Elles sont charnues, biscornues, énormes, fissurées... Pourtant, tout le monde se les arrache. C'est au tour des variétés ancestrales, à l'opposé des tomates rouges et rondes, de briller. Car derrière leurs imperfections se cache un secret bien gardé: leur saveur incomparable.

De génération en génération

Oubliez la tomate ronde et luisante. La tomate de l'heure est bossue et imparfaite. Mais son goût, lui, frise la perfection.

Les tomates ancestrales sont sucrées, peu acides, généreuses en chair et contiennent peu de pépins. En d'autres mots, elles sont délicieuses. D'où leur popularité grandissante auprès des consommateurs, qui les réclament dans les marchés malgré leur coût souvent plus élevé.

À la ferme Dominic Lussier, à Saint-Damase, on se spécialise dans la culture des tomates ancestrales en serre.

«On s'est rendu compte qu'il y avait une forte demande. On a donc laissé tomber les autres variétés pour avoir plus de choix dans nos ancestrales», indique Judith Lussier, partenaire d'affaires à la ferme Dominic Lussier.

Ils en tiennent maintenant quatre variétés, en plus des tomates cerises.

Dans les serres des Fermes Lufa, à Laval, on fait pousser deux types de tomates patrimoniales: la Striped German et la Brandywine. «Ce sont de grosses tomates, très charnues», précise le porte-parole de l'entreprise, Simon Garneau. En effet, elles peuvent peser jusqu'à 2 livres la pièce! Toutes deux font partie de la famille des coeurs de boeuf.

Des «trésors» de famille

Pour qu'une tomate se qualifie comme ancestrale, on doit pouvoir remonter dans l'histoire de sa semence, explique Simon Garneau.

Si ces anciennes variétés sont aussi savoureuses, c'est parce qu'à travers l'histoire, les graines des meilleures tomates ont été précieusement gardées par les fermiers. Ceux-ci les replantaient ensuite l'année suivante, puis l'autre d'après, toujours à partir de l'échantillon le plus savoureux. «Et ainsi de suite et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on arrive à un produit final incroyablement goûteux», résume M. Garneau. Un peu comme un bijou de famille qui aurait été transmis de génération en génération. D'où le terme anglais «heirloom tomato».

À cause de la prolifération des variétés dites anciennes, l'étiquette de tomate ancestrale a pu être apposée à de «faux» spécimens. Pour éviter les dérapages, deux experts mondiaux des tomates ancestrales, Craig LeHoullier et Carolyn Male, ont établi la règle suivante: pour qu'une variété soit reconnue comme patrimoniale, elle doit avoir été introduite sur le marché il y a plus de 50 ans, ou avant 1940.

L'autre caractéristique des tomates ancestrales, c'est qu'elles sont à pollinisation ouverte, c'est-à-dire qu'on doit pouvoir réutiliser leurs pépins pour les reproduire d'année en année.

«Par exemple, si on garde les graines d'une tomate achetée à l'épicerie et qu'on les plante l'année suivante, les chances sont très minces qu'il y ait quelque chose qui pousse. Avec les ancestrales, par contre, ça devrait fonctionner», explique Simon Garneau, porte-parole des Fermes Lufa.

Ce processus de sélection et d'amélioration finit toutefois par fragiliser les cultures, qui sont plus complexes à maintenir. «Les tomates ancestrales sont délicieuses, mais elles sont beaucoup plus fragiles et difficiles d'entretien, poursuit M. Garneau. Chez Lufa, on en a déjà eu plus, mais on a réduit la production.»

Par conséquent, les plants sont fragiles et vulnérables aux maladies. Les tomates, elles, s'amochent rapidement et doivent donc être mangées sans tarder. Il faut aussi éviter de les réfrigérer, si on veut profiter pleinement de leur saveur!

Toutes uniques

Chaque variété de tomate ancestrale est unique, et il en existe un nombre quasi infini. Nous en avons réuni six spécimens, qui ont poussé dans les serres des Fermes Lufa et de la ferme Dominic Lussier.

Brandywine (à gauche, en haut), Les Fermes Lufa

La Brandywine est probablement l'une des variétés les plus connues de tomates ancestrales, selon Simon Garneau. On ne connaît pas grand-chose de ses origines, mais elle est inscrite au catalogue de semences américain Burpee depuis 1886. «Elle ne devient pas complètement rouge, mais plutôt rosée, presque fuchsia», décrit Simon Garneau.

Margold (à gauche, en bas), Ferme Dominic Lussier

Les tomates de cette variété peuvent prendre différentes couleurs, allant du jaune à l'orangé, avec même une touche de rouge. «Quand on en tranche une, on voit parfois un peu de rouge à l'intérieur, note Judith Lussier. Alors que d'autres tomates sont complètement jaunes. C'est un peu au hasard.»

Cauralina (au milieu, en haut), Ferme Dominic Lussier

La Cauralina est facilement reconnaissable par sa forme de fraise. Elle est d'un rouge qui ne trompe pas. «C'est une variété très charnue, et particulièrement goûteuse», note Judith Lussier.

Marnero (au milieu, en bas), Ferme Dominic Lussier

Cette tomate impressionne par sa couleur qui tire sur le noir, presque chocolat, et sa couronne verte sur le dessus. «Elle est savoureuse, goûteuse et particulièrement douce», affirme Judith Lussier, avouant du même coup qu'il s'agit de l'une de ses tomates préférées.

Striped German (à droite, en haut), Les Fermes Lufa

C'est à une communauté mennonite de la vallée de Shenandoah, en Virginie, que remonteraient les origines de cette variété. «C'est l'histoire la plus probable, mais il y a rarement des certitudes quand on parle de tomates ancestrales», précise toutefois Simon Garneau. La Striped German, zébrée, serait répertoriée depuis les années 1800 environ.

Aurea (à droite, en bas), Ferme Dominic Lussier

Toutes les tomates ancestrales sont charnues, mais celle-ci remporte la palme, affirme Judith Lussier. L'Aurea est également très côtelée et bien rouge.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Comment les apprêter?

Pour certains, cuisiner les tomates patrimoniales relève du sacrilège ! Car c'est quand elles sont à leur plus simple expression que tout leur goût se révèle.

«Manger un sandwich avec une bonne tranche de Brandywine bien mûre, c'est redécouvrir le sandwich aux tomates», lance d'emblée Simon Garneau, des Fermes Lufa.

Bien sûr, leur éventail de couleurs - jaune, orange, rouge, sans oublier leurs zébrures - fait bonne figure sur une table. «Quand on reçoit et qu'on met ça en assiette, c'est sûr que ça attire l'oeil», affirme Judith Lussier, de la ferme Dominic Lussier.

Aussi, puisque les tomates ancestrales ont beaucoup de chair, elles se tiennent bien en salade, poursuit Mme Lussier. «Je trouve que la meilleure façon de les mettre en valeur, c'est de les servir avec du basilic, du bocconcini ou de la mozzarella fraîche, ainsi qu'un peu d'huile, de vinaigre balsamique et de sel de mer... C'est aussi simple que ça et c'est vraiment bon.»

Salade de tomates ancestrales, recette de la Terrasse William Gray

À la Terrasse de l'hôtel William Gray, dans le Vieux-Montréal, on sert une salade qui met la tomate ancestrale à l'honneur. Le restaurant a accepté de transmettre sa recette à nos lecteurs.

Pour 4 personnes

Ingrédients

Vinaigrette

- 4 fraises

- 2 c. à soupe de vinaigre de cidre

- 2 c. à soupe d'huile d'olive

- 2 c. à soupe d'huile de canola

- 2 c. à soupe d'échalotes finement hachées

- 1 c. à soupe de miel

- Sel, poivre au goût

Salade

- 4 belles tomates ancestrales

- 1 échalote française

- 1 oignon vert

- 3-4 pluches de persil

- Quelques feuilles de basilic ciselé

- 2 tranches de pain de campagne

- 1 gousse d'ail

- Mozzarella di bufala du Québec

Préparation

Vinaigrette

1. Dans un bol, mélanger les ingrédients de la vinaigrette (les huiles, le vinaigre de cidre, l'échalote hachée, le miel et les fraises). Passer le tout au mélangeur et assaisonner au goût avec sel et poivre.

Salade

1. Couper les tomates en dés plus ou moins réguliers, tout en laissant une coupe artisanale et légèrement grossière. Faire de même avec la mozzarella.

2. Griller les tranches de pain, puis les frotter avec la gousse d'ail.

3. Dans un joli bol, déposer les tomates, la mozzarella, l'échalote finement ciselée, l'oignon vert ciselé et arroser le tout de vinaigrette. Poivrer si désiré et parsemer de fleur de sel.

4. Garnir de basilic ciselé et de persil haché. Servir avec 1/2 tranche de pain grillé.

PHOTO SIMON GIROUX, LA PRESSE

Salade de tomates ancestrales de la Terrasse William Gray