Au Plaza via Bangkok
Il est 9h15 mercredi matin à Paris et, devant l'hyper chic Plaza Athénée de l'avenue Montaigne, on attend Phat, l'assistant du chef australien-thaïlandais David Thompson, dont le réveil n'a pas sonné.Le chef du Plaza, Romain Meder, celui qui pilote l'équipe parce que le grand chef Alain Ducasse ne peut pas être en cuisine tous les jours, commence poliment à signaler une petite perte de patience. On est 45 minutes en retard sur le plan. Il pense à sa journée, aux mises en place, aux équipes qui l'attendent. Mais il a promis à son chef visiteur, celui qui a pigé le Plaza dans le grand Gelinaz! Shuffle, cette vaste chaise musicale de chefs, qu'il lui ferait visiter les Jardins de la Reine, au Petit Trianon de Versailles, où s'approvisionne entièrement le restaurant. Petits pois, pêches blanches, laitues variées, tomates cerises, framboises dodues... Tout vient de là et c'est là que le chef invité trouvera ses légumes pour son repas.
Donc, on attend.
Soupir.
Dans une cuisine française aussi impeccablement structurée et organisée que celle du Plaza, on n'arrive pas en retard.
À Bangkok, on fonctionne autrement. Au Nahm, on trouve que le chef en visite là-bas, René Redzepi, de Noma, est pas mal exigeant! «Ses assistants voulaient des larves d'abeilles vivantes en arrivant dimanche», confie le chef Thompson, qui est en contact avec son équipe pendant qu'il cuisine à Paris. Il sourit.
À Bangkok, on ne cuisine pas non plus en pesant les quantités d'ingrédients. Au Plaza, oui.
Si bien que le lendemain de la visite du potager, quand c'est au tour du chef Thompson de rédiger toutes ses recettes au gramme près, parce qu'on ne lui laisse pas vraiment le choix, c'est lui qui soupire un peu. «Mais c'est le but de l'exercice de ce grand échange de chefs», explique-t-il en prenant son mal en patience. «Nous, on cuisine au sentiment, eux, ils font différemment. On s'adapte, on apprend!»
Pendant ce temps, le grand chef du Plaza, Alain Ducasse, lui, est au Lido84, en Italie, dont le chef, Ricardo Camanini, est à Fäviken, en Suède.
Vous nous suivez toujours?
Difficile d'imaginer deux univers plus différents que celui du Plaza à Paris et celui de Nahm à Bangkok, en Thaïlande, où Thompson travaille depuis 30 ans.
Chez Nahm, on fait un festin pour 100$, quatre fois moins qu'au Plaza. Chez Nahm, on partage les plats, on accompagne tout de riz et on célèbre les épices très relevées et les parfums hyper variés, puissants. Chez Nahm, souvent, les convives préfèrent d'ailleurs accompagner leur repas de bière, même si on est au coeur des quartiers chics de Bangkok, à l'une de ses tables les plus prestigieuses.
Au Plaza, on aime le pain, les saveurs délicates, les assiettes individuelles, les plats qui se conjuguent sans difficulté aux plus grands crus classiques. Au Plaza, on utilise encore les cloches d'argent.
Le 9 juillet dernier, ces deux univers se sont rencontrés, accommodés, conjugués. Exercice «pas toujours évident», confie le chef Meder du Plaza, mais exercice qui force tout le monde à se dépasser, à s'adapter. «J'ai finalement réussi à les faire rire, regarde-les dans le fond de la cuisine», ajoute Thompson, après une longue journée.
Convaincre une brigade formée à la française, classique, de cuisiner dans des feuilles de bananes et de réduire des homards en purée pour un curry, ou de combiner caviar et feuille des bétels n'est pas nécessairement facile. Mais doucement, les cultures s'apprivoisent.
Dans la salle, Joseph Desserprix, premier maître d'hôtel, explique aux serveurs quels seront les plats. Celui-là sera partagé. Avec celui-ci, on servira du riz. Là aussi, d'ailleurs. «Le riz, c'est comme le pain pour nous», dit-il aux serveurs. Il en faut toujours sur la table. Des couverts? Pas toujours nécessaires.
Tous les réflexes doivent changer.
De retour en cuisine, Romain Meder vient de préparer un rouleau de langoustine dans un carpaccio d'ananas avec de la noix de coco salée confite. La présentation, avec des fleurs de coriandre, n'est pas celle que choisit habituellement le chef Thompson. «Moi, je ne fais pas ça du tout comme ça, dit-il à Meder. Mais ne changez rien. C'est très bien! C'est justement pour ça que je suis ici. C'est la raison de cet événement, non?»