Le chef brésilien Alex Atala, célèbre pour avoir élevé au rang de haute cuisine les saveurs de l'Amazonie, évoque dans un entretien avec l'AFP son parcours et la mission qu'il s'est assignée.

Arborant toujours un air rebelle malgré ses 45 ans, avec ses douzaines de tatouages et sa barbe rousse, il reçoit dans son restaurant, DOM, à Sao Paulo. Son allure de même que sa passion pour la chasse, la terre et la défense de l'environnement en ont fait une des étoiles mondiales de la gastronomie contemporaine.

Il accumule les distinctions et des médias comme le New York Times lui consacrent des chroniques, il donne des conférences dans le monde entier, cuisine au Chili ou à Singapour et déconnecte de temps en temps en s'immergeant au coeur de la forêt amazonienne, des entrailles de laquelle il extrait de nouvelles saveurs ou en ressuscite d'anciennes.

Adolescent punk, il a grandi dans la périphérie de Sao Paulo, goûté aux drogues et commencé à collectionner les tatouages. Aujourd'hui, dans sa tenue de chef immaculée, Atala affirme n'avoir jamais laissé filer une opportunité sans toutefois imaginer son succès.

Que reste-t-il de cet adolescent rebelle? «Tout», répond-il dans un éclat de rire, assis dans la salle de DOM, classé 6e meilleur restaurant du monde en 2013 par la prestigieuse revue britannique Restaurant.

«Mais la vie m'a obligé à murir. La cuisine m'a apporté méthode et discipline», confie-t-il.

Du rouleau aux fourneaux

À la vingtaine, sac au dos, il s'envole pour l'Europe. En Belgique, il fait le peintre en bâtiment pour payer son voyage, et lorsque son visa arrive à expiration, un cours de gastronomie lui permet de le prolonger.

Il approfondit ensuite ses connaissances en France puis en Italie jusqu'à son retour, en 1994, avec déjà une petite idée en tête: comme jamais il n'arriverait à cuisiner italien comme un chef italien, autant se distinguer comme Brésilien avec les recettes et ingrédients de son pays.

«La cuisine est un mélange de magie, d'alchimie et de sciences exactes», décrit-il, assurant que le Brésil est un pays «qui a encore beaucoup à montrer» s'il se donne la peine de suivre par exemple les traces du Pérou, qui a su promouvoir sa gastronomie.

Pour Atala, «le meilleur lien entre nature et culture est la nourriture» et il affirme que «le cuisinier urbain et beaucoup d'entre nous aujourd'hui sont déconnectés des ingrédients dans leur moment initial».

Récemment, lors d'une conférence au Danemark, il a occis un poulet devant l'assistance, s'attirant une pluie de réprobations.

«Aujourd'hui, qu'un chef tue une poule est un sujet marquant, mais nos grands-parents le faisaient, utilisaient les plumes pour un oreiller, les pattes pour autre chose. Tout servait», remarque-t-il.

«À l'inverse, aujourd'hui le marché de l'alimentation gaspille beaucoup. Il faut refaire l'histoire, et donner de la valeur à la vie, végétale ou animale», affirme le cuisinier.

«Certains sont végétariens. Parfait. Mais combien a-t-on abattu de forêts pour cultiver des légumes ou des céréales ?» s'interroge celui qui aime «provoquer la réflexion».

Le magazine Time a inscrit Atala dans sa liste 2013 des 100 personnalités les plus influentes de la planète «pour avoir inscrit le Brésil sur la mappemonde de la gastronomie».

Nouvelle frontière

Yuccas frais, en farine ou fermentés. Poissons, insectes ou herbes telles que la ''priprioca''. Fruits sauvages et inconnus: «L'Amazonie est la nouvelle frontière des saveurs. Sa richesse et ses possibilités sont infinies», s'enthousiasme-t-il.

«Tout le monde connaît le mot ''Amazonie'', mais personne n'y associe une saveur», poursuit le chef.

Dans la forêt, il a découvert une espèce de fourmi, essayé les boissons à base de yucca et connu la ''priprioca'', uniquement utilisée auparavant dans l'industrie cosmétique. Tous ces ingrédients figurent désormais à la carte à DOM, où le menu dégustation s'élève à 250 dollars.

Également à la tête du restaurant Dalva e Dito, Atala a travaillé dans la publicité et dirige une fondation - ATA - de promotion de petits producteurs.

Le chef apprécie aussi de manger dans la rue, particulièrement les ''empanadas'', de petits chaussons fourrés et frits.

Enfant, il allait pêcher et chasser avec son père et son grand-père. Ses voyages comme la vie quotidienne avec sa famille constituent la mémoire qu'il dit souhaiter préserver avec son pari sur «une cuisine affective» véhiculant saveurs et souvenirs.

Fumeur adepte de l'exercice physique aux petites heures du jour, il est père de trois enfants de deux mariages et se couche généralement à minuit passé. S'il n'avait pas été chef? Probablement vétérinaire ou biologiste.