Les bons cuisiniers savent se réinventer sans cesse, même au dessert. Aux classiques chocolats, caramels et autres crèmes pour finir un repas en beauté, les plus audacieux marient des ingrédients pour le moins inattendus. Une meringue au bleu ou un moelleux au sang de porc, quelqu'un ? Vous seriez fous de vous en priver...

Mariages osés

Betterave, aubergine, miso, shiitaké, foie gras, panais, topinambour, sang de porc... Les desserts que servent les restaurants et pâtisseries les plus avant-gardistes du Québec font appel à des ingrédients qui ne sont pas d'emblée associés au sucré. Et les résultats sont délicieux !

Lorsqu'un chef ou une pâtissière vous propose un dessert au sang ou au persil, il ou elle vous demande en quelque sorte de lui faire aveuglément confiance. Pour ces as des mariages surprenants, c'est une belle occasion de briller et de démontrer qu'avec du pif et du talent, il n'y a vraiment pas de limites en cuisine.

Tout est une question de dosage et d'équilibre. « Le dessert, c'est un moment fort du repas au restaurant. On aime que les clients finissent sur une bonne note. La dernière chose que je voudrais, c'est qu'ils ne soient pas sûrs d'avoir aimé ou pas », raconte la pâtissière du Bouillon Bilk, Mélodie Perez-Mousseau.

Aussi jumelle-t-elle ses éléments plus excentriques - chantilly au topinambour, crème anglaise à la patate douce, glace au céleri-rave - à des ingrédients plus sages et réconfortants, comme le caramel, le chocolat, l'érable, le café, les noix.

Catherine Lépine-Lafrance a la même approche gourmande, avec Dinette nationale, qui a pignon sur la rue Gilford depuis un an.

« Je pourrais bien décider de faire du caramel avec du suif, mais ça ne me parle pas. », ajoute Catherine Lépine-Lafrance

Un des premiers produits élaborés par la pâtissière, il y a quelques années : des sablés au chocolat et aux olives noires. Puis, avec le caramel comme base, elle s'est amusée avec le miso, le fenouil, le cari, le panais et le poivre, entre autres.

« J'ai développé un nez, au fil du temps, qui me permet de concevoir des mariages sans trop avoir à chercher. Les idées me viennent quand je vais chez Nino, au marché Jean-Talon, ou en feuilletant un livre de recettes. Ça arrive accidentellement. J'y vais un peu au pif et je conceptualise avant de faire des tests en cuisine. »

Toutes les expériences ne sont pas concluantes. Elle a laissé tomber un caramel au shiitaké. Kyle Croutch, au tout nouveau Diplomate (anciennement au Salmigondis et au Café Sardine), se demande quant à lui comment il pourrait inclure du chou-fleur dans un dessert. À cette période-ci de l'année, les fruits frais et locaux se font rares. Les pâtissiers se sont naturellement tournés vers les légumes, dont les racines sont souvent sucrées d'emblée.

Antonin Mousseau-Rivard, pour sa part, n'a pas peur de dire qu'il aime choquer et défier les conventions. Au menu du Mousso en ce moment, l'antidessert suivant, élaboré en collaboration avec sa pâtissière, Marie-Claude Fyfe : échalote, sang, pomme. « Les clients l'appréhendent dès le début du repas, admet-il, assez fier de lui. Mais, au final, à peu près tout le monde tombe sous le charme. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Mélodie Perez du restaurant Bouillon Bilk.

Des ingrédients inattendus

Des restaurants montréalais proposent ces jours-ci des desserts préparés avec des ingrédients parfois assez surprenants. Tour d'horizon.

Topinambour



Bien rôti, le topinambour développera des arômes de café. Mélodie Perez-Mousseau, pâtissière du Bouillon Bilk, laisse macérer ses topinambours brunis dans la crème pendant au moins 24 heures. Elle sert cette chantilly sucrée au sirop d'érable avec une mousse de fromage, une compote de camerise et de la pacane caramélisée. Divin !

Sang de porc



Historiquement, les Anglais et les Italiens ont beaucoup utilisé le sang de porc dans leurs puddings et panna cottas. Mais ça reste néanmoins un ingrédient plutôt difficile à avaler, en version sucrée ! Derek Dammann faisait un gâteau au chocolat et sang de porc à l'époque du restaurant DNA. Le Manitoba sert une panna cotta au chocolat et sang de porc. Mais celui qui a le mieux réussi à nous faire manger du « boudin » au dessert, c'est Antonin Mousseau-Rivard, au restaurant le Mousso : gâteau aérien et léger comme un nuage, glace à l'échalote et purée de pomme. Aussi réussi que surprenant !

Bacon



Depuis un moment déjà, le bacon fait l'objet d'un culte et il est utilisé à toutes les sauces. En version sucrée, on l'a vu enrobé de chocolat, ajouté à des barres et biscuits, parsemé sur de petits gâteaux et de la crème glacée, etc. Chez Trou de beigne, qui vient d'ouvrir une boutique rue Saint-Zotique, à Montréal, on prépare un beigne à l'érable auquel de petits morceaux de bacon apportent une touche salée.

Patate douce



Naturellement sucrée et délicieusement florale, la patate douce est une candidate toute naturelle au rôle d'ingrédient à dessert. Mélodie Perez-Mousseau s'en sert pour napper le fond d'une assiette autrement bien chocolatée, avec des accents de caramel.

Bleu



Lorsqu'il était pâtissier au Café Sardine, Kyle Croutch préparait un gâteau au fromage bleu, dont nous avons même déjà publié la recette. Ces temps-ci, c'est Charles-Antoine Crête et sa pâtissière du Plaza, Natasha Lehmann, qui créent le dessert au bleu le plus jouissif, le Bleu-meringue. Explosion de bleu, de meringue et de crème fraîche, c'est un joli et savoureux carnage.

Suif



Encore ces Anglais ! Les Britanniques ont longtemps utilisé le suif dans leurs puddings. Au restaurant Lawrence, on ne se gêne pas pour récupérer le gras de boeuf dans les desserts, que ce soit le Christmas pudding ou le pouding au citron qui se trouve actuellement au menu. Cela dit, vous ne l'auriez pas su si vous n'aviez pas lu ces lignes avant d'y goûter !

Foie gras

Peut-être préférez-vous manger votre foie gras en fin de repas, plutôt qu'en entrée ? Plusieurs chefs se sont amusés à inverser la séquence. Au Lili.Co, on sert la tartelette aux pommes, à la frangipane, au cheddar fumé, au foie gras poêlé, au beurre de pomme et au sirop d'érable chaud au poivre noir depuis l'ouverture du restaurant.

Champignons



Patrice Demers a bien exploité le côté « érable » du champignon candy cap lorsqu'il était dans les cuisines des 400 coups. Plusieurs autres pâtissiers et pâtissières ont fait de même et travaillent également avec d'autres types de champignons. À l'Hôtel Herman, on saupoudre de la poudre de cèpe sur un bol d'argousier et de lait de chèvre trois façons (dulce de leche, crème prise et « tuile »).

PHOTO FOURNIE PAR LE TROU DE BEIGNE

Beignes bacon et érable du Trou de beigne.