Les Italiens ne sont plus les seuls à produire de la mozzarelle artisanale fraîche avec du lait de bufflonne. Des éleveurs installés sur la Rive-Sud se sont mis en tête d'enraciner ce précieux savoir-faire au Québec. Après des mois de travail parsemés d'embûches, le succès est enfin à portée de main. La salade caprese «100%» Québec, c'est pour bientôt.

Elle devait arriver l'automne dernier dans les épiceries. Puis on l'a promise pour Noël. Puis pour le printemps. On l'a attendue longtemps, cette première mozzarelle fraîche produite artisanalement au Québec avec du lait de bufflonne, dont les premiers échantillons sont enfin mis en vente ces jours-ci dans les fromageries de la région de Montréal.

«Le processus a été beaucoup plus long que prévu, mais on y arrive enfin!», opine Louis Hébert, cet agronome engagé par la ferme Maciocia, à Saint-Charles-sur-Richelieu, pour piloter le projet. Il constate après des mois de labeur qu'on ne transpose pas une recette de fromage d'un pays à l'autre comme on peut le faire avec une recette de gâteau au chocolat. Les ingrédients ne sont jamais tout à fait les mêmes d'une région à l'autre. Les normes sanitaires et l'équipement non plus. «En Italie, on peut travailler avec des ferments naturels, alors qu'ici, il faut travailler avec des ferments commerciaux. Le lait est différent, parce que l'alimentation des animaux est différente. Cela a un impact sur la composition du lait, son acidité», illustre Louis Hébert.

Au fil des mois, il a fallu se rendre à l'évidence et importer certaines pièces d'équipement directement d'Italie - là où, après tout, la recette du précieux fromage a été inventée au XIIe siècle. Puis ce fut le savoir-faire qu'on est allés repêcher de l'autre côté de l'Atlantique: un fromager italien travaille ici depuis plus d'un an pour mettre au point le précieux fromage.

En tout et pour tout, il se sera donc écoulé près de cinq ans entre le moment où Mario Maciocia a jeté les bases de ce rêve un peu fou. Il s'était alors porté acquéreur de 285 bufflonnes d'un fermier du Vermont, pour devenir le premier éleveur du genre au Québec, et le plus important au Canada. Et voilà qu'il voit enfin débarquer ses mozzarelles fraîches dans les épiceries.

Bien avant de s'attaquer à la transformation du lait, l'homme a dû s'atteler à sa production, qui présentait déjà des défis. Les premiers mois ont été consacrés à apprivoiser les animaux et en améliorer la race en faisant des croisements pour obtenir des animaux plus productifs et surtout... au caractère plus agréable que ceux du Vermont. «La bufflonne a un comportement complètement différent de la vache: elle est moins docile, elle a la tête dure, mais elle est aussi très curieuse et assez intelligente», expliquait-il lors de notre passage à la ferme il y a quelques mois, en caressant une bête au pelage marron et aux grands yeux noisette ourlés de longs cils. Les animaux nés au Québec écouteraient beaucoup mieux et se sont bien reproduits: le troupeau compte maintenant près de 500 têtes et est l'un des plus importants en Amérique du Nord.

Fraîcheur, fraîcheur, fraîcheur

Flairant que le projet «mozzarelle» ne serait pas simple à mener, la ferme a commencé à transformer le lait de bufflonne, encore rare au Québec, de diverses manières au fil des mois. Elle en tire entre autres un yaourt sans additifs, d'une blancheur et d'un goût délicat qui obtient un bon succès auprès du public (une centaine d'épiceries fines et de restaurateurs l'utilisent ou le commercialisent depuis un an environ) puis un fromage affiné à pâte ferme, élaboré de concert avec la fromagerie La Moutonnière, de Sainte-Hélène-de-Chester (lamoutonniere.com): le Majestic. Mais la grande majorité du lait produit est encore acheté par le géant Saputo, qui fabrique dans ses usines des mozzarinas distribuées dans les supermarchés de la province.

Dans les faits, la mozzarelle ne sera donc pas la première produite au Québec, mais la ferme Maciocia se distinguera en offrant un produit fait de manière artisanale - le fromage est filé à la main - très frais, distribué au consommateur en seulement 24 à 48 heures. La fabrication sera concentrée du mercredi au vendredi, histoire d'être écoulée dans les épiceries fines, les fromageries et les restaurants du jeudi au dimanche.

Pour obtenir la texture souple, légèrement élastique de la mozzarelle, le lait de bufflonne doit d'abord être ensemencé, caillé, puis chauffé, étiré et filé à répétition jusqu'à ce que le mélange soit bien homogène, avant d'être façonné en boules de 100 à 250 g (selon les fabricants). Le fromage n'est pas pressé, sa croûte n'est pas lavée. On le conserve dans une saumure et on le consomme aussi rapidement que possible, sa fraîcheur étant l'un des plus grands gages de sa qualité.

«Il n'y a rien de tel que de manger une mozzarella faite le matin même», assure Mario Maciocia en connaissance de cause. Même le transport le plus rapide, en avion, depuis l'Italie, est trop long à son goût et suffit à dégrader les précieuses qualités du fromage. «En Italie, on «mange» une mozzarelle le jour de sa fabrication, mais on la «cuisine» ensuite, cela veut tout dire», rapporte Louis Hébert.

Après la production, le défi de la distribution se révèle donc tout aussi crucial. Mais pas insurmontable, assure Louis Hébert. Après tout, les Québécois ont déjà une certaine expérience dans le domaine de la distribution rapide de produits frais... grâce au fromage en grains, dont la qualité est elle aussi directement proportionnelle au nombre d'heures qui s'écoule entre sa sortie du bassin et son passage dans l'assiette. «Les deux ne sont pas si différents», dit Louis Hébert. À quand le jour ou l'on pourra trouver des mozzarelles fraîches du matin dans tous les petits dépanneurs et les stations-service de la province?

Pour la liste des points de vente du yaourt, de la mozzarelle et du Majestic: http://bufalamaciocia.ca/points-de-vente

Photo Bernard Brault, La Presse

Mario Maciocia et Louis Hébert de la ferme Maciocia, à Saint-Charles-sur-Richelieu.

Mozzarella di bufala ou de bufflonne?

La mozzarella di bufala de Campanie est une Appellation d'origine protégée (AOP) en Italie depuis 1996. L'usage de ce nom est donc réservé aux fromageries de régions spécifiques et respectant le cahier de charges dicté par l'AOP, ce qui explique que la ferme Maciocia utilise plutôt le vocable «mozzarelle de bufflonne». On parle de mozzarella fior di latte lorsqu'elle est faite de lait de vache.

Un lait populaire

Il ne faut pas se fier au Canada pour évaluer la popularité du lait de bufflonne: si sa production est encore rarissime ici, elle s'élève au deuxième rang de la production mondiale de lait, derrière le lait de vache mais loin devant celui de chèvre et de brebis! Le lait de bufflonne a toutefois ceci de particulier qu'il est moins répandu que les autres, et les élevages sont essentiellement concentrés dans quelques pays du globe, en tête desquels se classent l'Inde, le Pakistan, la Chine, l'Égypte, le Népal et enfin, l'Italie.

Source: FAO.

Avant de la consommer...

Conservez toujours votre mozzarelle fraîche dans sa saumure, mais sortez-la du réfrigérateur au minimum 30 minutes avant de la servir, le temps d'en faire ressortir les arômes délicats.

Photo Bernard Brault, La Presse