Mettre des coeurs de poulet, de la langue de boeuf ou du foie de veau sur la liste d'épicerie n'est pas le réflexe de la majorité. Notre journaliste a assisté à un cours destiné aux gens qui souhaitent remettre les abats au menu de leur famille. Par intérêt gastronomique et par souci d'éviter le gaspillage alimentaire.

Oser goûter

Ce n'est pas à un brunch ordinaire qu'ont été conviées les neuf personnes attablées dans un discret local du marché Jean-Talon aménagé en classe de cuisine. Avant que midi ne sonne, foie de veau, cervelle, rognons de porc et gésiers, entre autres, seront passés des assiettes préparées par le chef Philippe de Vienne à l'estomac de ces aventureux élèves. Ce samedi matin d'avril, le cours offert porte en effet sur des parties animales sur lesquelles plusieurs lèvent le nez: les abats.

Manger des ris de veau ou de la langue de porc au restaurant, c'est une chose. Les cuisiner soi-même, c'est plus intimidant, conviennent les quatre convives assis à la même table que La Presse. Comment les choisir? Comment s'assurer de leur fraîcheur? Comment les apprêter? Aucun ne l'a appris à la maison. «Mon père aimait les abats, mais ma mère n'aimait pas les préparer. Alors, ça ne fait pas partie des techniques de cuisine qu'elle m'a apprises», résume l'un d'eux, Rupert Brooks.

«Les gens ne connaissent pas les techniques de cuisson à respecter pour en tirer un maximum de plaisir, constate Philippe de Vienne, aussi copropriétaire de l'entreprise Épices de cru. Si c'est mal préparé, ce n'est vraiment pas très bon.» L'atelier «Apprendre à cuisiner les abats», qu'il donne pour la toute première fois ce jour-là, vise à outiller les gens et à leur donner le goût d'explorer ces parties animales mal aimées. «Des abats bien frais, bien préparés, c'est un délice!», s'enthousiasme-t-il.

En un bloc de deux heures très consistant, il a présenté six recettes, dont des brochettes de coeur de poulet grillées à la coréenne, des rognons éclatés à la mode du Sichuan et du foie de veau à l'albanaise («C'est une recette turque», précise-t-il toutefois en souriant). Ce faisant, il a montré à nettoyer un coeur, à découper des rognons, à pocher de la cervelle et insisté sur l'importance d'enfariner certains morceaux pour qu'ils gardent leur eau. «On est une école de cuisine, dit-il, à propos de La salle de classe d'Épices de cru. On veut que les gens apprennent, qu'ils découvrent.»

Une question de principe

Pascal Hudon, boucher propriétaire de Pascal Le Boucher, est bien placé pour constater la relation ambiguë que les gens entretiennent avec les abats. «Il y en a qui sont un peu plus âgés et qui ont été exposés à ça plus jeune. Ceux-là, souvent, vont demander des abats un peu plus goûteux comme les rognons de boeuf ou de porc et le foie de boeuf, dit-il. Après, il y a des gens qui ont horreur de ça.»

Ces gens plus méfiants, il faut les sensibiliser, selon lui.

«Les abats, il ne faut pas les snober. Je pense même qu'il faut se responsabiliser : si on accepte de manger de la viande, si on accepte la mise à mort d'un animal, il ne faut pas juste cibler les parties les plus nobles comme les filets mignons ou les contre-filets.»

Son approche est simple: il faut valoriser l'animal au grand complet, de la tête (il fait de la tête fromagée avec celle du porc) à la queue (de veau, en osso buco, peut-être?).

«J'aime l'idée d'utiliser toutes les parties d'un animal», dit Sarah Goddu, suscitant l'approbation de plusieurs autres élèves de Philippe de Vienne. Pour elle, c'est une question de respect pour la bête qui a été abattue et cela fait partie des raisons pour lesquelles elle s'est inscrite à ce cours sur les abats. «Là, on valorise vraiment chaque morceau», dit-elle.

La fraîcheur d'abord

Par quoi commencer? Par la fraîcheur. «J'ai déjà ouvert un paquet de foie de poulet et c'était de la purée! se désole Philippe de Vienne. Une viande qui n'est pas fraîche, c'est probablement ce qui est le moins salubre. Surtout les organes.» Pascal Hudon et son cuisinier, Jimmy Yeong, précisent: les abats frais ne dégagent pas d'odeur forte, ils ne sont ni gluants ni collants et ils ont du tonus.

Linda Saucier, du département des sciences animales de l'Université Laval, signale que, pour une question de pH, les microorganismes prolifèrent plus rapidement sur les abats que sur la viande. «La chaîne du froid doit être bien maîtrisée», dit-elle. «Si ça traîne dans une barquette depuis trois jours, qu'il y a une couche absorbante dessous et que ça trempe dans son jus, je ne toucherais pas à ça, lance Philippe de Vienne. Sinon, on peut manger quelque chose de mauvaise qualité et on est dégoûté pour la vie!»

Et par quelle pièce commencer? Les avis divergent. Jimmy Yeong songe au ris de veau. Philippe de Vienne au foie du même animal. «Les abats de volaille, c'est la première chose à essayer pour ceux qui ne veulent rien savoir, juge pour sa part Pascal Hudon. C'est plus fin, moins goûteux.» Le coeur de boeuf ou celui de veau en brochettes lui semblent aussi accessibles. Les siennes, marinées dans une sauce chimichurri verte, passent facilement pour de la viande, d'ailleurs, si on n'en souffle pas mot à table...

Pascal Le Boucher a d'ailleurs développé une stratégie originale pour inciter ses clients à tester les abats: il met ses clients au défi. Sur ses brochettes de coeur, par exemple, il appose un autocollant qui dit «T'es pas game». Clin d'oeil sympathique qui rappelle ceci: pour apprivoiser un aliment inconnu, il faut peut-être juste oser.

Et les nutriments?

Les abats sont-ils des superaliments? «Il y a beaucoup de vitamines et minéraux dans les abats en général, convient le nutritionniste Didier Brassard, mais le principal avantage dont on parle habituellement, c'est le fer dans le foie.» Ce fer d'origine animale est d'ailleurs absorbé plus facilement que celui contenu dans les végétaux. «Les autres nutriments qu'on retrouve dans les abats, on les retrouve ailleurs», ajoute-t-il. Sur le plan du gras, c'est un peu la même chose: les gras «intéressants» que renferment les abats ne s'y trouvent pas en plus grande quantité que dans les poissons et il y en a même moins que dans le saumon.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le chef Philippe de Vienne donne un atelier sur la cuisine des abats.