupe d'amis a réduites en purée l'an dernier lors de son désormais traditionnel «party de conserves», au terme duquel les pots de coulis de tomate se calculent par dizaines. Ces passionnés nous livrent leurs trucs pour une fête aussi productive qu'agréable.

Tomates

Quelques centaines de kilos de tomates, ça ne s'achète pas au supermarché sans prévenir un samedi matin. Les voisins de Saint-Lambert s'y prennent une semaine d'avance pour commander leurs provisions, toujours au marché public de La Prairie, chez le même cultivateur, à qui ils n'ont plus besoin de préciser leur préférence pour des tomates San Marzano bien, bien mûres - elles se moulinent plus facilement et plus rapidement - dans des contenants de plastique réutilisable, qu'ils lui rapporteront la semaine suivante, histoire de limiter le plus possible la production de déchets. «Ça fait partie du concept de faire ses conserves avec des pots réutilisables, des tomates locales, plutôt que d'en acheter qui viennent d'Italie dans des boîtes de conserve», remarque Bruno Gagnon. Logique.

Technique

La première étape est probablement la plus longue et la plus fastidieuse: préparer les tomates. Avec les années, le groupe a découvert qu'elles étaient plus faciles à presser si elles étaient d'abord ébouillantées quelques secondes, le temps de les ramollir. «Idéalement, on les achèterait une semaine avant la corvée et on les laisserait mûrir chez nous, mais c'est physiquement impossible, avec les quantités qu'on utilise!», dit Bruno Gagnon, avant de lancer en riant: «Les Italiens diront sûrement que c'est une hérésie de passer les tomates à l'eau bouillante. Mais pour nous, ça marche!» Suit ensuite la corvée de l'égouttage - moins il reste d'eau, moins on aura à réduire la purée -, puis l'étape de la découpe et, enfin, du moulinage. Passer de la tomate entière à la purée, c'est une journée de travail complète.

Rigueur

Les week-ends de la tomate sont des moments festifs, certes. Mais pour que tout se passe bien, on distribue des tâches claires à chacun et on s'en tient à un horaire bien établi, rigoureux. Le vendredi soir est consacré aux courses de dernière minute (les tomates!). Le samedi, à transformer les fruits - les enfants lavent, les femmes découpent et les hommes passent à la moulinette électrique, trop bruyante pour être utilisée le dimanche à Saint-Lambert (le volume sonore y est limité à 50 décibels). Le dimanche, on réduit la passata à feu doux («Jusqu'à la consistance désirée, ni trop liquide ni trop épaisse», explique Bruno), on met en pot et on stérilise. Puis on nettoie! «Il ne faut surtout, surtout pas négliger le temps que cela prend pour nettoyer», insiste Mireille Brisson. Bien répartir les tâches permet aussi d'éviter les frustrations envers ceux qui se la couleraient un peu trop douce. Et, bien sûr, on termine le tout avec un repas festif!

Équipement

Réduire en purée des tomates ne requiert pas d'équipement spécialisé... mais quand on planifie d'en réduire plus de 250 kg, un moulin électrique simplifie drôlement la tâche. Il faut compter environ 350 $: les amis de Saint-Lambert en auront deux, cette année, mais ils prévoient malgré tout passer la journée à réduire les tomates en purée, au rythme de 45-50 lb à l'heure. Pour le reste, de grosses casseroles suffisent - le groupe s'est résolu à en acheter de 80 L! - et quelques inventions de leur cru, développées avec les années pour gagner un peu de temps. «On utilise des bacs de recyclage surmontés d'un tamis pour égoutter les tomates en plus grandes quantités, plus rapidement», explique Mireille Brisson. Petites inventions, grandes économies de temps.

Progresser

Voir gros, c'est tentant. Et c'est l'une des pires erreurs à faire, prévient Bruno Gagnon. «Il faut commencer par de petites quantités et augmenter graduellement pour que ça reste agréable.» On peut commencer avec une trentaine de kilos une année, puis doubler la fois suivante si tout s'est bien passé, et ajouter une centaine de livres par année ensuite. Sinon, dit-il, on risque d'être découragé par l'ampleur de la tâche et de ne plus jamais recommencer! Les trois familles en font juste assez pour tenir 12 mois.

Sécurité

Rien n'est plus frustrant que de découvrir des pots - quand ce n'est pas TOUS les pots - dont le contenu a fermenté parce que les règles d'hygiène et de stérilisation n'avaient pas été respectées à la lettre. Bruno Gagnon est strict avec les troupes. «J'ai déjà dû relaver le tour de tous les pots de passata qu'on avait faits (plus d'une centaine!), car je n'étais plus certain de bien l'avoir fait, se rappelle Marc Delisle. Bruno m'a dit: il faut le refaire, on ne prend aucun risque.» C'est aussi pour cela que la recette de passata ne contient aucune herbe ou épice fraîche, ni d'ailleurs aucun ingrédient, afin de pouvoir stériliser les pots à l'eau bouillante, plutôt qu'à l'autoclave. On ne permet qu'un ajout : un trait de citron pour acidifier la sauce, et on garde les autres assaisonnements pour plus tard, au moment de cuisiner avec la passata. «C'est LA chose la plus importante : prendre toutes les mesures d'hygiène qui s'imposent», martèle-t-il.

Passata

Après moult expériences, les amis de Saint-Lambert en sont venus à la conclusion qu'il valait mieux s'en ternir à une seule recette, en l'occurrence de la passata, une fine purée de tomates. «Certaines années, on faisait une marinara, une sauce aux légumes, une sauce toscane, mais c'était trop de travail», dit Mireille. De temps à autre, Marc Delisle, père de jumeaux voraces, utilise quelques pots de passata pour préparer différentes sauces avec des légumes de saison, qu'il stérilise ensuite à l'autoclave. «Moi, j'aime avoir aussi de la sauce prête sous la main, et ça ne prend pas trop de temps en petites quantités», dit-il.

Manger!

La passata sert à.... «tout»! s'enthousiasme Bruno Gagnon. Pour les pâtes, pour cuire le poisson ou la viande, préparer des sauces, avec des saucisses grillées, alouette. «Notre consommation a explosé cette année. Depuis que notre fille est devenue végane, elle en utilise partout!» Les garçons de Marc raffolent de ses boulettes de veau nappées de sauce tomate. «C'est tellement facile, le soir, en rentrant du travail: je sors du congélateur un sac de boulettes, j'ouvre un pot de sauce, et puis voilà!» L'un des meilleurs souvenirs du groupe: des poulets cuits entiers dans la passata, pour clore une fin de semaine de labeur: une récompense d'exception. «On travaille fort, mais on s'amuse beaucoup. On adore notre week-end "tomates". Personne ne voudrait le rater», dit Mireille Brisson. Comme quoi la sauce tomate sert aussi, parfois, à tisser des liens d'amitié précieux.

- Avec Sylvain Sarrazin

Photo Sarah Mongeau-Birkett, La Presse

À Saint-Lambert, six voisins se retrouvent à la fin de chaque été pour faire leurs conserves de tomates à grande, très grande échelle : de 700 à 1000 lb de fruits par an !