Si notre café est plus crémeux, c'est grâce à sa Run de lait. Si nous avons eu accès à des crevettes nordiques ultrafraîches, c'était d'abord par le biais de l'ami pêcheur, Dave Cotton. Si l'huile de tournesol pressée à froid a détrôné l'huile d'olive sur certaines tables, c'est parce qu'elle nous a sensibilisés aux produits locaux. Société-Orignal a réussi de grandes choses. Mais Société-Orignal n'est plus. Vive l'École Buissonnière!

L'École Buissonnière est en quelque sorte la «réincarnation» de cette entreprise qui a repoussé les limites de l'agriculture québécoise. Chouchoute de plusieurs restaurateurs, épiceries fines et foodies, bien au-delà des frontières québécoises, Société-Orignal a montré qu'il y avait un marché pour les produits de niche exprimant la grande richesse et la diversité du territoire qui est le nôtre.

Mais l'entreprise fondée en 2011 a fait faillite. Elle a manqué de financement. Entre les restaurateurs pris à la gorge qui peinent à payer leurs commandes, les subventions inexistantes pour les petites entreprises de distribution, une épicerie (Fardoche) qui n'a pas marché et les agriculteurs qu'il fallait payer rapidement - parce qu'eux aussi ont du mal à joindre les deux bouts -, les liquidités étaient à sec.

«Mener une idée à bon port, ça coûte cher»

Les «Orignaux» auront tout fait pour fermer les livres de manière honorable. Ils ont orchestré les choses pour que la Laiterie Chagnon garde sa Run de lait. Ils ont fait rencontrer un distributeur américain de pointe à plusieurs de leurs fournisseurs. Ils ont remboursé ce qu'ils ont pu. Mais le pincement est encore vif quand ils pensent à ceux et celles qu'ils ont laissés tomber en mettant la clé dans la porte.

«Société-Orignal a vécu la précarité financière dès le début», raconte Alex Cruz, qui avait fondé l'entreprise avec Cyril Gonzales. À son point le plus fort, Société-Orignal embauchait une vingtaine de personnes à temps plein, en plus de travailler avec une cinquantaine de familles agricoles québécoises.

«À titre de distributeurs, nous n'avions accès à aucune aide gouvernementale. Et pourtant, la distribution, c'est la clé pour faire connaître un produit. Mener une idée à bon port, ça coûte cher. Prenons l'exemple de l'extrait de mélilot, qui pourrait devenir une solution de rechange locale à l'extrait de vanille. Entre l'idée initiale, la recherche, les tests, les études et la mise en marché, il y en a, des sous à dépenser. Et pendant ce temps, le porc est subventionné à l'os, à perte. Ça prendrait un certain retour sur l'imagination. Un programme de subventions pour les petits joueurs qui innovent.»

Enseigner le patrimoine culinaire québécois

Aujourd'hui, Alex Cruz, Cyril Gonzales et Élise Corneau-Gauvin, les dynamiques «moniteurs» de cette nouvelle École Buissonnière, veulent continuer de nous apprendre toutes ces choses qu'on n'enseigne pas en classe. Bien des savoir-faire ancestraux et des richesses gustatives du patrimoine culinaire québécois ont été perdus.

Saviez-vous, par exemple, que la barbue sauvage était un poisson apprécié autant des Iroquoiens que des premiers arrivants européens ? Elle est encore pêchée dans les eaux limpides du lac Saint-Pierre, à une heure de Montréal. On gagnerait beaucoup à la redécouvrir. Par chance, cette espèce de la famille des poissons-chats peut maintenant être commandée sur le marché virtuel Lufa. «Histoires de pêche» est donc le premier mandat de l'École Buissonnière, qui, tout comme Société-Orignal, aime trouver des noms évocateurs à chacun de ses projets. D'autres poissons suivront.

L'École Buissonnière se présente donc comme «une entreprise de consultation spécialisée dans la création et le développement de nouveaux produits et de projets bioalimentaires en Amérique du Nord». Après une faillite, du reste, la formule «consultants» était la seule option envisageable pour le trio qui a tout perdu.

«Nous aurions tout pour être déprimés, démotivés, laisse tomber Alex Cruz. Mais non, malgré ce revers important, nous n'avons jamais perdu nos valeurs initiales et, en plus, nous jouissons maintenant d'une expérience particulière, d'un vaste réseau de contacts qu'on a envie de partager avec des entreprises qui souhaitent innover.»

Finalement, c'est un Orignal plus léger, plus apte à éviter les pièges qui nous conduit à l'École Buissonnière. On a bien envie de le suivre!