Pendant que les projecteurs se braquent sur Sotchi, profitons-en pour nous glisser discrètement en cuisine. Nature de l'épreuve ? Saisir l'esprit de la gastronomie russe, reflet d'une certaine complexité sociale, historique et géographique.

Gigantesque trait d'union (soviétique) entre l'Asie et l'Europe, empire constitué et démantelé au fil des siècles, la Russie s'avère un véritable pot-au-feu d'influences gastronomiques. Portrait d'une cusine aux multiples visages.

La cusine russe s'est affinée au fil des échanges entre ce pays grand comme un continent et ses voisins, tant du côté européen qu'aux limites de la Chine. De nombreux plats ont ainsi franchi les frontières... mais en matière gastronomique, les frontières sociales, elles, sont restées. «Il faut bien distinguer la cuisine populaire et celle de l'aristocratie», préviennent, d'une seule voix, Leonid Likhten et Slava Sonin, propriétaires respectifs des restaurants La Caverne et Rasputin.

L'assiette quotidienne, qui aspire à la simplicité, se compose d'ingrédients souvent issus du travail de la terre: «Pommes de terre, choux, cornichons, oignons, beaucoup de betteraves...» égrène M. Likhten. «Tomates, concombres, boeuf, porc, hareng, poivre noir, paprika, aneth», complète M. Sonin.

C'est dans cette large palette que viennent puiser les grands classiques, fréquemment retrouvés dans les anciens pays du bloc soviétique.

Avant tout, les entrées. Parmi les innombrables soupes, dont sont férus les Russes, citons la colorée bortsch, teintée de betterave, de chou et de boeuf, ou encore la rafraîchissante okrochka (avec pommes de terre, oeufs, radis, concombre, aneth, persil, lait de beurre et eau pétillante).

En été, les salades prennent le relais, comme la prisée salade Olivier, parée de légumes bouillis, de pois, d'oeufs ou de cornichons, selon les versions; le tout lié par une mayonnaise.

Plats en pagaille

Une fois ces préliminaires - et quelques verres de vodka - engloutis, attaquons le vif du sujet. Là aussi, l'éventail des choix est tellement garni, qu'il est impensable de tout lister ici. Une chose est certaine: «Chaque Russe a des pelmenis dans son frigo», garantit M. Sonin, évoquant ces excellents raviolis farcis de boeuf ou de porc. Des variantes ukrainiennes, les varienniki, intègrent des légumes.

Autre spécialité nationale (comme son nom ne l'indique pas!): le poulet de Kiev, morceaux de poitrine roulés dans du beurre à l'ail et panés. Quant aux amateurs de boeuf, s'ils peuvent toujours se délecter d'un jarkoe (mijoté aux champignons), comment pourraient-ils ignorer le célébrissime Stroganov, avec sa sauce de crème et d'oignons?

Emblématique, certes, mais aussi... d'origine aristocratique. «Certains plats, comme le Stroganov, ont été créés par des cuisiniers étrangers venus travailler au sein de grandes familles russes», explique le tenant du restaurant Rasputin.

Enfin, quitte à flirter avec les hautes sphères culinaires, n'omettons pas les blinis au caviar rouge, aussi classiques que goûteux.

Devant tant de variété, où est le ciment d'unité? «La cuisine russe, c'est beaucoup de travail de préparation à la main, avec de nombreux morceaux à couper», avance M. Likhten, de La Caverne. M. Sonin, de Rasputin, quant à lui, pointe le caractère digeste de cette gastronomie, ainsi que son évolution: des aliments plus légers, tels que la laitue, ont été progressivement incorporés.

Fours et carrefours

Autre clé de l'éclectisme de la cuisine russe: les métissages historiques.

«Très tôt, la Russie est entrée en contact avec beaucoup d'autres peuples, effectuant toutes sortes de conquêtes, fait remarquer Tristan Landry, historien à l'Université de Sherbrooke. Certains plats, considérés aujourd'hui comme typiquement russes, ont en fait été intégrés au fil de ces contacts.»

Un exemple? Les pelmenis, évoqués précédemment, étaient consommés par les chasseurs de Sibérie, avant d'être adoptés par les trappeurs russes une fois ces terres orientales investies, indique M. Landry. «À l'origine, pelmeni signifie "oreille de chair". Par ailleurs, notez que les raviolis ont quelque chose de très asiatique.»

Même schéma pour le kéfir, ce fameux lait fermenté ayant été intégré aux traditions russes après la conquête du Caucase (où, pour rappel, se déroulent les Jeux).

Sans oublier le front européen: francophiles, à l'affût des modes, les Russes ont accueilli nombre de chefs venus de l'Ouest. Ainsi, la fameuse salade Olivier fut en fait concoctée par un chef belge au XIXe siècle, à Moscou. Enfin, ajoutez à cela de nombreuses influences ukrainiennes, géorgiennes, etc.

Même si bien des pistes se sont brouillées aujourd'hui, l'avènement des Jeux de Sotchi s'avère une excellente occasion, entre deux performances d'athlètes, de garnir autrement son assiette. N'oubliez pas votre vodka!

Recette

Le bortsch du restaurant Rasputin

Pour 4 personnes

Ingrédients

  • 1 lb de côtes levées de boeuf (flanken ou short ribs)
  • 6 tasses d'eau
  • 1 c. à thé de gros sel de mer
  • 1/2 carotte, râpée
  • 1/2 céleri-rave, épluché et coupé en cubes
  • 1/2 oignon
  • 1 carotte, coupée en cubes
  • 1 1/2 betteraves
  • 1 c. à soupe de beurre ou d'huile végétale
  • 1 gros oignon, haché grossièrement
  • 1 tasse de chou haché
  • 1 pomme de terre, coupée en cubes
  • 1/4 c. à thé de poivre noir moulu
  • 1/2 c. à soupe de pâte de tomate
  • 4 ou 5 grosses gousses d'ail, écrasées
  • 1 c. à soupe de jus de citron
  • 2/3 de tasse de crème sure ou de yogourt
  • 1 1/2 c. à soupe d'aneth finement haché
  • 1 1/2 c. à soupe de persil finement haché

Préparation

  1. Dans un grand chaudron, porter la viande et l'eau à ébullition. Réduire le feu et écumer.
  2. Lorsque la mousse cesse de monter, ajouter le sel, la carotte en cubes, le quart du céleri-rave, l'oignon et toutes les épices. Laisser mijoter à feu doux, le chaudron partiellement couvert, pendant une heure et demie à deux heures, ou jusqu'à ce que la viande se détache de l'os.
  3. Enlever l'os et l'oignon.
  4. Éplucher les betteraves et les râper. Dans un autre chaudron, à feu moyen, faire chauffer le beurre et revenir l'oignon deux ou trois minutes.
  5. Ajouter le reste du céleri, la carotte râpée et le chou. Faire revenir 5 minutes.
  6. Ajouter le bouillon et ses ingrédients, les pommes de terre, les betteraves râpées et porter à ébullition.
  7. Réduire le feu et laisser à découvert pendant 10 minutes ou jusqu'à ce que les légumes soient tendres.
  8. Juste avant de servir, pendant que la soupe mijote doucement, incorporer l'ail et le jus de citron. Retirer du feu immédiatement.
  9. Servir chaud dans des bols avec une cuillerée de crème sure, une généreuse pincée de persil et l'aneth.

Montréal à la russe

Pour manger russe, Montréal compte quelques adresses bien établies. Parmi elles, des épiceries où trouver des produits régionaux et des plats préparés. Et des restaurants qui proposent des classiques, servis parfois en musique!

Épiceries

> Épicerie St-Petersburg

5584A, rue Sherbrooke Ouest, Montréal514 369-1377

3631, boulevard Taschereau, Saint-Hubert

450 286-1700

> Marché Épicure

5252, rue Paré, Montréal

514 904-0595

> Ella's Deli

4968B, chemin Queen-Mary, Montréal

514 904-0925

> Pâtisserie-Charcuterie Vova

5225, avenue du Parc, Montréal

514 278-3411

Restaurants

> La Caverne

5184, chemin de la Côte-des-Neiges, Montréal

514 738-6555

www.lacaverne.ca

Rasputin

617, boulevard Décarie, Montréal

514 748-4921

www.restaurant-rasputin.com

Ermitage

5024, chemin de la Côte-des-Neiges, Montréal

514 735-3886

www.restaurantermitage.com