Les Péruviens en mangent de grandes quantités toute l'année depuis la nuit des temps. Il se déguste en groupe, sous le soleil. Voici les secrets d'un bon ceviche.

«Le ceviche ne se mange pas le soir! On le déguste à l'heure du lunch.» Voici l'implacable verdict de Patricia Dalmau de Galfré, directrice générale de la réputée école Le Cordon Bleu de Lima, au Pérou.

Après plusieurs jours passés en terre péruvienne, force est de constater qu'en effet, les gens du pays savourent des ceviches en mi-journée, vers 13h30. Famille et amis se réunissent alors autour d'un immense plat de ce mets composé de poisson blanc à chair ferme, d'oignon et de piments forts cuits un court instant dans le jus de lime.

En accompagnements: morceaux de pomme de terre sucrée, manioc (légume racine que l'on cultive en Amérique du Sud) et choclo (variété de maïs aux grains plus gros et plus blancs que le «blé d'Inde» québécois).

Pourquoi? Pour les Péruviens, ceviche rime avec chaleur et soleil.

«C'est frais. On aime le manger quand il fait chaud avec une bière et on ne veut pas attendre jusqu'au soir», explique Daniel Bazan, président de l'Association canado-péruvienne.

Au Pérou, comme dans bien des pays d'Amérique du Sud, le dîner (el almuerzo) est, il est vrai, le repas le plus important de la journée.

Ce mets que les Péruviens dégustent toute l'année a fait son apparition il y a fort longtemps. «Le ceviche se mange depuis toujours, souligne Mario Navarrete Jr, chef d'origine péruvienne, propriétaire du restaurant Madre qui compte une adresse rue Masson et une autre rue Fleury. Les Incas en préparaient avec les fruits acides qu'ils avaient.»

Avec le temps, le plat a néanmoins évolué. «Quand j'étais petit, on laissait le poisson mariner dans le jus de lime pendant trois, parfois six heures», se rappelle le chef Navarrete. Maintenant, on arrose le poisson et, deux minutes plus tard, on dépose l'assiette sur la table. «Si on le laisse trop longtemps dans le jus de lime, on détruit la fraîcheur du poisson, un peu comme lorsque l'on fait trop cuire un filet mignon», ajoute-t-il.

Autre nouveauté, chez certains chefs, la lime a cédé la place à d'autres fruits acides comme l'orange ou le pamplemousse.

Les Péruviens raffolent aussi du tiradito, un mets à mi-chemin entre le sashimi et le carpaccio. Contrairement au ceviche, qui se prépare avec du poisson coupé en cubes, le tiradito est fait de fines tranches arrosées de jus de citron. Ceux qui n'aiment pas les oignons pourraient préférer ce plat, car il n'en contient pas.

Cinq ingrédients

Poisson blanc à chair ferme, lime, sel, oignon et piment fort: voilà les cinq ingrédients de base, essentiels à la préparation d'un ceviche. S'il manque l'un de ces éléments, ce n'est plus péruvien. Là-bas, on prépare ce plat national avec de la corbina ou du mérou.

Comment le préparer au Québec? Martin Ore, chef propriétaire du restaurant Mochica, situé rue Saint-Denis à Montréal, utilise du tilapia rose. Plus gros que le blanc, son dos a une teinte rougeâtre. «Les Japonais l'utilisent pour les sashimis», mentionne ce Péruvien d'origine. Les tiraditos préparés dans la cuisine du Mochica sont faits avec de la corbina ou du vivaneau.

Et du côté du restaurant Madre, c'est le ceviche au saumon qui s'affiche sur l'ardoise. «C'est un poisson local que tout le monde connaît ici», souligne Mario Navarrete Jr pour expliquer ce choix. L'utilisation de ce produit semble également rassurer les clients qui ont déjà goûté au tartare de saumon, mais qui restent un peu réfractaires à l'idée de consommer d'autres poissons crus.

En général, les Québécois semblent toutefois séduits par le plat national péruvien. «Chez nous, c'est l'un des meilleurs vendeurs, assure Luis Corcuera, propriétaire du célèbre restaurant Sol y Mar de la rue Saint-Hubert. Il est même déjà arrivé que les gens en cuisine se plaignent en disant qu'ici, ce n'était pas un resto, mais une manufacture de ceviche!»

«Maintenant, les gens sont plutôt contents de voir et de goûter la transparence du poisson», ajoute Martin Ore. Mais il n'en a pas toujours été ainsi.

«Il y a environ 10 ans, se rappelle le chef du Mochica, on m'avait demandé de mettre du ceviche au micro-ondes...»

Photo David Boily, La Presse