Glace au céleri, gnocchis au café, anguille fumée à la violette: en récompensant le chef étoilé Laurent Lemal, de La Coopérative à Bélesta (Pyrénées-Orientales), le Bocuse d'or a salué l'audace d'une cuisine «sans limites».

«Je suis plus AC/DC que Jean-Jacques Goldman». Laurent Lemal est bien obligé de le reconnaître: quand on propose du chocolat au foin - une idée qui a fait froncer jusqu'aux sourcils de son épouse chef pâtissière -, on se taille vite une réputation d'anticonformiste des assiettes.

«Ma politique est de ne me fixer aucune limite», prévient-il dans un entretien à l'AFP.

C'est certainement cette fraîcheur qui a séduit les jurés du Bocuse d'or France qui, le 22 septembre, ont décerné au chef de 35 ans ce Graal de la gastronomie qui est également un sésame vers un concours encore plus prestigieux.

Avec ce trophée, Laurent Lemal représentera en effet la France aux Bocuse d'or Europe, en mai à Budapest. Puis, s'il se classe parmi les 12 premiers, il ira à la finale mondiale en janvier 2017 à Lyon qui est à la gastronomie ce que la Coupe du monde est au soccer.

«Il va falloir les étonner, les dinosaures qui vont nous juger». C'est justement ce que fait cet Ovni de la cuisine.

Dans son restaurant installé dans les anciennes presses du Domaine Riberach, une cave coopérative transformée en hôtel, les asperges se mangent en dessert, avec du sirop de sureau, tout comme la patate douce, agrémentée de mélisse persane.

Mais si ce découvreur de goûts «casse les codes et brise menu les idées reçues», selon ses mots, ce n'est jamais gratuitement. «Il faut que l'association des produits fonctionne bien», avertit cet amoureux du Japon, de sa cuisine et de «son respect du produit».

La carte du restaurant s'ouvre ainsi sur une pleine page de remerciements à «ceux sans qui rien ne serait possible»: ces producteurs locaux des alentours du tout petit village de Bélesta, qui domine garrigue et vignes à une demi-heure de Perpignan.

Un fils de la galaxie Ducasse

Le goût de la gastronomie passe par le goût des autres, et le respect de l'humain. Dans la cuisine Lemal, pas de cris donc.

«Il y règne un silence de cathédrale. Il est très posé», raconte Özgür Karakayan, directeur du domaine Riberach.

Bête de travail zen, Laurent Lemal dégage une force tranquille. Quand, à deux minutes de l'épreuve des Bocuse d'or, les plaques à induction tombent en panne, il plaisante avec le réparateur, médusé, tandis que d'autres auraient paniqué.

Visage rond, rire facile et allure bonhomme, ce Ch'ti né près de Douai a «toujours voulu être chef». «Mon père était informaticien, ma mère fonctionnaire de mairie. Ils se sont toujours demandé pourquoi je voulais être cuisinier».

Probablement à cause de cette institutrice de maternelle, qui faisait des crêpes en classe. «Un des premiers souvenirs de ma vie». Ou en raison des odeurs de la pâte qui cuit dans le vieux gaufrier en fonte d'une grand-mère polonaise. Qu'elle était longue l'attente avant de les déguster!, se souvient-il.

Bac pro en poche, Laurent Lemal débute au Flavio au Touquet, une institution dans le Nord, avant de partir à 21 ans pour la Bastide de Capelongue, à Bonnieux-en-Provence, où il fait ses classes avec Bruno Caironi, ancien adjoint d'Alain Ducasse.

«Je rentre alors dans la sphère ducassienne», se souvient-il, ce qui lui vaut d'être fait sous-chef à l'Abbaye de La Celle (Var), restaurant d'Alain Ducasse.

En 2010, il rejoint La Coopérative. Trois ans plus tard, il reçoit sa première étoile.

«Mais l'étoile Michelin, elle pend au-dessus de nos têtes. Et elle peut tomber! Tandis que le Bocuse d'or, on le garde».

Après le Bocuse d'or France, Laurent Lemal vise maintenant la finale internationale. «Ça va être compliqué», avertit-il cependant. Les Français, qui ont remporté sept des quinze compétitions, sont «toujours ceux à abattre».