La cuisine a la cote. Plusieurs chefs et restaurateurs en profitent pour battre le fer pendant qu'il est chaud et faire de leur métier, de leur art, un instrument de changement social. Todd Gray, qui sera en ville pour Montréal en lumière, la semaine prochaine, est l'un de ces restaurateurs qui donnent et redonnent.

Cuisiner pour aider

Même s'ils y passent souvent le plus clair de leur temps, les chefs ne vivent pas en vase clos dans leur cuisine. Beaucoup s'engagent contre la malbouffe, la faim... particulièrement auprès des jeunes. Tour d'horizon.

Le 19 février, le chef Todd Gray, de Washington, empruntera les fourneaux de son pote de longue date Olivier Perret, au restaurant Renoir, dans le Sofitel. Ensemble, ils cuisineront un repas à... six mains, puisqu'ils feront également de la place dans leur brigade à un jeune apprenti de l'entreprise sociale La Tablée des chefs.

Todd Gray a été sensibilisé à la cause des Brigades culinaires de La Tablée des chefs l'automne dernier, à la faveur d'un court séjour au Québec. Il était chez nous dans le cadre d'un programme de «diplomatie culinaire», lancé par le gouvernement américain afin de favoriser un échange sur la saine alimentation chez les jeunes. C'est un sujet chaud pour la première dame Michelle Obama, qui en a fait son mandat dans les écoles aux États-Unis. L'événement avait été organisé en partenariat avec La Tablée des chefs et aura aussi lieu dans d'autres provinces.

«Après les arts visuels et la musique, c'est la cuisine qui est appelée à jouer un rôle dans le rapprochement entre les gens et les cultures», lançait Todd Gray, en ouverture de sa conférence à saveur engagée, tenue au Marché Jean-Talon, au mois d'octobre 2014.

La visite du chef d'Equinox a justement pris la forme de conversations et d'échanges avec des adolescents et avec d'autres chefs, pour convaincre les premiers de l'importance d'apprendre à se servir d'une poêle et d'un économe le plus tôt possible, puis les seconds, de l'importance de mettre leur talent à contribution dans une société où encore trop de personnes mangent «mal» ou, pire, ne mangent pas à leur faim.

«Nous savons que personne n'est capable de bien fonctionner en état de sous-alimentation. Et nous avons tant de nourriture et de techniques à notre portée. Pour moi, c'est tout naturel d'essayer d'en faire profiter ceux qui ont moins de moyens», explique le chef américain.

C'est si naturel, en fait, que Todd Gray et sa femme, Ellen Kassoff Gray, se font demander de participer à une soixantaine d'événements-bénéfice par année. Les choix sont souvent déchirants.

Témoins de la détresse

«Pourquoi les chefs et restaurateurs devraient-ils davantage se mobiliser que le reste de la population?», avons-nous demandé à Gaëlle Cerf, vice-présidente de l'Association des restaurateurs de rue du Québec (ARRQ) et copropriétaire de Grumman '78. «Parce que nous, en deux minutes, on peut nourrir quelqu'un», affirme celle que l'expérience de la cuisine de rue a sensibilisée encore plus à la faim et à la détresse sur les trottoirs de Montréal. «Les camions sont des témoins. Il y a des gens qui viennent nous voir en pensant qu'on est la Roulotte de Pops [organisme Dans la rue] et qu'on va leur donner un hot-dog.»

L'été dernier, Moisson Montréal et l'ARRQ ont d'ailleurs lancé les Repas en attente. Ce concept tout simple permet aux clients des camions de cuisine de rue d'acheter pour 10$ un coupon repas qui sera ensuite distribué à quelqu'un dans le besoin.

Nombreux sont les restaurants et les chefs qui participent à une foulée de collectes de fonds. L'équipe du Joe Beef cuisine chaque année au repas de l'Ataxie de Charlevoix-Saguenay, organisé par le Toqué! pour venir en aide aux victimes de cette maladie, et remet des sous à un organisme «bien géré» de son quartier. Olivier Perret, du Renoir, fait partie de la «famille» de La Tablée des chefs et se sent interpellé par les causes qui l'ont touché personnellement. «Je me sens privilégié dans mon travail et dans ma vie en général, alors j'essaie de redonner.» Chaque été, le Burgundy Lion organise en outre son tournoi de soccer, Goal, au profit de plusieurs organismes de Montréal. Le restaurant Robin des bois verse aussi ses profits à des oeuvres de charité. Bref, don et restauration font bon ménage.

Rejoindre les jeunes

Pour La Tablée des chefs, la récupération alimentaire et les jeunes sont la priorité: cours de cuisine dans les écoles secondaires (les Brigades culinaires), formations en centres jeunesse, camps d'été, etc.

Photo La Presse canadienne

Gaëlle Cerfs, camion et restaurant Grumman '78.

Depuis 2002, Jean-François Archambault, fondateur de La Tablée des chefs, a senti l'engouement croissant des jeunes pour la cuisine. L'agent et partenaire d'affaires du pâtissier Patrice Demers l'a constaté lorsque 3500 jeunes se sont inscrits à Vrak.tv pour participer à l'émission Les desserts de Patrice, il y a deux ans. Un sondage du programme Secondaire en spectacle a aussi révélé que la «bouffe» était le troisième champ d'intérêt des jeunes.

Lors de l'atelier qu'elle animait à l'école secondaire Père-Marquette, en octobre dernier, atelier auquel Todd Gray a participé, la pimpante Yoni Bélanger réussissait vraiment à captiver ses jeunes apprentis autour d'un thème tout simple: la pomme. Après avoir préparé des muffins, les ados ont mis leurs papilles au travail en dégustant et en commentant plusieurs variétés de pommes. Il n'est jamais trop tôt pour entreprendre l'«éducation du goût».

Maintenant que les jeunes s'intéressent davantage à la cuisine, Jean-François Archambault aimerait que la cuisine s'intéresse davantage aux jeunes. «La faim et l'autonomie alimentaire devraient être les causes des chefs», croit-il dur comme fer. Au printemps, La Tablée abritera d'ailleurs un portail intitulé La Brigade des chefs et destiné aux professionnels de l'industrie qui cherchent à «s'engager».

En attendant, huit chefs de la métropole ont accepté un jeune apprenti de La Tablée dans leur cuisine pour le festival Montréal en lumière. Le ou la jeune cuistot vivra l'expérience d'une vraie soirée derrière les fourneaux. Certains restaurants verseront une partie des recettes à l'organisme, d'autres recueilleront les dons volontaires de clients.

Les huit soirées de La Tablée des chefs pour lutter contre l'insécurité alimentaire se tiennent tout au long du festival Montréal en lumière.

Photo François Roy, La Presse

Patrice Demers

Todd Gray: un parcours classique

Le chef Todd Gray est le parangon d'un chef «classique» qui a bâti sa carrière tranquillement, sans brûler d'étapes. Avec sa femme, Ellen Kassoff Gray, il est aujourd'hui à la tête d'un mini-empire qui comprend entre autres les restaurants Equinox, Muse et Watershed. En vue de sa participation à Montréal en lumière, la semaine prochaine, nous vous présentons le chef en trois temps.Sa formation

La maman de Todd Gray cuisinait des aliments en boîte, mais elle tenait néanmoins à ce que la famille soupe ensemble tous les soirs. C'est en travaillant aux restaurants The Tobacco Company et La Petite Auberge, dans son État natal (la Virginie), il y a 30 ans, qu'il a eu envie de devenir chef. Diplômé de la réputée Culinaire Institute of America (CIA!), il a poursuivi ses classes dans plusieurs grandes tables des États-Unis et chez les premiers grands chefs de Washington, D.C.

Son approche

Todd Gray fait partie de la génération de chefs qui a contribué à la «renaissance» d'une cuisine américaine basée sur des produits saisonniers et éthiques de petites fermes familiales. «Pour moi, l'élément "durable" est à la base de tout ce que nous faisons, que ce soit dans notre approvisionnement ou dans nos relations avec nos employés, que nous avons vu grandir, se marier, fonder des familles au resto. Cuisiner, c'est la job la plus facile d'un chef! C'est tout le reste - approvisionnement, administration, gestion des ressources humaines - qui bouffe du temps et de l'énergie.» Premier chef américain d'une grande table italienne (Galileo, dans les années 90), il a conservé beaucoup d'influences toscanes dans ses menus.

Les activités philanthropiques

«Ellen et moi, on croit tout simplement qu'il faut être de bonnes personnes. Ça nous aide à dormir la nuit!», lance-t-il, pour expliquer l'importance que le couple accorde aux activités philanthropiques. Dans un premier temps, ils sont de grands défenseurs de l'agriculture et de la pêche durables et s'inscrivent contre la cruauté animale. Equinox est certifié pour son utilisation de produits durables de la pêche et issus d'élevages où les animaux sont bien traités. Mme Kassoff Gray est d'ailleurs végétalienne et le restaurant propose un menu dégustation et un brunch sans aucun produit animal.

Les humains bénéficient également de leurs largesses, puisque Todd et Ellen participent au programme de la première dame Michelle Obama Chefs Move to School, tout en coprésidant la collecte de fonds Taste of the Nation, de l'organisme Share our Strength, visant à combattre la faim aux États-Unis.

Todd Gray cuisinera au Renoir avec le chef Olivier Perret, les 19, 20 et 21 février.

Renoir

1155, rue Sherbrooke Ouest

Réservations: 514 285-9000

Photo Ivanoh Demers, La Presse

Le chef américain Todd Gray